Denis Vasse en 2005 / Vincent Dargent/CIRIC

Denis Vasse en 2005 / Vincent Dargent/CIRIC

Ami de Françoise Dolto, le jésuite et psychanalyste Denis Vasse est mort lundi 12 mars, à 84 ans. Il a forgé une œuvre où la vérité se cherche par la parole.

J'ai fait partie des étudiants qui ont bénéficié de son enseignement lors des débuts du Centre Sèvres à Paris en 1974-1976.

 « Être chrétien, c’est consentir à ce qu’est l’homme. C’est devenir un homme selon Dieu, selon ce qui se révèle dans le vivant et qui est la vie », confiait le jésuite et psychanalyste Denis Vasse à La Croix en 1999. Après de longues années d’écoute, auscultant le mystère d’une vie toujours reçue, Denis Vasse est mort lundi 12 mars, à 84 ans, à Francheville (Rhône).

Il avait fait un double choix : celui de la psychanalyse et de la Compagnie de Jésus. Né en 1933 en Algérie, dans une famille de pieds noirs, d’une mère institutrice et d’un père paysan, il fait sa médecine à Alger et prend parti pour l’indépendance, ce qui lui vaudra de connaître la torture.

Des jésuites à l’école freudienne

Entré chez les jésuites en 1958, il étudie la philosophie et commence une analyse. Il devient membre de l’École freudienne de Paris, fondée par Lacan. « Pour moi, la terminologie lacanienne a été une source inouïe en matière de réflexion théologique, témoignera-t-il. Cela m’a offert la possibilité de parler de l’homme dans un discours qui n’est pas immédiatement religieux (lequel) risque de devenir très vite moral, normatif ». Son premier livre, Le Temps du désir (1969) fera date, en revisitant la question de Dieu à partir du « désir de l’Autre ».

Sans séparation, ni confusion, Denis Vasse va travailler les champs psychanalytique et spirituel, avec fécondité. Dans le cabinet qu’il ouvre à Villeurbanne en 1973, puis au Jardin couvert, à Lyon – un espace d’accueil pour enfants dans l’esprit de la Maison verte de Dolto –, il ne cesse « les allers et retours entre théorie et pratique, vérifiant l’un par l’autre, constamment à la recherche de l’essentiel : la vérité au cœur de l’homme », souligne Marie-José d’Orazio-Clermont, psychanalyste qui travailla avec lui.

Les trois grands piliers de l’homme

De là, naîtra une œuvre majeure, qui s’approfondit livre après livre : « Le poids du réel, la souffrance » (1983), « La chair envisagée » (1988), « Un parmi d’autres », (1988), « Inceste et jalousie » (1995), « La Dérision ou la joie » (1999)… « Pour Denis Vasse, ce qui fonde l’homme, ses trois grands piliers, est constitué de trois couples : l’homme et la femme (la différence sexuelle), la vérité et le mensonge, la vie et la mort. Quand l’un est touché, les autres le sont aussi », résume Marie-José d’Orazio-Clermont.

Dans le sillage de Françoise Dolto, qui deviendra une amie proche, Denis Vasse participe au dialogue entre psychanalyse et christianisme. « Il y avait entre eux une amitié presque filiale, témoigne José-Marie d’Orazio-Clermont. Françoise disait qu’elle n’avait jamais demandé à Denis Vasse de préfacer un de ses livres parce qu’il était pour elle un égal ». En 1988, Denis Vasse prononcera l’homélie de sa messe d’enterrement.

Création de la communauté du Pèlerin

Parallèlement à son travail d’analyste, le religieux creuse les sources de la spiritualité chrétienne (Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux…) et de son ordre. En 1972, sur la Croix-Rousse à Lyon, il participe avec quatre autres compagnons jésuites à la création de la communauté du Pèlerin, « avec le désir de refonder une vie communautaire simple et fraternelle dans l’esprit des débuts de la Compagnie », témoigne Jean-Marc Furnon, jésuite qui l’a bien connu.

Homme « à la parole directe », « grande gueule », Denis Vasse laisse aussi le souvenir d’un homme « très fraternel, très attentif ». « C’était un véritable scanner à détecter la perversion, témoigne Jean-Marc Furnon. Il pouvait dire les choses de manière directe et certains le cherchaient un peu… Mais il avait un très bon jugement, qui a aidé énormément de gens. »

Un homme de liens

Après cette vie féconde, la dernière décennie, au cours laquelle Denis Vasse avait fait deux AVC, fut difficile. Du premier qui lui avait fait perdre l’usage de la parole, handicap qu’il avait surmonté grâce à une rééducation, il disait avec humour : « j’ai été puni par où j’ai péché ! ». Le second l’avait laissé paralysé et aphasique. Une épreuve douloureuse pour cet homme de parole.

Ultime consolation peut-être, depuis l’annonce de son décès, les conversations ont repris autour de son souvenir. « Je suis appelée du monde entier, d’Amérique latine, du Canada…, se réjouit Marie José d’Orazio-Clermont. Denis était un homme de liens et des gens d’univers différents font lien à travers sa pensée. »

Car les livres de ce penseur exigeant et libre ont navigué eux aussi sans se soucier des frontières. « Il a touché des gens extrêmement loin de l’Église. J’ai vu des conversions, témoigne avec pudeur Marie-José d’Orazio-Clermont. Les gens se demandaient : « Denis, d’où vous parlez ? La force de votre parole, où est-elle fondée ? »

Élodie Maurot

 

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