Présidentielle : Macron par défaut

Le désir et la peur du changement ont assuré, conjointement, la victoire d’Emmanuel Macron.

Les sondeurs, ces pestiférés, avaient donc vu juste. Pour l’essentiel, les résultats de dimanche soir ont confirmé les chiffres annoncés depuis des semaines. Des chiffres dont il faut tenter de retenir l’essentiel. Le premier enseignement est le naufrage des partis de gouvernement dont l’alternance au pouvoir avait rythmé un demi-siècle de vie politique nationale et qui n’ont recueilli que le quart des suffrages des électeurs. (1) C’est donc le désir de changement qui l’a emporté, dimanche, après deux quinquennats jugés négativement par une majorité de Français.

La «France en colère» totalise 41% des suffrages

Ce désir de changement se concrétise par le score cumulé de 41% pour les deux principaux candidats qui incarnaient «La France en colère». Mais une France elle-même divisée, à parts quasi égales, entre extrême droite et extrême gauche. De sorte que c’est le candidat du centre qui l’emporte et pourrait devenir, le 7 mai prochain, le nouveau Président de la République française. «La France veut être gouvernée au centre» apprenait-on jadis sur les bancs des facultés de droit. Mais, ajoutaient nos maîtres, point besoin pour cela d’un parti centriste. François Bayrou, dernier héritier de Jean Lecanuet dans une présidentielle, en a fait l’expérience amère. Il suffisait à Valery Giscard d’Estaing, élu à droite toutes, de mener au final une politique de centre droit et à François Mitterrand, candidat de l’union des gauches, de négocier le virage de la rigueur de 1983 au centre-gauche.

La victoire, inimaginable il y a seulement un an, de ce parfait inconnu qu’était alors Emmanuel Macron, s’explique par l’effet cumulé du rejet des partis de gouvernement, de l’incapacité des deux candidats de la «France extrême» à rassurer sur leurs propositions, et à la présence d’une offre alternative – au centre – du nouveau parti En marche.

Il y aurait une grande irresponsabilité à vouloir saborder, dans les législatives, le vote des Français

On peut – on doit – s’interroger sur la capacité réelle d’Emmanuel Macron d’apporter une réponse durable à la crise économique, sociale et politique qui frappe notre pays. Mais il faut aussi savoir regarder la bouteille à moitié-pleine : ce que ce vote exprime, positivement, du désir des Français, dépassant leurs divisions, de tenter une ultime forme d’alternance non-extrémiste en associant dans un même effort de redressement et de justice sociale, des hommes – et des femmes – de bonne volonté, issus de la gauche, de la droite et du centre, là où nos mœurs politique l’interdisaient jusqu’à présent. Ce sursaut n’est pas méprisable en soi. Et il y aurait une grande irresponsabilité à vouloir saborder, dans les législatives, le vote des Français, par pur dépit, par incapacité des uns et des autres à assumer, lucidement, leur échec et à se remettre en question.

Le premier défi pour Emmanuel Macron sera d’entendre et de prendre en compte dans son projet, une partie de ce pays réel qui aspirait à un autre changement. Jacques Chirac a failli, en 2002, de n’avoir pas su pendre en compte les attentes d’un électorat de gauche qui n’avait voté pour lui que par refus de Jean-Marie le Pen ; et François Hollande, dix ans plus tard d’avoir joué le mépris vis-à-vis de François Bayrou et du Modem qui avaient largement contribué à sa victoire. Savoir prendre en compte les espérances de ceux qui n’ont pas voté pour lui sera, pour le leader d’En marche, une première épreuve. Paradoxalement, le flou de son programme pourrait, de ce point de vue, lui servir d’atout.

Quelle force politique pour une possible alternance en 2022 ?

Mais l’essentiel n’est pas là. Il se joue déjà dans la perspective de la présidentielle de 2022 et de la recomposition de la vie politique française qu’exigent les circonstances. Il pose la question de la force politique qui, à cet horizon, pourra incarner une possible alternance car on ne voit pas pourquoi un «parti centriste» échapperait à cette loi. Et la réponse est claire : ce sera soit un nouveau courant politique aujourd’hui à construire, soit le Front National de Marine le Pen.

Ne contestons à Emmanuel Macron ni sa jeunesse, ni son optimisme, ni sa modernité, ni sa capacité d’entrainement et sa volonté de changement, y compris au niveau des institutions européennes. Mais il reste foncièrement le candidat du néolibéralisme économique et culturel, là où François Fillon incarnait le libéralisme économique – et non sociétal – dans son acception la plus classique. Si les conséquences de la mondialisation libérale restent le ferment de la contestation politique qui a porté les candidatures de Marine le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, ce n’est pas la mise en œuvre du programme annoncé d’Emmanuel Macron qui sera en mesure de la réduire durablement.

Encore une fois, interrogeons-nous sur cette étrange destinée de notre vie politique qui voit les plus modestes, les exclus de la croissance mais aussi une partie de la jeunesse voter pour les extrêmes, tandis que les mieux lotis partagent leurs suffrages entre les candidats qui se réclament de la mondialisation. Est-ce un hasard si la ville la plus riche de ce pays, Paris, dominée par la gauche donne 61,2% de ses suffrages à Emmanuel Macron et François Fillon réunis, là où les Hauts-de-France, de tradition ouvrière, ont crédité Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon de 50,5% des suffrages exprimés. (2)

Croissance ou décroissance : le débat escamoté !

Si le financement du projet de Jean-Luc Mélenchon a pu nourrir le doute, si ses paroles ambigües sur l’Europe n’ont pas convaincu, si son laïcisme de combat et la radicalité de ses réformes sociétales ont contribué à révulser ici et là parmi les plus ouverts à sa contestation des dérives de la mondialisation, nul doute qu’il a visé juste en évoquant le sort des plus pauvres, l’urgence écologique et l’exigence de la transition énergétique.

La question de la décroissance a quasiment été absente du débat de la présidentielle. (3) Là où le pape François l’envisage ouvertement dans Laudato si’ conduisant les évêques de France à revenir, dans un ouvrage récent (4) sur les «Nouveaux modes de vie» à adopter en cohérence avec «une révision radicale de nos modes de développement pour en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres.» (5)

L’art de masquer la question sociale derrière une posture morale

La littérature abonde pour décrire, notamment, la trahison de la gauche qui a renoncé à son combat historique pour l’émancipation sociale des classes populaires, lui préférant le combat pour les revendications sociétales des minorités ethniques ou sexuelles… Il faut lire, entre autres, Christophe Guilly lorsqu’il écrit : «La véritable fracture oppose ceux qui bénéficient de la mondialisation et qui ont les moyens de s’en protéger et ceux qui en sont les perdants et ne peuvent se protéger de ses effets. (…) Si un vernis culturel et politique permet encore de distinguer nouvelle et ancienne bourgeoisie sur les questions sociétales, elles défendent le même modèle économique. (…) Abritées derrière le discours de la modernité, de l’ouverture et du vivre ensemble, les catégories supérieures participent ainsi violemment à la relégation sociale et culturelle d’une majorité des classes populaires. (…) Cette opposition culturelle tend à occulter deux choses. La première est que cette fracture idéologique est d’abord sociale : les catégories supérieures d’un côté, celles qui bénéficient à plein du nouveau modèle économique, et de l’autre des catégories populaires, grandes perdantes de la mondialisation. Mais cette opposition est plus perverse, car elle tend à déplacer la question sociale derrière une posture morale qui vise à légitimer les choix économiques et sociaux des catégories supérieures depuis plusieurs décennies. Le clivage société ouverte/société fermée place de fait les catégories supérieures dans une position de supériorité morale : toute critique du système économique et des choix sociétaux s’apparente alors à la posture négative du repli, elle-même annonciatrice du retour des années trente. A ce petit jeu, les classes populaires sont forcément perdantes socialement, culturellement et politiquement. L’échec politique, de Chevènement à l’extrême droite en passant par l’extrême gauche, illustre l’efficacité de cette stratégie.» (6)

La France pour incarner la résistance à l’hégémonie libérale

Tout est dit sur l’enjeu réel que cache la probable victoire d’Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle. Oui, l’urgence est à la recomposition politique de ce pays, à la clarification du projet des uns et des autres. Dans un tribune récente, l’intellectuel musulman Abdennour Bidar écrivait : «Le pire écueil aujourd’hui, pour notre génie, c’est le libéralisme mondialisé. Il constitue la négation de tout ce qu’est la France. Il uniformise les modes de vie tout en rendant les peuples captifs d’une surconsommation servile de biens standardisés. Il dissout les sociétés, les solidarités dans un “chacun pour soi“ déguisé en liberté d’entreprendre, en “libération des énergies“. L’avenir de la France, si elle en veut encore un, sera de se décider à être enfin le pays d’où s’élance la résistance à l’hégémonie libérale. Nous sommes son contre-modèle, prédestinés en quelque sorte à lui dire non.» (7)

René POUJOL

Ancien Directeur du Pèlerin

Lien à la Source

  1. François Fillon et Benoît Hamon totalisent à eux deux 26,2% des voix.
  2. Paris : Emmanuel Macron 34,8%, Françoi Fillon 26,4% ; Hauts-de-France : Marine le Pen 31%, Jean-Luc Mélenchon 19,5%.
  3. Doux euphémisme : on a encore entendu tels candidats s’interroger sur les conditions d’une reprise de la croissance toujours perçue comme seule créatrice d’emplois.
  4. Conseil famille et société, Nouveaux modes de vie ? L’appel de Laudato si’, Coédition Bayard-Cerf-Mame
  5. Op cit p. 8
  6. Christophe Guilly, Le crépuscule de la France d’en haut, Flammarion 2016, p. 19 à 22
  7. L’Obs du 30 mars 2017, p.8

 

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