Accueillir les Migrants en Eglise
14 nov. 2017Livret réalisé par la Pastorale des Migrants, le CCFD Terre Solidaire, le Secours Catholique Caritas France, l’ACAT France et le Service des Jésuites pour les Réfugiés
Depuis quelques années, Les élans de générosité ainsi que La mobilisation individuelle et collective pour accueillir les migrants ne cessent de s'amplifier. Partout en France, on s'organise, on redouble d'ingéniosité et d'audace pour permettre à des migrants de vivre dignement et d'être entourés et soutenus au quotidien. Il n'est pas œuvre facile de se mobiliser sur ce type de sujet car l'accueil des migrants est bien loin de faire l'unanimité dans l'opinion publique et même en Église. Cet engagement fait l'objet de contestations régulières. Devant l'immensité de la tâche, on peut aussi vite être rattrapé par le découragement mais chaque personne qui s'engage a à cœur de prendre sa part avec d'autres. Des chrétiens, des paroisses, des mouvements d'Église, des citoyens divers y contribuent.
Pourquoi se mobiliser ?
Ce livret est destiné à toutes personnes désireuses de se lancer dans un accueil de migrant avec sa paroisse, son mouvement d'Église ou à titre individuel.
Il permet de découvrir les enjeux de l'accueil de migrants en Église et propose des repères pour bien démarrer. La dernière partie du document est l'occasion de s'interroger sur ce à quoi nous invitent cette rencontre et cet accueil de l'étranger en Église.
La Bible rend compte des migrations qui existent depuis Le fond des temps. Le peuple hébreu a connu l’esclavage en Egypte, l'errance dans le désert, l’exil à Babylone... Le deuxième Livre se nomme d’ailleurs "Le Livre de l'Exode". Tout au Long de L'Ancien Testament, cette dimension d'ouverture se traduit par une invitation constante à accueillir L'étranger « Souviens- toi que tu as été étranger » Exode 21,22 malgré les réticences souvent exprimées. C'est pourquoi l'exigence du respect de l'émigré est parmi les fondements de la pensée de L’Eglise. L'émigré est cet étranger déraciné qui a laissé derrière lui sa maison, ceux qu’il aime, son pays natal parfois défiguré par la guerre et la violence. La tentation d'ériger des murs pour protéger un ordre établi reste pourtant constante, mais l'histoire montre qu'à un moment ou à un autre ils sont détruits, entraînant la chute de ceux qui les ont élevés ; dans les Evangiles, les étrangers occupent une place importante et, par leur capacité à reconnaître en Jésus le Fils de Dieu, collaborent au salut.
Jean Paul II, à l'occasion de la journée mondiale des migrants en 1996, rappelait que l’Eglise est un lieu où les migrants sont reconnus et accueillis comme des frères et que les diocèses ont le devoir de se mobiliser pour que ces personnes trouvent un sentiment de fraternité dans les communautés chrétiennes. En septembre 2015, le Pape François appelait chaque paroisse d'Europe à accueillir une famille de migrants. Cet appel a suscité de multiples mobilisations de solidarité de la part d'acteurs de la société civile en lien avec des paroisses Cet événement lié à une actualité difficile a mobilisé nombre de paroisses et de groupes d’Eglise pour déployer des initiatives diaconales au service du plus fragile, en l'occurrence l'étranger. IL nous est donné comme un frère, une sœur à accueillir et servir. Le 21 février 2017, à L'occasion du forum international « Migrations et Paix », Le pape François a plaidé pour « un changement d'attitude envers les migrants et les réfugiés » : « d'une attitude de défense et de peur, de désintérêt », de « rejet », à « une attitude généreuse d’accueil ». Pour Lui, la réponse à la crise migratoire doit « s’articuler autour de quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer ». Il incite, à travers La campagne mondiale de Caritas sur les migrations, à « partager le chemin »
Par ailleurs, l’accueil de l’exilé, le refus de toute discrimination, le principe d’égalité, de liberté et de fraternité sont des valeurs fondatrices de la démocratie française. La fraternité est le chemin pour contribuer à un vivre ensemble plus paisible.
Au-delà des mouvements d’accueil et de vie fraternelle, il est essentiel de conjuguer cette mobilisation avec la Lutte contre les causes des migrations forcées et des situations d'injustice.
Comment se mobiliser ?
D'une manière générale, Les paroisses, les mouvements et services d’Eglise qui se mobilisent doivent s'attacher à travailler en partenariat et non pas seuls.
La complémentarité et la cohérence de nos actions respectives avec les acteurs publics comme les acteurs associatifs sur des projets d’accueil des migrants sont nécessaires. Il existe une pluralité d'acteurs intervenant sur ce champ (Etat, collectivités territoriales, opérateurs, associations, collectifs). Il est important d'identifier ce qui se fait déjà, de discerner ce qui est dans nos possibilités, de construire des collaborations avant de se lancer dans un projet d'accueil.
Dans nombre de diocèses ont émergé des plateformes de collaboration entre les mouvements et services de la Diaconie et les institutions civiles. Si ces coordinations ne sont pas en place, il est souhaitable de les encourager (même si cet accueil ne concerne que 2 ou 3 communautés chrétiennes). Ceci permet alors de maintenir un lien de communion entre la réalité locale d'accueil et toute l'Eglise diocésaine (et ses services : communication et parole de l'Évêque, gestion etc..) et la réalité locale d'accueil. Ainsi toute l'Église locale peut se sentir concernée par cet accueil et pas seulement quelques volontaires ;
Nous constatons que ces mobilisations ont permis de décloisonner le travail des acteurs d'Église et participent à une ouverture de tous. Il semble important de continuer à tenir ces postures et à encourager à l'avenir des collaborations dans cet esprit-là.
Près de chez nous, nous voyons des personnes migrantes, nous pouvons aller les rencontrer et nous mettre en lien avec le directeur du Centre d'Accueil et d'Orientation (CAO), les travailleurs sociaux ou associations déjà en lien avec eux. Il convient de connaître leur situation pour mieux adapter l'accompagnement et la présence fraternelle.
2 postures de départ essentielles
ü Considérer la personne ou la famille que l'on accueille comme participante active de son projet de vie
ü Toujours travailler avec d'autres et tisser des liens avec les partenaires et les travailleurs sociaux qui accompagnent les migrants
2 préalables importants
ü S'engager dans un accompagnement de qualité demande un engagement qui peut être amené à durer et qui prend du temps. Il est important de s'interroger au préalable sur les ressources humaines disponibles et d'anticiper l'identification de personnes ressources pour ne pas s'isoler dans l'action.
ü Être en équipe va permettre de trouver un équilibre dans la relation et de relativiser une certaine et légitime « émotion » que peut provoquer l'accompagnement des personnes migrantes.
ü Rechercher une « juste présence » de la part de personnes impliquées auprès de ces femmes, ces hommes, ces enfants venus d'ailleurs. Il faut veiller à les laisser « respirer » et à respecter leur espace d'intimité. C'est bien l'autonomie des personnes migrantes qui est recherchée
ü Plusieurs types d'actions peuvent être organisées en « équipe », en partenariat pour réfléchir à un accompagnement global de la famille/personne : logement, emploi, suivi administratif, apprentissage de la langue, droits et devoirs citoyens, vie quotidienne, présence et insertion dans les activités de la vie locale, dimension spirituelle, accompagnement scolaire, culture et loisirs.
Un accompagnement fraternel / vivre ensemble
ü Visites régulières des migrants, occasion d'être à l'écoute de leur récit de vie, de ce qu’ils veulent partager avec nous et de s'assurer que tout se déroule bien dans le logement et le quartier
ü Aider la personne migrante ou la famille à construire des liens vers l'extérieur en l'encourageant autant que possible à participer à des rencontres et activités.
Un accompagnement social / accès aux droits
ü Soutenir les migrants et Les accompagner dans l'accès à un statut (asile, régularisation...).
ü Soutenir les familles et les accompagner dans l'accès aux droits (logement, emploi, santé, prestations sociales.).
ü Soutenir Les familles migrantes et les accompagner sur Le volet de La scolarité des enfants (inscriptions, fournitures, cantine, accompagnement à la scolarité...) et de L'apprentissage du français pour les adultes.
Un accompagnement vers la culture et les loisirs
ü Sorties, visites de la région, jeux, visites de musées, activités conviviales, pique-niques, promenades, activités sportives.
ü Activités pour les enfants (sorties, éveil et loisirs, sports, vacances.) : en lien avec un groupe scout, MRJC, MEJ, une ou des associations et/ou les services de la ville.
Rayonnement de l'action / sensibilisation
ü Proposer un temps en amont de réflexion et de sensibilisation autour de la question de l'Autre, différent de moi, de ma perception sur les migrations afin de préparer mes frères et sœurs à la rencontre qui peut bousculer et effrayer
ü Proposer un apéritif après la messe avec des animations sur l'accueil de l'autre, l'interculturalité.
ü Organiser sur la commune, quartier, un événement festif avec des animations pour sensibiliser les habitants à l'accueil des migrants.
ü Vivre des temps de rencontres et de témoignages entre les personnes d'ici et de là-bas, par exemple des repas partagés.
ü Laisser une place, pendant la messe, pour permettre aux personnes de se présenter si elles le souhaitent, afin que la communauté puisse les accueillir.
ü Imaginer des formes de bénévolat, de « participation », d'association des personnes migrantes aux actions des paroisses du doyenné, de la vie locale.
Une rencontre qui déplace
Nous avons besoin aussi de celles et de ceux qui viennent d'ailleurs et qui possèdent peut-être dans leurs traditions, dans leurs croyances, dans leurs manières de comprendre la vie, des éléments indispensables à notre propre équilibre humain. Nous devons être assez lucides et assez modestes pour accepter et reconnaître que nous recevons autant que nous donnons, et que la rencontre ne peut jamais être conçue à sens unique ».
Se rencontrer
Dans cette épreuve de migration et en venant se réfugier en Europe, les personnes voient les orientations de leur vie fondamentalement remises en question Il est important d'en avoir conscience. Nous ne sommes pas des spécialistes pour les aider à se reconstruire mais notre présence à leurs côtés est une forme précieuse de soutien
Vivre la rencontre et le partage interpersonnel avec celles et ceux que nous accueillons contribue sans aucun doute à changer notre regard comme le leur. La connaissance de l'autre, la connaissance de celui qui n'est pas moi nous fait entrer sur un chemin où nous nous lions pour vivre ensemble en humanité. Maître de la rencontre, le Christ dans Les Evangiles en est un bon exemple
Il nous appartient à tous de vivre La rencontre pour vaincre nos réticences. En prenant le temps d’aller l'un vers l'autre, de se connaître, nous nous comprenons, acceptons nos différences et découvrons qu’elles sont sources de richesse. Nous sortons ainsi de l'idée de la migration pour entrer dans la relation avec la personne migrante
En partageant des activités ensemble, nous nous découvrons mutuellement
Il devient ainsi plus facile d'enrichir son témoignage d'exemples concrets pour lutter contre les préjugés et d'inviter d'autres à vivre cette rencontre. Nous pensions accueillir la misère du monde et nous sommes nourris de la force de vie des personnes migrantes.
Pi 3, 15-16 « Soyez toujours prêts à rendre compte de l'espérance qui est en vous mais faites-le avec douceur et respect ».
Une rencontre interculturelle et interreligieuse
Le multiculturalisme peut être une chance, une possibilité de construire quelque chose de nouveau. Plus spécifiquement, en Église, nous pouvons déployer une spécificité d'action liée à une attention spirituelle et pastorale en portant une attention particulière à la dimension interculturelle et interreligieuse.
Il est important de prendre le temps de découvrir l'expression religieuse que peuvent porter les personnes qui sont accueillies et, si celles-ci le veulent, de leur faire aussi découvrir la nôtre
Avant d'envisager des célébrations interreligieuses à proprement parler, il est opportun de privilégier une approche culturelle et fraternelle pour mieux se connaître et mieux se comprendre
Une rencontre qui interroge ma vie de croyant
La rencontre avec L'étranger qui vit une situation de fragilité est sûrement L'occasion d'interroger ma vie de croyant. IL me révèle quelque chose de Dieu Lire un texte biblique où il est question d’accueillir l'étranger, où il est question de le considérer comme son prochain à aimer, à servir, prend une dimension bien différente quand nous sommes confrontés à une rencontre réelle, longue et concrète avec L'étranger. La reconnaissance de tous ces liens, ces joies, ces visages qui m'habitent, me sont, comme croyant, signes, traces de La présence de Dieu dans ma vie.
Une rencontre à relire
La rencontre de La personne migrante nous déplace et de ce fait nous place dans un inconfort, une intranquillité. Nous faisons face à des questions posées qui sont immenses et complexes et demandent de s'inscrire dans une relation de longue durée. Nous sommes nous-mêmes habités par des peurs, des tensions, les liimites de nos compétences, les résonances avec notre propre histoire, à la difficulté de vivre une forme d'impuissance.
Les risques de l'usure, du découragement, du constat que rien ne bouge, nous guettent tous. Le temps donné, l'énergie dépensée peuvent nous sembler disproportionnés et causer un sentiment d'épuisement qui peuvent nous faire oublier les bienfaits engendrés par la rencontre
La relecture vient alors comme un élément nécessaire pour porter un regard renouvelé sur ce que nous vivons. Elle nous invite à repérer ce qui a l'effet d'une source pour l'autre comme pour nous. Elle n'est pas d'abord centrée sur la résolution des problèmes rencontrés, mais sur ce qui me fait du bien, ce qui est bon, savoureux, me rend heureux, me dynamise, me procure de la joie et m'invite à être attentif à la joie qui traverse les autres, la personne migrante, etc. La relecture c'est aussi se poser la question du sens et oser chercher les traces de l'Esprit de Dieu à l'œuvre à travers notre engagement et nos actions la relecture peut confirmer les actions entreprises mais aussi faire naitre Le désir d'ajustement nécessaire dans mon engagement
Ce qui est « source de vie » est reconnaissante au ressenti que je peux éprouver dans telle ou telle situation d'une joie paisible et profonde, qui ne me ramène pas à moi-même mais m'ouvre aux autres Je peux relire ce que provoque le fait de me sentir touché par quelqu’un, son histoire, son regard., de nous sentir proches de lui, liés à lui « frère » (L'expérience de la tendresse éprouvée.)
- Les réussites de celles et ceux que j'ai pu accompagner, leur fierté face à une réussite.
- La confiance reçue. le fait que des personnes se livrent en vérité et confiance, c'est un cadeau extraordinaire.
Qu'est-ce qui m'a donné de la joie, de l’élan, m'a dynamisé, m'a apaisé ?
Au contraire, ai-je ressenti de la tristesse, du découragement, de la colère. ?
En quoi est-ce que Le rapport à la communauté, aux partenaires a changé depuis le début de mon engagement ?
Comment ma vie de prière a changé ?
Est-ce que ma compréhension d'un texte biblique est devenu autre depuis cette expérience de rencontre ?
Est-ce que ma relation au Christ que l'on dit être présent dans le plus petit, le plus fragile, l'étranger a changé ?
Il est bien de pouvoir vivre ce temps de relecture en groupe avec les personnes avec qui nous partageons notre engagement auprès des migrants mais aussi avec les personnes que nous accueillons, si elles le désirent, afin de relire comment les liens se tissent entre nous. Etre dans un climat de confiance et de bienveillance, est primordial pour pouvoir vivre ensemble ce temps de partage.
Conclusion
Toutes Les actions qui favorisent l’accueil de migrants, nous humanisent car elles sont L'occasion de rejoindre Les moments essentiels de la vie : boire et manger ensemble, se parler et se comprendre, rire et réfléchir à l'avenir. Ces moments de rencontres dans le quotidien, nous rappellent notre humanité commune, notre engagement chrétien et notre responsabilité citoyenne qui va au-delà des frontières. Chacun et chacune trouve des moyens concrets pour semer des signes d'espérance et pour lutter contre le repli identitaire là où il est ancré (chez soi, dans son quartier, dans son école, dans son association, dans ses responsabilités professionnelles, auprès des élus.). Ainsi l'autre étranger nous permet de sortir de nos propres limites, de nos fermetures et nous entraîne dans la créativité, le renouvellement de l'espace de notre tente et de notre cœur. Celui qui nous est semblable nous appelle à être différent
Le Pape François disait Lors de son voyage au Mexique en 2016 « Nous ne pouvons nier la crise humanitaire qu'a représentée, ces dernières années, la migration de milliers de personnes, que ce soit par train, par la route, voire à pied parcourant des centaines de kilomètres à travers des montagnes, des déserts, par des chemins impraticables. Cette tragédie humaine, que représente la migration forcée, est aujourd'hui un phénomène global. Cette crise qu'on peut mesurer par des chiffres, nous voulons la mesurer par des noms, des histoires, par des familles... Demandons à notre Dieu le don de la conversion, le don des larmes, demandons-lui d'avoir le cœur ouvert, à son appel à travers le visage souffrant de tant d'hommes et de femmes ! »