Homélie pour l’ordination presbytérale de Benoît Blin à Marseille, le 30 juin 2018
06 juil. 2018Benoît va devenir prêtre dans quelques instants. Un prêtre devient presque un oiseau rare, aussi étrange qu’un Atrébate pour des Marseillais ! Il ne devient pas d’abord ministre du culte ou fonctionnaire de la religion catholique. Il ne devient pas vicaire, curé, conseiller spirituel ou religieux, aumônier ou DRH d’une paroisse. Il ne devient pas non plus un délégué de l’évêque ou d’un prélat ! Alors que devient-il ? Il devient prêtre à la manière des apôtres. Il le devient, non seulement par sa liberté, mais par un choix particulier du Christ et de l’Église, pour une mission particulière. Il entre, sans oublier son diaconat, dans un presbyterium, c’est-à-dire dans une collaboration apostolique forte, et non exclusive, avec des frères prêtres. En effet, le prêtre ne devrait jamais être dit seulement au singulier, mais dans un singulier pluriel. Nous devrions toujours dire « les prêtres ». Le singulier c’est le Christ : lui seul est « le grand Prêtre » (He 10,21) et « le grand Pasteur » (He 13,20), l’envoyé du Père. La conséquence est évidente : un prêtre ne peut vivre séparé des autres ni agir seul. « Aucun prêtre n’est en mesure d’accomplir toute sa mission isolément » nous rappelle Vatican II. Et les Pères ont tenu à utiliser dès le début de leurs travaux conciliaires un triple pluriel : « Par l’ordination et la mission reçues des évêques, les prêtres sont mis au service du Christ… » (Vatican II, PO 1). Notons bien ici ce tout premier service, source de tous les autres : servir le Christ, servir la mission du Christ. La Mission de France aime évidemment ce pluriel qui dit l’importance du collectif – et ce n’est pas à Marseille au beau milieu de la coupe du monde de football qu’il y a besoin d’insister sur l’esprit d’équipe ! – Benoît recevra ainsi aujourd’hui une mission pour « que tous puissent bénéficier du mystère du Christ » et… pour être prêtre autrement.
Car cette ordination dans ces quartiers Nord de Marseille souligne bien qu’il y a de multiples manières d’être prêtre, à la manière des apôtres. Benoît ne sera donc pas d’abord prêtre en paroisse, même si les communautés déjà rassemblées attendent aussi des prêtres. Sa vie d’apôtre se fera d’abord « intimité itinérante » avec le Christ. Il portera avec d’autres une présence d’Évangile riche de la conscience que l’Esprit travaille au-delà des frontières et que d’autres peuvent révéler le mystère de Dieu. En vivant au bord de la Méditerranée, son regard deviendra plus catholique, inquiet de ceux qui vivent au-delà de la mer, de ceux qui ne peuvent bien vivre chez eux et qui aspirent à venir chez nous, de ceux qui sont déjà ici nos prochains.
Comme pour toute la Communauté Mission de France, Benoît devra, à chaque occasion, prendre soin de « travailler à la justesse de l’attitude chrétienne, à vivre l’Église aux lieux de la rencontre et du dialogue, à interpréter la foi chrétienne pour aujourd’hui. » Et pour cela il lui faudra accepter d’être évangélisé. L’attention aux gens des rues, aux cultures, aux religions, aux modes de vie n’est ni une ruse ni un programme. Cette attention est le signe de notre foi en l’Esprit qui nous précède et nous conduit là où on ne nous attend pas. Le Christ veut créer, partout, en lui, un seul Homme nouveau. En sa personne, il a tué la haine. Aujourd’hui encore, ici, il veut réconcilier avec Dieu lui-même les uns et les autres.
Benoît, dans quelques instants tu seras prêtre, à la manière des apôtres, mais aussi d’une manière singulière, à la manière de tes frères aînés dans la Mission de France. Cette appellation de « Prêtres au travail » ne signifie certes pas que les autres prêtres diocésains ou religieux ne travailleraient pas, mais qu’il nous faut continuer là où le monde n’entend plus, ou peu, ou mal, la question de Dieu, la question du Christ ou de l’Évangile. Cette présence est exigeante car il s’agit d’inventer aussi le ministère en l’engageant au cœur d’une vie professionnelle. Comme le dit Xavier, « je ne suis pas prêtre au travail mais prêtre en activité professionnelle : prof c’est mon métier, prêtre c’est ma vie. Je suis prêtre aussi quand je suis à mon travail. » Benoît, plus tu seras prêtre avec les autres, plus ton ministère apparaîtra. Le Ressuscité nous fait devenir prêtres avec ce que nous sommes. Nous ne sommes pas des hommes divisés : d’un côté le ministre, de l’autre l’homme. Nous devenons ministres, non pas à côté, mais au cœur de notre histoire singulière. Et nous pouvons ainsi tous apporter quelque chose de neuf au ministère apostolique, y compris les fidèles laïcs.
Car, il y a une conviction que je voudrais souligner en cette heure où nous cherchons la meilleure manière d’associer des laïcs à la Mission de France, mais aussi alors que vient d’être nommée une déléguée générale et que Marie Madeleine, Thérèse de l’Enfant-Jésus et Madeleine Delbrêl demeurent des phares. Il convient de nous laisser encore mieux évangéliser par les gens rencontrés et en particulier par des femmes. Nous n’avons pas encore tiré toutes les conséquences de l’apparition du Ressuscité à Marie Madeleine à qui il apparaît en premier. Celle qui reste l’apôtre des frères de Jésus, la première évangéliste, nous dit l’importance de toutes ces femmes mariées ou célibataires qui nous rappellent notre commune humanité originelle et nous poussent à une fraternité toujours plus universelle. Elles peuvent transformer notre manière d’être prêtres.
Benoît, tu sais déjà toute l’importance de l’annonce de l’Évangile à toute la Création… aucune mission n’est restreinte : « les prêtres se doivent à tous ». L’Évangile de ce jour éclaire particulièrement cet aspect. La foi se découvre en étant confronté à l’autre. « Ta foi est grande » s’exclame déjà Jésus. Je te souhaite Benoît de pouvoir faire souvent ce joyeux constat : « Votre foi est grande ». Garde en toi une capacité d’émerveillement.
Car « l’Esprit Saint pousse l’Église à ouvrir des chemins nouveaux pour aller au-devant du monde d’aujourd’hui… » Et c’est ce même Esprit « qui fait naître au cœur de tant de prêtres et de tant de chrétiens un esprit vraiment missionnaire. » (Vatican II, PO 22). Aussi, que tout se passe maintenant pour toi comme tu le veux, comme Dieu veut… à la manière des apôtres !
+Hervé GIRAUD – prélat de la Mission de France