Vernon, terre d’asile
13 juil. 2018Marie-Françoise DRUET et Youssef SAUKRET (au fond), accompagnent les demandeurs d'asile pour leur apprendre au mieux le français
Depuis 2014, les demandes d’asile ont explosé. Vernon et sa région n’échappent pas à cette vague migratoire. Les structures d’accueil, comme Adoma, et les associations, redoublent d’efforts. Témoignages.
Ils sont plus de 600 à avoir demandé l’asile dans le département de l’Eure depuis 2009. Les principales communes d’accueil sont Évreux, Gaillon, Verneuil-d’Avre-et-d’Iton, Louviers et bien sûr Vernon, deuxième ville de l’Eure. Des centres d’accueil et des associations sont là pour les accueillir et les prendre en charge. Une bonne partie d’entre eux sera finalement déboutée. Les recalés du droit d’asile ont un mois pour quitter le territoire.
La première association à leur venir en aide est Adoma. En 2017 ils étaient 199, cette année ils plus de 210 à être accueillis par cet organisme privé qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Intérieur et s’occupe d’accueillir les demandeurs d’asile en attente d’une réponse.
Une histoire d’humanité
Magali Lehoueller dirige depuis trois ans le site de Vernon. Elle pilote parallèlement les unités Adoma de Gaillon, Caudebec-lès-Elbeuf (76) et Rouen. Cette sociologue de formation le reconnaît, c’est un travail compliqué. Mais les résultats positifs restent tout de même encourageants : « Avant de travailler avec des demandeurs d’asile, nous travaillons d’abord avec des adultes. Notre objectif est qu’ils deviennent responsables. Quand ils réussissent, ils sont très fiers d’eux-mêmes, c’est une vraie satisfaction. »
C‘est le cas de Mohamed Abeamine, 26 ans. En mars 2012, il a fui le Soudan. Il a passé cinq ans en Libye, dans l’incertitude, avant de traverser la Méditerranée avec 120 personnes sur un bateau de fortune. Sa demande d’asile a récemment été acceptée et il partira vivre à Gaillon, dans un vrai appartement. Il aurait préféré Vernon car il y suit ses cours de français, mais cette décision ne le démotive pas.
Du côté des intervenants sociaux, la fierté d’une réussite remplace souvent la déception d’un refus. Annabelle Merabet est à Adoma depuis deux ans. À 26 ans, cette ancienne gestionnaire de surendettement ne regrette pas son choix malgré les difficultés. « Quand on passe tous les jours, près de dix heures, à travailler avec les mêmes gens, on finit par bien les connaître. Quand leur situation ne s’arrange pas et qu’on est obligé de leur demander de partir, ça fait toujours un pincement au cœur. Nous n’avons plus de psychologues pour l’équipe d’accompagnateurs. On doit garder certaines choses pour nous, alors forcément parfois, on craque. »
« Réduction d’une partie du budget »
Youssef Saukret, l’animateur-référent du centre, connaît parfaitement ce genre d’histoires. Cela fait vingt-cinq ans qu’il travaille au foyer Adoma de Vernon. Ici, c’est sa deuxième famille. « Je m’y sens chez moi. Il n’y a jamais eu de grosses histoires, pas d’agressions. Il n’y a pas d’insécurité. Les conditions de vie sont parfois difficiles, mais tout le monde se respecte. [...] Oui, on nous a coupé une partie de notre budget depuis l’élection d’Emmanuel Macron. On a dû réduire notre partie animation, mais heureusement que d’autres prennent le relais, comme le Secours catholique ou l’Adem (Association d’entraide aux migrants). On travaille beaucoup avec eux. »
Parmi les bénévoles d’Adoma, il y a Marie-Françoise Druet, 72 ans. Professeure de Lettres, en collège puis au lycée à Vernon, pendant trente-huit ans, elle n’a pas voulu s’arrêter une fois sa retraite arrivée : « J’adore enseigner et j’aime partager. Je fais ça depuis 2012 et c’est toujours un plaisir de les voir s’intéresser autant. Quasiment tous mes élèves sont très assidus, et quelle que soit l’origine, on sent qu’ils ont envie d’apprendre et de s’en sortir. »
Pour Victor l’ADEM est le dernier espoir
Victor Nzuzi vient de République démocratique du Congo. Il est arrivé à Vernon, fin mars, après avoir fui un régime totalitaire qui le traquait pour ses actions politiques.
Cet électro-mécanicien œuvrait dans la pastorale Saint-Édouard, dans le quartier de Binza, Kinshasa, pour former les jeunes au civisme et à la démocratie. Il était de la fameuse marche à Kinshasa, le 31 décembre, qui s'est terminée dans un bain de sang. Arrêté et torturé, Victor Nzuzi sera finalement libéré. Il en profitera pour fuir le pays, puis rejoindre l'Europe. Ce sera d'abord l'Italie. « Je ne connais pas la langue, je me suis retrouvé sans repères. Mais je me suis enregistré sur place comme demandeur d'asile, Pensant bien faire. » En France, il retrouve une langue familière. Mais apprend rapidement qu'il est un « dubliné ». Depuis 2014, en vertu des accords de Dublin III, le pays dans lequel a été formulée la première demande d'asile est celui qui est chargé 'de son instruction et de la décision finale. En clair : Victor doit retourner en Italie pour espérer obtenir le droit d'asile.
« l’Etat est encore très dur sur l’immigration »
Son dernier recours s'appelle Denis Chautard, prêtre catholique vernonnais de la Mission de France et président de l'Association d'Entraide aux Migrants (Adem). Ensemble, ils espèrent faire réexaminer le cas de Victor Nzuzi, qui ne se voit aucun avenir en Italie. Son cas est pourtant loin d'être isolé. Le père Chautard le confirme : « Je dois m 'occuper, chaque année, de plus de 200 situations différentes. D'année en année, les effectifs augmentent. Et l'État français est encore très dur sur la question de l'immigration. »
L'Adem est une association d'aide juridique et sociale. On y trouve 40 % de familles et 60 % de personnes seules. L'Adem annonce résoudre 50 % des cas dont elle s'occupe. Adoma se veut plus réservé et évoque un taux de réussite de 25%. Il arrive parfois à Denis Chautard de saisir le procureur de la République. Une démarche rare. Sur les cinq lettres annuelles qu'il envoie, « seulement une ou deux reviennent avec une réponse négative de réexamen du dossier ».
Aujourd'hui, le délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile en cas de refus est de 30 jours.
JUAN BELLEVILLE
Paris Normandie, Jeudi 12 juillet 2018 page 15
Infos Pratiques
Contacter les associations engagées
Adem : 28, rue du Coq ; adem.27200@orange.fr ou 06 60 61 55 38.
Secours catholique : 33, rue d’Albuféra ; 02 32 51 96 73.
Restos du cœur : 7, rue des Carreaux ; 02 32 21 66 66.
Secours populaire : 3, rue Georges-André ;
cecile.provost1@orange.fr ou 02 32 54 99 20
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