Police et Humanisme : « Le policier avec complément d’âme »
27 juin 2017Le major Alain Darzacq, en poste à la police nationale de Bordeaux depuis douze ans, fait rimer police avec humain. Photo Thierry DAVID
Le major de la police nationale, Alain Darzacq, a monté l’association Police et Humanisme à Bordeaux. Lui et son bâton de pèlerin. Rencontre.
On dit que le soldat saint Martin avait partagé son manteau en deux d’un coup de glaive, pour couvrir un miséreux échoué sur une route. Saint Martin est le patron de l’association Police et Humanisme qui rassemble en France 200 adhérents, policiers catholiques. Dont un seul à Bordeaux. Il s’appelle Alain Darzacq, gradé le plus haut parmi les gardiens de la paix, il est major au sein de la police nationale. Et du genre à tailler son manteau en deux.
L’association des deux mots « police » et « humanisme », antinomique par excellence, prête à sourire. Est-ce une blague ? Alain Darzacq ne rit pas. Taux de suicide dans la police française aujourd’hui : 32,4 pour 2 000. « La preuve d’une souffrance en interne, admet le major. La preuve aussi sans doute de la prise de conscience d’un dysfonctionnement. II existe dans la police un code de déontologie. Si le texte est écrit dans le marbre, il a eu du mal à être appliqué au pied de la lettre. »
Les dérives de la police
Catholique convaincu, Alain Darzacq a intégré la police après l’armée. Formé pour être dessinateur industriel, une affiche de propagande pour entrer dans la police l’a singulièrement attiré. Il était écrit : « La police, un métier d’homme ». « Et moi, j’ai vu là un métier aux qualités humaines. Je croyais naïvement aux valeurs fraternelles et de solidarité. Oui, j’étais idéaliste. Et j’ai été déçu. Sur le terrain, l’individualisme, l’égoïsme prédominaient. Les fonctionnaires étaient d’abord des exécutants, par crainte, par manque de courage, ou pour se protéger. Ma foi a résisté à toutes les intempéries, je n’ai jamais cédé. »
« Envers et contre tout j’ai toujours cru en l’homme, et pourtant j’ai vu les pires choses. Dans le cadre de mon travail, puisque j’ai été longtemps enquêteur, mais aussi en interne. Abus de pouvoir, copinages, réseaux… J’ai vu venir toutes les dérives de la police, qu’aujourd’hui enfin nous ne tolérons plus. J’ai vu des brigades entières de ripoux, des patrons mouillés jusqu’au cou dans des trafics. Inadmissible. »
S’il évoque ce passé récent, c’est qu’aujourd’hui on sait. Et puis, ajoute-t-il, « l’administration a mis en place des systèmes de contrôles internes, la police des polices ». Mais, lui, avec son bâton de pèlerin, n’a jamais lâché ses convictions. Il a vu venir à lui des collègues de tous bords. Épuisés, au bout du rouleau, ou simplement désireux de vivre mieux avec leur boulot. « J’ai été formé aux risques psychosociaux, mais personne ne le sait dans la police. C’est spontanément que tous ces gens sont venus vers moi. Qu’ils s’épanchent. Je reconnais que je suis une espèce de prophète, et je suis persuadé qu’un policier chrétien peut être un excellent conseiller, garant d’intégrité, d’honnêteté. Un éclaireur en même temps qu’un veilleur. La police est fragilisée aujourd’hui et a besoin d’un complément d’âme. »
« Une prise de conscience »
L’association Police et Humanisme, dont il est à Bordeaux le seul représentant, fête son 50e anniversaire. À cette occasion, Alain Darzacq a organisé une messe à l’église Notre- Dame, célébrée par le cardinal Ricard. Deux mois pour mettre en place cet événement, attirer des partenaires institutionnels et imposer sa crédibilité. Ils étaient 400 rassemblés à l’église, vendredi dernier. La délégation bordelaise de Police et Humanisme vient de naître. Fort de ses trente-deux ans de police, le major prophétise encore. « La police a pris conscience de ses dérives, oui, mais les tensions sociales vont se poursuivre, d’où la nécessité que nos décideurs soient bien entourés. »
Lui, prône une communication plus transparente, du partenariat actif et de la prévention à tous les étages. De la maternelle aux facultés. « Plus que quiconque, nous avons conscience du caractère éphémère de l’être humain. La mort, nous sommes confrontés à elle au quotidien, alors il ne faut pas traîner. »
isabelle castéra
SUD OUEST