Emmanuel Macron au pied du mur
16 mai 2017Réintégrer la «France d’en bas» dans une économie mondialisée qui se nourrit de son exclusion : défi ou illusion ?
Emmanuel Macron l’a donc emporté au terme d’une campagne qui aura illustré le désarroi de nos compatriotes et la grave crise que traverse notre vie politique et démocratique. Une crise qui, a posteriori, justifie amplement le texte courageux des évêques : «Dans un mode qui change, retrouver le sens du politique» (1) C’est là une manière de souligner que ce texte n‘était pas pour hier mais pour aujourd’hui dans la perspective des législatives et plus encore pour demain, dans la période qui suivra.
«Changer le capitalisme pour vaincre le populisme» J.Stiglitz
Je veux redire ici combien mon vote pour Emmanuel Macron, au premier comme au second tour de la présidentielle, ne vaut pas adhésion à son programme. Même si je suis sensible à sa volonté de dépasser les antagonismes politiques et à son plaidoyer pour l’Europe. Comme l’économiste américain Joseph Stiglitz au soir du débat du second tour, je crois que nous sommes en quelque sorte condamnés à : «Changer le capitalisme pour vaincre le populisme.» J’invite ceux de mes compatriotes qui ont voté Emmanuel Macron par choix positif, à lire Christophe Guilluy (2).
Il faudrait citer ici longuement son dernier livre. Notamment lorsqu’il développe l’idée selon laquelle : «L’adaptation des sociétés européennes et américaines aux normes de l’économie monde passe par la mise en œuvre du plus grand plan social de l’Histoire, celui des classes populaires.» (3). Ou lorsqu’il illustre l’écart croissant entre la France d’en haut qui réside pour l’essentiel dans les grandes métropoles régionales où se développe la «nouvelle économie» et la France d’en bas des villes moyennes, des petites villes et du monde rural où l’emploi est volontairement sacrifié sur l’autel de la «société ouverte». Ce qui fige le pays dans cette dichotomie suicidaire : «D’un côté des métropoles embourgeoisées qui travaillent, de l’autre une France périphérique peuplée d’assistés.» (4) Avec la tentation, même à gauche et avec les meilleures intentions du monde, de faire du revenu universel une forme objective de résignation à la privation définitive d’emploi pour les plus modestes. Comme si le «panem et circensens» (du pain et des jeux) cher à la Rome antique, devenait l’horizon humaniste indépassable de la modernité occidentale !
Le FN comme symptôme d’un refus radical du modèle mondialisé
Pour Christophe Guilluy : «Le FN n’est qu’un symptôme d’un refus radical des classes populaires du modèle mondialisé» (5) Sans en être l’unique symptôme. La poussée des insoumis est en parfaite convergence avec cette analyse. Sans prétendre être leur porte parole, Gaultier Bès, directeur adjoint de la revue Limite et auteur d’un ouvrage récent intitulé Radicalisons-nous !, (6) exprime bien cette pensée lorsqu’il écrit dans la Croix : «Nous avons besoin d’une alternative radicale à la mondialisation libérale, destructrice des sociétés comme des écosystèmes.» (7)
Quelle que soit la détermination manifeste d’Emmanuel Macron à aller au bout de la mise en œuvre de son programme, fort d’une légitimité démocratique incontestable, il ne pourra éluder la question : comment réintégrer la «France d’en bas» dans une économie mondialisée qui se nourrit de sa marginalisation voire de son exclusion ? Le souci, sincère, de la justice sociale peut-il suffire à pallier les impasses d’un modèle économique non durable, non généralisable, dénoncé avec force par le pape François dans son encyclique Laudato si’ ? L’alternative n’est pas entre une société ouverte et une société fermée, mais entre une société durable, ouverte à tous, et une société en réalité fermée sur l’illusion d’un progrès réservé à une minorité.
La tentation du parti unique
Dans son diagnostic de notre vie politique, Christophe Guilly écrit encore : «Reflet d’un modèle unique, les métropoles annoncent la politique unique, en attendant le parti unique» car, poursuit-il : «Les bourgeoisies de gauche comme de droite sont tentées par le parti unique.» (8) Comment ne pas lire dans la stratégie d’Emmanuel Macron, confirmation de cette analyse ? Est-ce un hasard si les grandes métropoles (Paris, Lyon…) où cohabitent une bourgeoisie de droite plutôt favorable au parti LR et cette «nouvelle bourgeoisie» de gauche acquise à l’économie de marché ont plébiscité le candidat d’En marche avec des scores oscillant entre 80% et 90% des suffrages ? Peut-on donner tort, par esprit de principe, à la dénonciation faite par le FN d’un UMPS même relooké ? Peut-on continuer à plaider auprès des citoyens, qu’il n’existerait aucune alternative à un système que nombre d’entre eux vivent comme une oppression ?
Il est possible que le souci du Bien Commun, cher aux catholiques mais plus largement à nombre de démocrates et républicains sincères, appelle aujourd’hui à donner loyalement au nouveau Président de la République les moyens de son action. Mais «en même temps», selon une phrase qu’il affectionne et qui exprime tout simplement la prise en compte de la complexité du réel, pousse à la recomposition de forces politiques capables d’incarner demain une possible alternance, fusse vers une «radicalité sans extrémisme», pour reprendre ici la distinction opérée par Gaultier Bès dans son livre.
Le temps de la décantation, nécessaire à la clarification
Cette double exigence donne à penser que ce n’est pas au cours des prochaines semaines, dans la précipitation, que s’opérera cette recomposition. Elle n’interviendra que progressivement, après le scrutin. Car enfin : voilà une gauche en miettes, des écologistes invisibles, un FN que son échec renvoie à ses divisions, une droite menacée d’éclatement par la dynamique macronienne… Il est illusoire – il serait coupable – d’imaginer gommer et dépasser cela en un mois. Le temps de la décantation est nécessaire à la clarification. Le temps aussi des relectures sans concession et des remises en question, pour identifier les aveuglements qui ont conduit le pays à une telle crise.
Cela suppose d’abord que toute honte bue, mais sans irénisme, nous acceptions de nous interroger sur les conditions d’un vouloir vivre ensemble, dans une France dont nous aurions appris à redevenir fiers. J’ai la faiblesse de penser qu’au-delà de ses excès même et de ses violences, la campagne que nous avons vécue nous a peut-être aidés à accéder à cette forme de sagesse citoyenne.
René POUJOL
Ancien Directeur du Pèlerin
- Cef, Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique. Ed. Bayard-Cerf-Mame, 2016, 100p.
- Christophe Guilluy, Le crépuscule de la France d’en haut, Ed. Flammarion, 2016, 260 p.
- op.cit p.87
- ibid. p.48
- ibid p.174
- Gaultier Bès, Radicalisons-nous ! Ed. Première parttie, 2017, 130 p.
- La Croix du 4 mai, p.27
- Le crépuscule de la France d’en haut, op cit. p.42 et p.178