MRJC : après une semaine de polémique sur l'IVG, “explication“ en vue à la Conférence des Evêques de France
27 janv. 2018Assemblée générale nationale du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC) sur le thème : « La place des citoyens dans la démocratie ». Aubervilliers (93),le 19 novembre 2016. © Corinne Simon / CIRIC
Depuis que le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) a publié un communiqué en faveur du « droit fondamental » à l’avortement, le 19 janvier, la polémique n'a cessé de prendre de l’ampleur. Une rencontre, prévue lundi 29 janvier au siège de la conférence épiscopale, sera l’occasion de s’expliquer.
« Erreur de jeunesse », plaident certains. « Maladresse », conviennent les intéressés. « Grossière erreur », insistent les autres. Une chose est sûre : l’équipe nationale du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) n’avait pas prévu qu'un communiqué puisse provoquer un tel remue-ménage au sein de l’Église catholique de France.
Rappel des faits. Vendredi 19 janvier, le MRJC publie sur les réseaux sociaux un communiqué dans lequel il se « désolidarise » de la « Marche pour la Vie » qui doit se dérouler deux jours plus tard à Paris. Le ton est sans appel : « Nous dénonçons les messages de culpabilisation, d’intolérance et de haine portés lors de cette marche ». Mais c’est la suite du texte qui suscite le plus d’incompréhensions et de réactions : « Nous défendons le droit fondamental pour les femmes et les couples d’avoir recours à l’IVG. » La réponse de la Conférence des évêques de France (CEF) ne se fait pas attendre : Vincent Neymon, secrétaire général adjoint et directeur de la communication, assure que « le MRJC ne peut s’extraire ainsi de l’Église » et exige même le retrait du communiqué. Le mouvement publie alors une autre déclaration, sans mention d'un « droit fondamental » à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), et invitant au « dialogue ». Mais rien à faire : le « couac » a du mal à passer.
Pourquoi cela ? Tout d’abord parce que le MRJC est bel et bien un « mouvement d’Église ». Fondé en 1963, il est l’héritier de la Jeunesse agricole catholique (JAC), créée en 1929, dans la lignée de l’Action catholique de la jeunesse française encouragée par le pape Pie XI. Aujourd’hui, le MRJC dispose d’un aumônier national nommé par la CEF et reçoit des subventions des diocèses – à hauteur de 574.553€ (soit 18% de leur budget) en 2016. Ensuite, parce que l’un des trois jeunes choisis par la CEF pour représenter la France au pré-synode des jeunes qui aura lieu au mois de mars, Adrien Louandre, 22 ans, fait justement partie du MRJC. Enfin, parce que l’Église est particulièrement attentive aux questions liées au respect de la vie, surtout au moment où vient de s'ouvrir, au niveau national, une période d'« états généraux » et de débats citoyens en vue de la révision de la loi bioéthique, prévue en 2019.
La polémique repart de plus belle
Passées ces premiers échauffements du week-end dernier, la controverse reprend le 24 janvier. Et c'est cette fois une tribune rendue publique par Mgr Bernard Ginoux, qui met de l’huile sur le feu. Dans un ton particulièrement virulent, l'évêque de Montauban affirme ne plus reconnaître le MRJC comme un mouvement de l’Église catholique, et affirme refuser désormais de lui verser une aide financière. Deux jours plus tard, le père Arnaud Favard, vicaire général de la Mission de France, prend au contraire la défense du MRJC dans une lettre ouverte.
Pendant ce temps, en coulisse, les mouvements de l’Action catholique et la CEF s'animent. Objectif : apaiser le débat. Heureux hasard du calendrier, une rencontre est prévue de longue date, lundi 29 janvier, à la CEF, entre les évêques du Conseil pour les mouvements et associations de fidèles, et les présidents de ces mouvements. La thématique, justement, porte sur « la prise de parole en public » ! L’occasion idéale, donc, de revenir sur la polémique. Pourtant, malgré les bonnes volontés, la discussion risque de se révéler compliquée : de part et d’autre, on ne parle pas le même langage. Plusieurs visions se confrontent, que ce soit sur la question de l’avortement ou celle du statut d'un mouvement d’Église.
Du côté de l’équipe nationale du MRJC, si on reconnaît la « maladresse » dans la forme du premier communiqué, l’heure n’est pas vraiment aux regrets mais à la justification. « Nous souhaitions apporter une autre parole, peut-être un peu maladroite théologiquement, mais pour montrer qu’il y a des chrétiens qui aimeraient rouvrir le débat. Nous voulions montrer qu’il y a une pluralité dans l’Église, que des catholiques ont pu avoir recours à l’IVG et que la parole qu’amène l’Église sur ce sujet met des personnes en souffrance », assure ainsi à La Vie Hugues Boiteux, secrétaire national et responsable de la communication du mouvement. « L’avortement, on ne le souhaite à personne, insiste-t-il. Cet acte va à l’encontre de la dignité des personnes. Notre phrase a été maladroite et reçue à tort comme un encouragement. »
Soutien d’autres mouvements
Interrogé également par La Vie, l'aumônier national du mouvement, le père Jean-Paul Havard, prêtre de la Mission de France, plaide en leur faveur. Basé dans le diocèse de Grenoble, il s’est empressé, mercredi dernier, d’aller rencontrer l’équipe nationale au siège du MRJC, à Pantin. S’il assure ne pas avoir été mis au courant en amont du communiqué, il invite à comprendre leur démarche : « Souvent, dans les diocèses, l’évangélisation est un peu “retournée” (…). Il s’agit, pour le MRJC, d’aider les gens à revenir dans le giron de l’Église. On voit aussi comment la sécularisation y est à l’œuvre. Et parfois, c’est aussi l’Église qui participe de la sécularisation, quand des personnes ont le sentiment de ne pas se s’y retrouver. »
C’est aussi ce que plaide Adrien Louandre, joint par La Vie : « Aujourd’hui à Amiens, on est très bien vu. Mais au début, on nous disait : “C’est des chrétiens, donc c’est des fachos.” Nous n’avons absolument pas honte de notre héritage chrétien. Mais les gens viennent discuter avec nous car le MRJC c’est aussi un gage de modération. » Hugues Boiteux abonde : « On est dans la doctrine sociale de l’Église, mais on est dans un entre deux, on fait avec la réalité des personnes. »
Cette démarche du MRJC sur l’IVG révèle en réalité un problème plus profond : le sentiment pour ses membres de de ne pas être suffisamment être pris au sérieux par l’institution catholique et d’être relégués à l’ombre des projecteurs. « Ils peuvent avoir le sentiment que ce qu’ils ont à cœur de travailler sur cette Église “servante et pauvre” du concile Vatican II compte peu, qu’ils sont considérés comme un reliquat du passé, des restes de l’aile “gauchiste” de l’Église », confie le père Havard.
« Cela me fait mal que le MRJC se donne un mal fou pour porter de nombreux projets sur la paix, à travers des dizaines de services civiques, un grand festival international à Besançon appuyé par le Vatican l’été prochain... et, résultat, on n’en parle pas. On parle de deux phrases à l’intérieur du communiqué », regrette, amer, Adrien Louandre.
Lundi 29 janvier, le MRJC pourra pourtant compter sur le soutien d’autres mouvements qui lui sont proches, parmi lesquels la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et les Scouts et Guides de France (SGDF). Ces mouvements ont prévu de se retrouver en amont de la réunion à la CEF. « Lundi, on rappellera qu’on soutient le MRJC, même si la parole a été très mal prise, et que ce communiqué a fait passer des idées qu’ils n’avaient pas », confie à La Vie François Mandil, délégué national des SGDF. Rappelant que les Scouts et Guides de France avaient soutenu la loi Veil en 1965, il ajoute : « Personne, ni le MRJC ni nous, n’a dit que l’avortement était anodin. Si l’avortement est un drame, on ne pourra jamais l’empêcher. Ce qu’on peut empêcher, c’est qu’une femme sur neuf meure d’un avortement clandestin. S’il y a une vie à protéger c’est la vie de ces femmes-là. Si on défend la vie, cela doit aussi interpeler. »
Pluralité vs. critères d’ecclésialité
Du côté de l’épiscopat, un sentiment général d’incompréhension domine. « Ce communiqué ne s’imposait pas. Pourquoi cette sorte de plaidoyer pour l’IVG, alors qu’aujourd’hui il y a 200.000 avortement par an ? On ne voit pas en quoi le “droit à l’avortement” serait menacé », s’interroge Mgr Jacques Habert, joint par La Vie, qui cherche toutefois à rester dans « l’écoute et l’accompagnement ». Évêque de Séez, il est en charge du « monde rural » à la CEF, et suit donc l’activité du MRJC.
Lundi, la conversation à la CEF s'attardera donc probablement sur la question de la pluralité dans l’Église. Pour Mgr Jacques Habert, « il faut vraiment distinguer le fond et la forme. Sur la forme, Dieu merci, l’Église est plurielle : il y a des formes d’apostolat, de présence au monde et d’être chrétiens. Mais ensuite, il y a le fond : la Révélation, le magistère. Ce ne sont pas des questions accessoires. Si tout le monde pense ce qu’il veut et dit ce qu’il veut, sur tout et son contraire, il n’y a plus de communion. Or, un mouvement d’Église doit être en communion avec la pensée de l’Église. »
Cette notion de pluralité, pour les évêques, se heurte en effet à un autre principe fondamental : les « critères d’ecclésialité » auxquels doivent correspondre les mouvements d’Église, définis par Jean Paul II dans l’encyclique Christifideles Laici (1988). Parmi ces critères, figure celui de la communion avec le pape et les évêques. Interrogé par La Vie, Mgr Dominique Blanchet, évêque de Belfort-Montbéliard et président du Conseil pour les mouvements et associations de fidèles, précise : « Le problème, ce n’est pas d’être contraire à ce que prône la Marche pour la Vie – qui n’est pas, d’ailleurs, une initiative de l’Église catholique. Cela fait partie de la libre expression, nécessaire, de tous les mouvements de fidèles. Ils posent une vraie question au passage : comment fait-on pour promouvoir la vie ? Le problème, c’est que c’est contraire à ce à quoi rend attentif l’Église sur la défense de la vie et sur le questionnement face à l’IVG. »
En somme, le statut du MRJC, en tant que mouvement d’Église, exige d’eux une attention particulière dans la manière de s’exprimer publiquement. « Dès qu’on est dans un mouvement d’Église, il y a une forme de représentation de l’Église. La CEF met en place une aumônerie nationale, les subventionne, met des locaux à leur disposition dans leur diocèse, ce qui fait que bien des évêques ont été étonnés de ce qu’ils ont lu », souligne Mgr Blanchet, tout en fustigeant, dans une allusion assez transparente à son confrère de Montauban, les « réactions odieuses » de certains.
La libre expression des mouvements d’Église, insiste-t-il toutefois, est « très importante. Les mouvements d’Église n’ont pas à demander à la CEF la validation de leurs communiqués ! Mais il est entendu de façon implicite qu’on est d’accord sur les critères d’ecclésialité ».
Les évêques soulignent en outre avoir reçu des réactions négatives au sein même du MRJC : dans les permanences locales, certains ne se reconnaîtraient pas dans le communiqué publié par l’équipe nationale. La discussion de lundi serait donc « providentielle », se réjouit Mgr Blanchet, qui insiste : « Ce n’est pas une réunion de crise ! J’espère que cela ouvrira un lieu de débat et d’échange, pour comprendre que la dignité de la personne humaine depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle fait partie de l’enseignement de l’Église et que cela n’est pas optionnel. »
Les évêques se veulent confiant. François Mandil, des Scouts et Guides de France, l’est aussi : « Dans le cadre des projets nationaux de la loi bioéthique, je pense que les évêques ne veulent pas revivre la Manif pour tous, c’est-à-dire cette impression chez certains que la parole était monolithique. La CEF avait perçu ce malaise chez un certain nombre de catholiques. »
L’échange sur tous ces points, lundi 29 janvier, promet d’être franc, utile… mais également ardu.
Bénédicte Lutaud