500 ans de Réformes. Discours de Gérard Collomb, ministre d'Etat, de l'Intérieur et des cultes !
29 oct. 2017Allocution de M. Gérard COLLOMB, Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur à l’occasion de la cérémonie d’ouverture « Protestants en fête »
500ème anniversaire du protestantisme Conseil de l’Europe, Strasbourg , vendredi 27 octobre 2017
Monsieur le Président du Bundestag,
Madame la Présidente de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe,
Monsieur le Pasteur, Président de la Fédération Protestante de France,
Monsieur le Président de l’Eurométropole de Strasbourg,
Monsieur le Maire de Strasbourg,
Monsieur le Président de l’Union des églises protestantes d’Allemagne et de Lorraine,
Messieurs les représentants des autorités religieuses,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
C’est un honneur d’inaugurer ce soir l’événement « les Protestants en fête », organisé à l’occasion du 500ème anniversaire de la Réforme.
Je tiens à remercier chaleureusement le pasteur CLAVAIROLY de son invitation, qui me permet de m’exprimer pour la première fois devant la communauté protestante française depuis ma nomination comme Ministre de l’Intérieur, Ministre chargé des relations avec les cultes.
Mais aujourd’hui, je ne vous parlerai pas seulement de la France. Car si le pasteur CLAVAIROLY a souhaité que cette cérémonie se tienne dans la belle enceinte du Conseil de l’Europe, s’il a voulu qu’elle se conclue par une interprétation de l’Hymne à la joie, s’il a invité, cher Wolfgang SCHAUBLE, le Président du Bundestag, c’est bien pour signifier, à l’occasion de cet anniversaire, les liens singuliers unissant la Réforme et l’Europe.
Et c’est vrai : la publication des 95 thèses de Luther sur les murs de l’église de Wittenberg le 31 octobre 1517, est de ces rares moments ayant profondément changé le cours de l’Histoire de notre continent.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je suis venu partager avec vous ce soir : l’apport décisif du protestantisme à l’Histoire de l’Europe. Ce faisant, j’ai conscience que je pourrai susciter quelque réserve chez ceux qui, en France, considèrent la laïcité comme un principe de rejet du fait religieux.
Mais je suis de ceux qui pensent que la laïcité républicaine est une laïcité de liberté, une laïcité capable de reconnaître tout l’apport des différents courants spirituels à la construction de notre civilisation.
Et, en l’espèce, le rôle du protestantisme dans la construction de la civilisation européenne est tout à fait majeur.
Oui, comme l’avait dit dans une jolie formule le pasteur André BIRMELÉ, qui fut doyen de la faculté de théologie protestante de Strasbourg : les « trésors sécularisés » légués par la Réforme à nos sociétés sont immenses.
Et ce soir, ce sont ces « trésors sécularisés », qu’avant l’intervention de Wolfgang SCHLAUBE, je tiens à mettre en valeur.
● En soulignant d’abord qu’il y a cinq cent ans, naît avec la Réforme, la conception moderne de la liberté individuelle.
Alors que soufflait en Italie, en France, le vent nouveau de l’innovation technique, scientifique, et culturelle, la Réforme fut porteuse d’une révolution intellectuelle radicale.
Dans des sociétés dominées par l’angoisse existentielle du Salut, dire « sola gratia, sola fide », révéler que la grâce divine dépend de la seule foi, constituait en effet pour chaque homme, pour chaque femme, la promesse inédite d’un affranchissement.
A la conception organique de la société, se substituait alors celle d’une société d’individus désormais invités à vivre leur foi dans un rapport direct avec Dieu, dans une liberté de conscience totale.
L’historien Guillaume LEONARD résume bien ce changement profond de paradigme.
Evoquant Jean CALVIN, il souligne : « plus qu’une théologie nouvelle, c’est un homme nouveau et un monde nouveau, l’homme réformé et le monde moderne » qui apparaissent alors.
Et il est juste de dire que l’homme moderne, celui que les Lumières feront émerger dans sa plénitude, cet homme-là surgit en ce début du XVIème siècle.
● Si la Réforme fit l’homme absolument libre, elle définit aussi l’absolue égalité entre les êtres humains.
Bien sûr, ce principe se trouvait déjà contenu dans les Evangiles, et chacun connaît ici la phrase de la lettre de Saint Paul aux Galates : « il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un dans le Christ Jésus ».
Mais en développant la notion de « sacerdoce universel des croyants », la Réforme marqua une véritable rupture.
Car dans les sociétés de l’époque, l’idée que toutes les femmes et les hommes se trouvaient à équidistance de Dieu, pouvaient exercer, sans distinction aucune, le ministère du culte apparut comme un choc.
Comment alors justifier une société hiérarchisée, divisée en ordres, entre ceux qui combattent, ceux qui prient et ceux qui travaillent ?
Comment faire perdurer dans ce contexte les systèmes de féodalité qui étaient partout la règle ?
Une brèche s’ouvrit donc, qui ne se refermera qu’avec l’avènement de la démocratie.
● Liberté, égalité, je pourrais classiquement souligner, Mesdames et Messieurs, combien la Réforme contribua à inscrire dans le système de valeurs européen cette belle notion de fraternité qui constitue le fil rouge de ces trois jours. Et j’ai à l’esprit la phrase du théologien protestant Karl BARTH qui disait « nous sommes humains dans la mesure où nous sommes ensemble ».
Mais je voudrais partager avec vous ce qui est l’un des « trésors sécularisés » les plus précieux de la Réforme : je pense au nouveau rapport à la raison qu’elle instaura.
On le sait : au principe sola fide (« la foi seule »), Martin LUTHER ajouta un autre principe - sola scriptura (« le texte seul »). Quant à Jean CALVIN il souligna la nécessité de distinguer l’ordre spirituel, auquel on accède par la foi, et l’ordre temporel, que l’on peut atteindre par la raison.
Ces affirmations fortes des deux pères du protestantisme traduisent une même vérité : dans l’éthique de cette religion nouvelle, chaque croyant est invité à faire usage de sa raison.
Dans le but d’interpréter le texte sacré, bien sûr. Mais plus largement de se construire en tant qu’individu.
C’est là une des contributions majeures de la Réforme : cette idée que chacun peut, par l’éducation, par la fréquentation des textes, développer ses propres facultés.
Au fond, comme l’écrit l’historienne française Mona OZOUF, « Luther avait rendu nécessaire ce que Gutenberg avait rendu possible ».
Mesdames et Messieurs,
C’est donc au moment de la Réforme qu’apparaissent quelques-uns des principaux piliers de ce qu’on peut appeler l’« esprit européen », ce corpus de pensée unissant encore aujourd’hui les peuples de nos différents pays.
Cet esprit, bien des traditions philosophiques, bien des courants spirituels, bien des religions, l’ont depuis nourri, enrichi, fait grandir au cours des 500 ans qui nous séparent de ce début du XVIème siècle.
Et si je ne vais pas ici retracer dans le détail ces cinq siècles d’Histoire, je tiens toutefois à mettre en lumière quelques-uns de ces moments-clé où le protestantisme a, de nouveau, infléchit l’Histoire de notre continent.
● Il y eut d’abord, un peu plus d’un siècle après la Réforme, l’élaboration des traités de Westphalie. Alors que l’Europe se déchirait depuis trente ans dans des guerres incessantes à l’origine de millions de morts, c’est en effet un protestant hollandais, Henri GROTIUS, qui, avec un ouvrage publié en 1526, posa les principes d’une paix garantie par un équilibre des puissances entre Etat-Nations.
A l’évidence, ce n’est pas la moindre contribution du protestantisme à l’esprit européen, que ce célèbre traité aujourd’hui encore au cœur du droit international.
● Il y eut ensuite - comment ne pas le citer- le mouvement des Lumières. Celui-ci procède, on le sait, d’une grande diversité de traditions philosophiques. Mais les philosophes protestants y jouèrent un rôle décisif, et chacun a en tête le rôle pionnier d’un John LOCKE, d’un Emmanuel KANT, ou d’un Jean-Jacques ROUSSEAU, dans l’émergence des Droits de l’Homme et la promotion « nouveau contrat social », des valeurs qui aujourd’hui encore font de l’Europe un phare pour le monde. Une nouvelle fois, l’apport de votre courant spirituel fut donc déterminant.
● Comment ne pas mentionner également, au XIXème siècle, la place des protestants dans la création et le développement de ces ONG qui répondaient à la grande question de l’époque : la question sociale.
Il y a la plus célèbre d’entre-elles, la Croix Rouge, créée en 1863 par le protestant suisse Henry DUNANT, qui obtint pour cela le Prix Nobel de la Paix.
Mais que ce soit sur le sujet du droit des réfugiés avec la CIMADE, celui du soutien aux infirmes et aux aveugles avec la Fondation Lambrechts, celui de la lutte contre l’exclusion avec l’Armée du Salut, les protestants ont contribué à faire émerger le grand courant européen d’attention aux plus démunis.
● Enfin, je veux citer en cet hémicycle du Conseil de l’Europe, votre contribution à l’œuvre de Paix la plus importante du XXème siècle : la construction européenne. Car bien avant les pères fondateurs, nombre de protestants s’engagèrent en faveur d’une certaine idée de l’Europe.
Il y a bien sûr des personnalités connues de tous comme Denis de ROUGEMONT, un des plus ardents défenseurs du fédéralisme.
Mais vous me permettrez de citer aussi Henri LAUGA qui, dans un des premiers numéros du journal Réforme, en appelait dès 1945, à des solutions d’intégration avancée entre nos différents Etats, indispensables selon lui à la prospérité et à la paix.
Oui, Mesdames et Messieurs, pour reprendre en l’amendant une formule utilisée par le Président Emmanuel Macron il y a quelques semaines : le protestantisme coule donc bien dans les veines de l’Europe.
Et il est vrai qu’à chaque étape marquante de l’Histoire de notre continent, les protestants ont été au rendez-vous, conduisant les peuples européens à surmonter les crises auxquelles ils étaient confrontés, leur permettant de promouvoir ces valeurs de liberté, de paix et de tolérance, qui caractérisent notre civilisation.
Si je souhaitais rappeler ce passé, c’est évidemment pour rendre hommage à ces figures dont nous sommes les modestes héritiers et pour les populariser auprès de ces jeunes générations participant en nombre à ces journées. Mais c’est aussi parce qu’elle doit éclairer notre action présente.
Agrégé de Lettres Classiques, j’ai toujours à l’esprit cette phrase de Sénèque dans les lettres à Lucilius : « le passé doit conseiller l’avenir ».
Commémorer les cinq cent ans de la Réforme, c’est donc aussi pour moi tirer les leçons de ce passé.
C’est dire qu’à l’heure où notre continent se trouve à nouveau confronté à des défis majeurs, l’éthique protestante peut, comme elle l’a fait par le passé, constituer pour les Européens sinon une boussole, du moins une fructueuse source d’inspiration.
Madame la Présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,
Comment ne pas évoquer ici la montée sur notre continent des populismes à laquelle le Conseil de l’Europe a dédié son traditionnel rapport sur l’état de la démocratie ?
On ne peut que partager le constat formulé dans ce texte.
Oui, les nations européennes sont de plus en plus traversées par des dérives « illibérales », avec des mouvements politiques rejetant, au nom du pouvoir absolu du peuple, des principes comme le pluralisme, le droit d’expression des minorités, que jusqu’à récemment on pensait intangibles.
Le rapport le décrit : de telles idéologies prospèrent bien souvent sur une manipulation organisée de l’information, quand ce n’est pas sur la diffusion de fake news dont on a vu récemment comment elle pouvait faire basculer des élections.
Face à ce phénomène, une des solutions préconisée par le Conseil de l’Europe est de favoriser le développement de l’esprit critique et d’une analyse éclairée de toutes les formes de discours. Je partage évidemment ce constat.
Et si bien sûr, les Etats, les institutions européennes, ont beaucoup à faire en ce domaine, c’est à mon sens toute la société qui doit se mobiliser.
C’est pourquoi je veux saluer l’action exemplaire de la communauté protestante, qui, au travers de ses fondations, n’a jamais cessé d’œuvrer pour éduquer le plus grand nombre, pour élever la majorité.
Luther écrit : « le salut et la force d’un pays résident dans la bonne éducation, qui lui donne des citoyens instruits, raisonnables et honnêtes ».
Vous appliquez ce beau précepte avec une conviction sans cesse renouvelée.
● Un second enjeu évoqué dans le rapport du Conseil et auquel, comme Ministre de l’Intérieur, je suis confronté au quotidien, est bien sûr la tentation du repli identitaire.
Crise économique, menace terroriste, défi migratoire : les sociétés européennes sont traversées par des bouleversements majeurs.
Avec la tentation toujours plus grande parmi les populations de choisir la fermeture, le repli sur soi, le regroupement par catégorie sociale ou par affinité religieuse. Et finalement, le risque que se ravive dans nos sociétés [les plus mortifères des divisions et des oppositions].
Là encore, face à cette tendance rampante, le protestantisme a, par son Histoire, un message essentiel à porter.
Lui qui a toujours été confronté, souvent dans le sang, à la question des rapports avec les autres religions ; lui qui, dès son origine, a été marqué par une grande diversité ; lui qui a en effet cultivé, au fil de son Histoire, une remarquable tradition d’ouverture, d’œcuménisme, de dialogue avec les religions pouvant s’avérer infiniment précieuse.
Cher François CLAVAIROLY, vous définissez mieux que quiconque cette réalité quand vous écrivez que « le dialogue interreligieux trouve toujours sa cause dans le désir de nouer des liens là où la violence identitaire et conditionnelle menace, là où l’ignorance nourrit le ressentiment»
Comme vous, comme je le sais Wolfgang SCHAUBLE, je suis convaincu que la concorde et l’apaisement dans nos sociétés passe par le dialogue entre ses différentes composantes.
C’est pour cela que j’ai proposé la création en France, d’une instance informelle réunissant les principaux cultes autour du Ministre de l’Intérieur.
Mais nous devons nous projeter à une échelle plus importante encore. Et je veux saluer ici l’engagement de la Fédération protestante de France pour promouvoir à l’échelle européenne un œcuménisme toujours plus profond.
● Enfin, vous me permettrez avant de conclure d’évoquer une dernière thématique sur laquelle vous êtes tant engagés : la protection de l’environnement.
On a pu croire avec la COP21 dont nous fêterons dans quelques semaines les deux ans, que ce sujet porté très tôt par les protestants, faisait consensus au sein de la communauté internationale.
On voit bien aujourd’hui qu’il n’en n’est rien, et qu’il s’agit d’un combat de valeurs à mener sans cesse.
Suivant votre méthode, celle de l’exégèse du texte sacré, je citerai donc deux passages de la Bible.
Le Premier livre de la Genèse d’abord. Il faut avoir lu cette ode extraordinaire à la création, cette description d’une Terre luxuriante pour comprendre combien il nous faut nous battre pour la préserver.
Le livre du Lévitique ensuite, où l’on trouve cette prophétie visionnaire : « la terre ne se vendra pas […] vous êtes chez moi résidents temporaires »
Eh bien c’est aussi cela, le beau message du protestantisme : l’invitation à s’engager, comme le font tant des vôtres, pour protéger notre planète, pour la léguer, dans de bonnes conditions, aux générations futures.
Mesdames et Messieurs,
A vous tous, à l’ensemble des protestants du monde – et je sais qu’ils sont de plus en plus nombreux en en Afrique, Amérique, en Asie et en Océanie, je tiens à nouveau à souhaiter un très bel anniversaire.
Puisse la fraternité que nous ressentons tous en cette salle vibrante de joie et de foi, porter loin, et se diffuser à l’ensemble des peuples d’Europe.
Merci à tous.
Je vous remercie.