La gifle, le prêtre et la France
24 juin 2018Ouverture des journaux de la radio de ce samedi matin, une page dans le Parisien, et évidemment, l’affaire reprise par tous les sites Internet y compris d’ailleurs celui de La Croix. Objet de ce scandale, une gifle. Mais pas n’importe quelle gifle. Une gifle d’un vieux bonhomme de prêtre de 89 ans à un petit bonhomme d’enfant de deux ans et des poussières… Une gifle, en lieu et place du baptême… Au fond, ce n’est pas la gifle, mais la vidéo qui a provoqué tout cela. Elle a été vue par des millions d’internautes, et a suscité une indignation d’ampleur nationale.
Voilà où nous en sommes : des centaines de migrants dérivent sans port dans la Méditerranée, des familles tentent de retrouver leurs enfants entre Mexique et États-Unis, une bombe explose en Éthiopie, les Turcs sont à la veille d’un scrutin important, et enfin, selon le ministère des affaires sociales, deux enfants meurent chaque jour sous les coups de leurs parents… Mais non, manifestement, pour nos médias et compatriotes, l’important est ailleurs : cette gifle d’un prêtre à un bambin, qui, à regarder cette fameuse vidéo, a dû d’ailleurs l’oublier dans les trois minutes qui ont suivi.
Attention, ne vous méprenez pas : il ne faut pas gifler les enfants. Et le geste de ce prêtre était pour le moins déplacé. Mais y a-t-il là matière à scandale ? Un vieux prêtre de 89 ans qui perd les pédales à la fin d’une célébration trop longue… Fallait-il pour autant faire, comme l’a fait le diocèse de Maux, dans une véritable « stratégie de crise » face à l’émotion suscitée, interdire ce prêtre de toute célébration de mariage et de baptême, lui imposer de ne plus intervenir sur la collégiale de Champeaux, près de Melun, et de ne célébrer des messes qu’à la demande expresse de son curé ? On a appris depuis que le prêtre s’était ensuite excusé, que le baptême avait pu avoir lieu. Bref, que l’incident était, a priori clôt, bien avant que la vidéo ne fasse son office de viralité.
L’ampleur de l’émotion et de l’indignation nous apprend au moins deux choses. D’abord, que le prêtre reste considéré, dans une France par ailleurs déchristianisée, comme une référence. Et si un prêtre n’est pas à la hauteur, alors c’est toute la société qui semble touchée. Car dans les millions d’internautes indignés, combien ont encore recours à un prêtre, ou à une église ? Sans doute très peu. Mais qu’un prêtre refuse un baptême, un enterrement, et toute la France s’enflamme. Comme quoi, nos compatriotes continuent à beaucoup attendre de l’Église. À rebours, c’est une bonne nouvelle.
Enfin, l’âge du prêtre devrait nous couvrir de honte, nous catholiques. Malgré nos paroles pleines de bienveillance et d’humanité, nous laissons des prêtres bien trop âgés en fonction. Voilà un homme qui a servi la communauté toute la vie, et que nous renvoyons sans ménagement pour tout remerciement. Nous refusons de voir ces prêtres bien trop vieux enchaînant les célébrations à tour de bras, faute de relève. Tout cela parce que nous avons peur de dire le vrai problème : le manque de prêtres, dans une Église où tout – ou presque, repose encore sur eux. Ce week-end est le week-end des ordinations, c’est-à-dire le moment ou des jeunes hommes s’engagent définitivement à la prêtrise. Cette année, une nouvelle fois, ils sont encore peu, très peu. Trop peu face aux besoins d’une population de baptisés encore loin d’être négligeable. Comme le souligne dans un texte lucide le Père Pierre-Hervé Grosjean ces chiffres ne révèlent pas une crise des vocations. C’est tout un système qui s’effondre, et qu’il faudra bien avoir un jour le courage de regarder en face…
Isabelle de Gaulmyn