L’expérience du 5 juin 1783 des frères Montgolfier à Annonay (Ardèche)

L’expérience du 5 juin 1783 des frères Montgolfier à Annonay (Ardèche)

En 1783, les fils de Pierre Montgolfier, riche fabricant de papier à Annonay, dans la province du Vivarais (aujourd’hui département de l’Ardèche) étaient déjà dans la fleur de l’âge — Joseph avait 42 ans et Étienne 38 ans. Ils s’occupaient d’expériences de physique.

Joseph Montgolfier, après s’être assuré par de petites expériences faites en particulier, dans le courant de 1782 et au commencement de l’année 1783, qu’une chaleur de cent degrés raréfie l’air de moitié dans un vaisseau fermé, et lui fait occuper dans ce nouvel état un espace double de celui qu’il occupait précédemment, ou, en d’autres termes, en diminue la pesanteur de moitié, supputa quelle était la forme et le volume d’une machine qui, remplie d’un air ainsi raréfié, devrait s’élever dans l’air, en entraînant le poids de son enveloppe.

Son premier ballon fut un petit parallélépipède creux, en taffetas très mince, contenant moins de deux mètres cubes d’air. Il le fit monter au plafond d’un appartement, au mois de novembre 1782, à Avignon, où il se trouvait alors. Rentré peu de temps après à Annonay, les deux frères répétèrent en commun, avec succès, l’expérience en plein air. Certains alors du principe, ils firent une machine plus considérable, et qui contenait au delà de 20 mètres cubes d’air ; elle s’éleva de même, rompit les cordes à l’aide desquelles on voulait la retenir, et alla tomber sur les coteaux voisins, après être montée à une hauteur de deux à trois cents mètres.

Les frères Montgolfier firent alors une très grande et forte machine, avec laquelle ils voulurent faire constater publiquement leur découverte. L’expérience eut lieu le 4 juin 1783. L’assemblée des États du Vivarais se trouvant à Annonay, fut invitée à y assister, et voici en quels termes en a rendu compte Faujas de Saint-Fond, auteur de la Description des expériences de la machine aérostatique, publiée la même année :

Après avoir médité longtemps sur l’ascension des vapeurs dans l’atmosphère, où elles se réunissent pour former des nuages qui, malgré leurs masses et leur pesanteur, se soutiennent non seulement à de grandes hauteurs, mais encore flottent et voyagent au gré des vents, ils entrevirent la possibilité d’imiter la Nature dans une de ses plus grandes et de ses plus majestueuses opérations. Ils conçurent dès lors l’idée hardie de former, à l’aide d’une vaste enveloppe et d’une vapeur légère, une espèce de nuage factice que la seule pesanteur de l’air atmosphérique forcerait de s’élever jusqu’à la région où les orages et les tempêtes prennent naissance. L’idée seule de ce projet suppose nécessairement du génie, son exécution, du courage, et une tête organisée de manière à trouver des ressources pour parer à la multitude d’obstacles qui devaient environner une entreprise de cette espèce.

« Il y a loin sans doute d’une expérience de cabinet, quelque délicate et quelque ingénieuse qu’elle puisse être, à celle où il faut que l’homme combine des moyens pour imiter la nature dans une opération qui n’avait encore été tentée par personne, car tout ce qui avait été fait jusqu’alors pour s’élever dans l’air, n’étant fondé que sur de faux calculs, ou sur des pratiques chimériques, n’avait abouti qu’à jeter un ridicule mérité sur ceux qui s’obstinaient à prendre la route la plus opposée au véritable but. »

Faujas de Saint-Fond rapporte ensuite que « l’assemblée des États particuliers de Vivarais se trouvant à Annonay, fut invitée par les auteurs de la machine aérostatique à assister à l’expérience qu’ils se proposaient de faire en public. Quel fut l’étonnement général lorsque les inventeurs d’une telle machine annoncèrent qu’aussitôt qu’elle serait pleine d’un gaz qu’ils avaient le moyen de produire à volonté par le procédé le plus simple, elle s’enlèverait d’elle-même jusqu’aux nues ! Il faut convenir alors que, malgré la confiance que l’on avait aux lumières et à la sagesse des Montgolfier, cette expérience paraissait si incroyable à ceux qui allaient en être les témoins, que les personnes les plus instruites, celles même qui étaient le plus favorablement prévenues, doutaient presque sans balancer de son succès.

« Enfin, les frères Montgolfier mettent la main à l’œuvre, ils procèdent au développement des vapeurs qui devaient produire le phénomène ; la machine, qui ne présentait alors qu’une enveloppe de toile doublée en papier, qu’une espèce de sac gigantesque de 35 pieds de hauteur, déprimé, plein de plis et vide d’air, se gonfle, grossit à vue d’œil, prend de la consistance, adopte une belle forme, se tend dans tous les points, fait effort pour s’enlever : des bras vigoureux la retiennent, le signal est donné, elle part et s’élance avec rapidité dans l’air, où le mouvement accéléré la porte en moins de 10 minutes à 1000 toises d’élévation.

« Elle décrit alors une ligne horizontale de 7200 pieds, et comme elle perdait considérablement de son gaz, elle descendit lentement à cette distance, et elle se serait sans doute soutenue bien plus longtemps en l’air, si l’on avait eu la facilité de porter dans son exécution la solidité et l’exactitude qu’elle exigeait ; mais le but était rempli, et cette première tentative, couronnée d’un aussi heureux succès, mérite à jamais aux frères Montgolfier la gloire d’une des plus étonnantes découvertes.

« Pour peu qu’on veuille réfléchir sur les difficultés. sans nombre que présentait une expérience aussi hardie. sur la critique amère à laquelle elle exposait ses auteurs, si elle eût manqué par quelque accident, sur les dépenses qu’elle a entraînées, l’on ne peut s’empêcher d’avoir la plus grande admiration pour les auteurs de la machine aérostatique. »

Étienne Montgolfier a du reste pris soin lui-même de donner la description de ce premier ballon :

« La machine aérostatique dont l’expérience, dit-il, fut faite devant MM. des États particuliers de Vivarais, le jeudi 5 juin 1783, était construite en toile doublée de papier, cousue sur un réseau de ficelles fixé aux toiles. Elle était à peu près de forme sphérique, et sa circonférence était de 110 pieds ; un châssis en bois de 16 pieds en carré, la tenait fixée par le bas. Sa capacité était d’environ 22 000 pieds cubes ; elle déplaçait donc, en supposant la pesanteur moyenne de l’air, comme 1/300 de la pesanteur de l’eau, une masse d’air de 1980 livres.

« La pesanteur du gaz était à peu près moitié de celle de l’air, car il pesait 990 livres, et la machine pesait, avec le châssis, 500 livres. Il restait donc 490 livres de rupture d’équilibre, ce qui s’est trouvé conforme à l’expérience. Les différentes pièces de la machine étaient assemblées par de simples boutonnières arrêtées par des boutons ; deux hommes suffisent pour la monter et pour la remplir de gaz, mais il en fallut huit pour la retenir et qui ne l’abandonnèrent qu’au signal donné : elle s’éleva par un mouvement accéléré, mais moins rapide sur la fin de son ascension, jusqu’à la hauteur d’environ 1000 toises. Un vent à peine sensible vers la surface de la terre la porta à 1200 toises de distance du point de son départ. Elle resta 10 minutes en l’air ; la déperdition du gaz par les boutonnières, par les trous d’aiguilles et autres imperfections de la machine, ne lui permit pas d’y rester davantage. Le vent, au moment de l’expérience, était au midi, et il pleuvait ; la machine descendit si légèrement qu’elle ne brisa ni les épis, ni les échalas de la vigne sur lesquels elle se reposa. »

Le physicien Jérôme de Lalande écrit dans son Histoire des mathématiques (1802) que « jamais la physique n’avait fait une aussi belle découverte ; peut-être même l’esprit humain n’avait jamais rien produit d’aussi étonnant. De tous les noms célèbres, celui de Montgolfier est fait pour l’emporter sur tous les autres ; il planera sur les temps comme il nous a appris à planer sur les airs. »

Plus loin, Lalande rapporte qu’après l’expérience du 4 juin 1783, « on engagea l’auteur à venir à Paris. Il chargea son frère Étienne de le remplacer. Celui-ci fit construire un ballon chez Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, et le 21 novembre Pilâtre et d’Arlandes [les aéronautes Jean-François Pilâtre de Rozier, et François Laurent, marquis d’Arlandes] partirent de la Muette et traversèrent la rivière. Montgolfier m’avait promis que je serais le premier qui monterait, mais j’étais absent lorsque le ballon fut achevé.

« Charles, célèbre physicien, ne tarda pas à comprendre qu’en remplissant un ballon avec de l’air inflammable, on aurait plus de sûreté, quoique avec plus de dépense ; et le 1er octobre 1788, il fit une superbe ascension au Jardin des Tuileries. L’enthousiasme des spectateurs alla jusqu’à l’ivresse, et pendant quelques mois, on ne parlait dans Paris que de cette étonnante découverte.

« Pour la rendre plus utile, il faudrait pouvoir diriger les aérostats : mais les physiciens n’en désespèrent pas. Dans la campagne de 1793, il y a eu 28 ascensions dans la Belgique, et le 7 messidor, à la bataille de Fleurus, le général Morelot fut pendant deux heures dans un aérostat. Il envoya au général Jourdan deux lettres de la hauteur de deux cents toises ; elles firent gagner la bataille, dont le succès entraîna la conquête de toute la Belgique.

« On a fait à Meudon, sous la direction de M. Conté, beaucoup d’expériences curieuses, en 1797 : lorsqu’elles seront publiées, l’art de l’aérostation sera considérablement perfectionné, et déjà nous savons qu’au lieu de dépenser 3000 fr. pour l’acide vitriolique, on peut décomposer l’eau en la faisant couler lentement dans des tuyaux de fer rougis au feu, et cela suffit pour remplir les ballons. »

Lien à la Source

Retour à l'accueil