Au moins 58 Palestiniens, dont 8 enfants, ont été tués le 14 mai par l'armée israélienne à la frontière avec la bande de Gaza.   © THOMAS COEX / AFP

Au moins 58 Palestiniens, dont 8 enfants, ont été tués le 14 mai par l'armée israélienne à la frontière avec la bande de Gaza. © THOMAS COEX / AFP

TRIBUNE. Selon le philosophe Jean-Loup Bonnamy, par sa stratégie, le Premier ministre israélien mène son pays dans l'impasse et l'isole encore davantage.

Visiblement, le gouvernement israélien a choisi une ligne opposée, comme le montre le bain de sang du 14 mai à Gaza où 58 manifestants palestiniens furent tués et 2 200 blessés. Or, la brutalité du gouvernement Netanyahu est contre-productive, voire suicidaire. En fait, elle va trop loin et compromet les intérêts de l'État hébreu.

Tout d'abord, Israël perd la bataille des images. La guerre médiatique est l'inverse de la guerre classique : il vaut mieux y recevoir que d'y donner la mort. Ces dernières années, le phénomène Daech avait été une aubaine pour Israël, nous faisant oublier la sempiternelle question palestinienne. Mais les événements de Gaza ont scandalisé l'opinion internationale et suscité une immense vague de réprobation qui isole Israël (exception faite de l'allié américain). De toute évidence, c'est le camp palestinien qui sort renforcé des événements de Gaza. Tout civil palestinien tué est une victoire pour le Hamas.

Ensuite, par sa brutalité, Israël complique encore davantage le règlement de l'épineuse question palestinienne. Pourtant, Israël serait le premier bénéficiaire d'un tel règlement. La politique de Netanyahu est une immense machine à fabriquer des ennemis pour Israël. Elle ne fait que nourrir la haine, la frustration et la soif de revanche chez les jeunes Palestiniens. En alimentant la spirale infernale de la violence, le Premier ministre israélien semble confirmer la prédiction que faisait le général de Gaulle en 1967 : « Israël organise l'occupation, occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion. Et se manifeste contre lui la résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme. »

Par sa brutalité, Israël complique encore davantage le règlement de l'épineuse question palestinienne, dont il serait pourtant le premier bénéficiaire.

Or, les Palestiniens savent que le temps travaille pour eux, du fait d'une natalité plus élevée. Face à la bombe démographique arabe, qui le menace dans son existence même, Israël risque d'être submergé par la masse de Palestiniens toujours plus nombreux. Il est donc vital pour l'État hébreu de chercher un règlement au conflit, de traiter les Palestiniens avec respect et de leur permettre d'avoir un État. Quand on a des voisins nombreux, mieux vaut entretenir de bonnes relations avec eux. C'est d'ailleurs ce point de vue pragmatique que défendent (en vain pour l'instant) des responsables et anciens responsables de Tsahal, de la police israélienne, du Mossad et du Shin Bet (service de contre-espionnage). Ainsi, en 2012, le documentaire The Gatekeepers faisait entendre la voix de six anciens chefs des services secrets israéliens qui affirmaient que, s'il était nécessaire de mener une lutte implacable contre le terrorisme, il fallait impérativement chercher la paix et éviter toute brutalité inutile. Et ce, dans l'intérêt même d'Israël.

Enfin, Israël affaiblit son alliance avec les pays sunnites de la région. En effet, le gouvernement Netanyahu se targue de ses très bonnes relations avec les pétromonarchies sunnites du Golfe. Dans la grande guerre froide entre chiites et sunnites qui déchire le Moyen-Orient, les royaumes sunnites ont choisi de s'allier à Israël contre l'ennemi commun iranien, fer de lance des chiites. Or, si les dirigeants sunnites ne reculent pas devant les froids calculs de la realpolitik et se rapprochent d'Israël, il n'en va pas de même pour leurs populations, qui sont très hostiles à l'État hébreu. Et les images de Gaza rendent explosive cette hostilité des opinions publiques. Les dirigeants du Golfe vont donc devoir tenir compte de la rue arabe et reprendre leurs distances, à contrecœur certes, à l'égard d'Israël. Tous savent que les événements de Gaza sont instrumentalisés par la propagande islamiste. Et aucun ne tient à connaître le sort d'Anouar el-Sadate. Certes, le président égyptien était très pieux. Certes, il s'était appuyé sur les mouvements islamistes pour contrer les marxistes. Mais les mêmes mouvements islamistes ne lui pardonnèrent pas d'avoir fait la paix avec Israël et l'assassinèrent dans un attentat spectaculaire en 1980.

Comment expliquer que le gouvernement israélien ait commis une telle erreur à Gaza ? Paradoxalement, c'est la disparition des grandes guerres israélo-arabes qui rend plus difficile la pacification du Moyen-Orient. En effet, lorsqu'il vivait sous la menace d'une invasion arabe, l'État hébreu savait qu'il était obligé de lâcher du lest et de faire des concessions. Mais, depuis que les opérations de police sans gloire ont remplacé les grandes batailles de chars, la politique d'apaisement est passée de mode. Dans les guerres israélo-arabes de 1948, 1967 ou 1973, des chefs militaires sauvaient Israël et devenaient des héros nationaux. Puis, ces chefs militaires, forts de leur popularité, se lançaient en politique. Arrivés aux plus hautes responsabilités, ils menaient par réalisme une politique de détente vis-à-vis des Palestiniens et des pays arabes voisins. Ce fut le cas de Ben Gourion, de Moshe Dayan ou de Yitzhak Rabin. Peut-être même d'Ariel Sharon dans ses deux dernières années au pouvoir, après son départ du Likoud en 2005. Ces héros étaient au-dessus de tout soupçon et l'opinion israélienne comprenait que leur politique de détente servait les intérêts nationaux. Mais, aujourd'hui, toute politique de détente est présentée comme une trahison par les membres du Likoud. Comme les partisans de la paix ne sont plus des héros de guerre, ils n'ont plus la légitimité nécessaire pour faire accepter leurs vues. Pour ne rien arranger, le système électoral israélien est extrêmement complexe et la Knesset est l'un des parlements les plus fragmentés dans le monde. Les 120 députés que compte cette petite assemblée appartiennent à douze partis différents ! Cela rend les majorités instables et pousse le Likoud à devoir faire alliance avec des petits partis d'extrême droite, et donc à durcir sa politique. Tant qu'Israël ne retrouvera pas des leaders charismatiques et crédibles pour porter la voix de la paix et tant qu'il ne réformera pas son système électoral, nous verrons d'autres bains de sang comme celui de Gaza.

Jean-Loup Bonnamy

 

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