Cours clandestins, rendez-vous secrets: la résistance de Raqa à l'Etat Islamique
07 juin 2017Une réfugiée syrienne qui a fui Raqa dans le village d'Ain Issa le 3 juin 2017 © DELIL SOULEIMAN / AFP/Archives
Rendez-vous romantiques secrets, boîtes aux lettres mortes, leçons clandestines de mathématiques. Telles sont les formes de résistance sous le règne du groupe jihadiste Etat islamique (EI) dans son bastion syrien de Raqa.
A partir de 2014, l'EI gouverne d'une main de fer cette ville du nord de la Syrie en guerre où vivent quelque 300.000 personnes, imposant son interprétation rigoriste de la loi musulmane.
Alors que les forces antijihadistes sont entrées mardi dans la ville, au début de l'assaut final, des résidents ont accepté de raconter à l'AFP leurs années de résistance passive à l'EI.
Sami, 24 ans, a rencontré Rima, de deux ans sa cadette, lors des grandes manifestations pacifiques contre le régime en 2011, point de départ de la révolte dans le pays.
"Nous avions l'habitude de nous voir, de discuter dans la rue, de nous assoir ensemble dans des espaces publics", confie à l'AFP ce jeune homme, qui utilise un pseudonyme pour se protéger car il habite toujours à Raqa.
Mais avec l'arrivée des jihadistes, tout a radicalement changé. La hisba, la "police religieuse" de l'EI, a contraint la population à se conformer à un code vestimentaire imposé par les jihadistes et interdit toute relation entre célibataires des deux sexes.
Les deux tourtereaux doivent alors utiliser des trésors d’ingéniosité pour cacher leur amour.
"On s'écrit des messages transmis par des enfants", dit Sami. Comme les liaisons satellitaires et l'internet privé sont bannis, il écrit des messages électroniques dans des cafés internet gérés par l'EI et Rima les lit quand elle peut s'y rendre à son tour.
C'est une version romantique des boîtes aux lettres mortes utilisées durant des années par les espions pour s’échanger des informations ou se fixer des rendez-vous.
- 'Je voulais mourir' -
Parfois, le couple prend le risque d'un rendez-vous sur une place publique pour échanger des regards furtifs.
"Elle me dit par exemple qu'elle quittera son domicile à telle heure. Nous nous donnons rendez-vous dans un magasin", ajoute avec émotion Sami.
Rima entre dans le magasin, le visage totalement caché par un voile noir, selon les règles édictées par l'EI, mais Sami la reconnaît toujours. "Je rentre et parle avec elle quelques instants avant qu'un gars de Daech (acronyme en arabe de l'EI) n'arrive et ruine tout".
Un jour, la chance a tourné. Sami a regardé impuissant et de loin des agents de la hisba interpeller Rima pour ses habits "jugés non conformes".
"J'étais tellement en colère et j'ai commencé à pleurer mais elle m'a fait signe de ne pas m'approcher. Ce jour-là, j'ai voulu mourir".
Les parents de Rima étaient d'accord pour un mariage à condition que les amoureux quittent Raqa mais les difficultés financières les ont dissuadés de partir. Ils sont toujours ensemble et à Raqa.
Des milliers de personnes ont fui la ville au fur et à mesure que s'approchaient les Forces démocratiques syriennes (FDS), l'alliance arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis.
- 'Bombes à retardement' -
Quand l'EI a pris Raqa, il a fait main basse sur l'une des ressources les plus précieuses: les écoles.
Comme ils l'avaient fait dans d'autres villes, les jihadistes ont remplacé le programme traditionnel, dont les cours de physique et chimie, par un enseignement religieux et macabre.
"Les cours de maths consistent à compter le nombre de fusils, de pistolets, d'explosifs, de voitures piégées", assure un ancien enseignant d'une école publique, parlant sous couvert de l'anonymat.
Un des sujets enseignés aux enfants est la manière de mener une attaque suicide et "les vierges" dont seront récompensés, selon l'EI, ceux qui mènent des attaques.
"Ces cours transforment ces enfants en bombe à retardement", note ce professeur qui a refusé d'enseigner sous la botte de l'EI.
Les parents, aussi, ont cessé d'envoyer leurs enfants à l'école, craignant que leur progéniture ne soit victime d'un lavage de cerveau.
Ils préfèrent trouver d'anciens enseignants pour leur demander de dispenser à la maison des cours particuliers de biologie, d'anglais et de maths.
Pour éviter de se faire remarquer, l'enseignant arrive à une heure précise chez l'étudiant pour des cours particuliers ou en petits groupes.
"Ces enseignants vivent dans la peur. Mais nous estimons que nous devons offrir aux enfants une éducation sans violence", assure à l'AFP le même enseignant.
Le père de deux garçons de sept et neuf ans a demandé à son ami, un professeur, de donner des cours particuliers à ses fils. "Cela nous fait peur de penser que nos enfants vont penser comme Daech, en parlant de takfir (apostat), d'esclaves ou de vierges. Cela détruit une génération".
AFP