La police nationale de l’Eure « à bout de souffle » à cause d’un manque d’effectif
20 août 2018Il y avait 271 policiers sur le terrain dans l’Eure en septembre 2017. (©La Dépêche d’Évreux / Archives)
Les effectifs de police dans l'Eure se réduisent. Faute de personnel, les syndicats tirent la sonnette dans les trois commissariats du département (Évreux, Val-de-Reuil et Vernon).
Chez les policiers de l’Eure, l’avenir s’assombrit. C’est ce que regrettent les deux principaux syndicats de la profession dans le Département, Unité SCP Police FO et Alliance Police Nationale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le territoire comptait 372 fonctionnaires de police sur le terrain en septembre 2009 alors qu’ils n’étaient plus que 271 en septembre dernier. « Ça va être pire cette année », prophétise Johann Maugé, secrétaire départemental chez Unité SCP Police. Et son collègue, David Le Provost, secrétaire départemental chez Alliance Police Nationale, d’abonder dans le même sens : « Cela concerne tous les policiers sur le terrain, aussi bien les gardiens de la paix que les gradés, y compris dans le rang des enquêteurs. »
« On s’attend à perdre une vingtaine de personnes à la rentrée prochaine », poursuit Johann Maugé. Selon lui, les échauffourées qui ont eu lieu à Val-de-Reuil dans la nuit du 14 au 15 juillet dernier sont caractéristiques de la situation. « Nous avions trois collègues en face d’une cinquantaine d’individus. Comment voulez-vous que l’on parvienne à maintenir le calme ? Heureusement il n’y a pas eu de blessés. »
Les policiers volontaires mais à bout de souffle.
Pourtant la délinquance est en baisse dans la ville dirigée par le socialiste Marc-Antoine Jamet. « Certes, mais à quel prix ? Les collègues sont très volontaires, mais à bout de souffle. Ils risquent de craquer ! », lance-t-il.
Les conséquences sont nombreuses selon les deux syndicalistes qui s’accordent à dire que des services sont menacés. « Il y a bien un poste de police à Louviers, mais il ferme déjà pendant des demi-journées par manque d’effectif. J’estime même que la BAC (Brigade anti-criminalité) d’Évreux est menacée », précise Johann Maugé avant d’avancer un autre argument : « Pour le territoire de Louviers, Incarville, Le Vaudreuil, Val-de-Reuil et Pinterville, police secours c’est une seule patrouille de trois agents. Il n’y a pas intérêt à ce que de nombreuses personnes appellent à l’aide en même temps ! »
Situation tendue dans les trois commissariats de l’Eure
Tous sont logés à la même enseigne dans le département, ou presque. À noter que ces chiffres ne prennent pas en compte les ADS (Adjoint de sécurité), qui viennent en appui de la Police nationale. Quant à la partie rurale de l’Eure, elle est encadrée par les effectifs de gendarmerie.
ÉVREUX. Même si Évreux est le dernier commissariat de l’Eure à disposer d’une Brigade anti-criminalité (BAC), il est lui aussi touché par les réductions d’effectifs. En moins de dix ans, la circonscription est passée de 136 policiers à 126 en septembre dernier.
VAL-DE-REUIL. Le commissariat de Val-de-Reuil, qui rayonne aussi sur Louviers, est passé de 79 agents à 55 entre septembre 2009 et septembre 2017.
VERNON. Sur la même période, Vernon est le seul commissariat se payer le luxe de rester à des effectifs stables, à savoir 55 agents.
Cette situation est aux antipodes des ambitions affichées par Jacques Mézard, le ministre de la cohésion des territoires. Il a déroulé sa feuille de route le 18 juillet. Au menu : déploiement de 1 300 policiers et gendarmes supplémentaires dans 60 quartiers à travers le pays, 30 cette année, les autres dans deux ans. Ceci afin de lutter contre les trafics en tous genres, accentuer la présence sur la voie publique et renforcer le contact avec les habitants.
Même son de cloche auprès de David Le Provost : « Je suis en service actif au sein du GSP (Groupe de sécurité et de proximité), qui a remplacé la BAC mise en sommeil il y a quelques années à Val-de-Reuil. Et on s’attend à être déployés dans d’autres services. »
Le manque d’effectif touche toute la Normandie, mais l’Eure semble être spécifiquement la petite fille pauvre de la Région. Dans le Calvados, la situation n’est pas à la fête non plus. Idem dans l’Orne et la Seine-Maritime. Mais l’Eure souffre d’une situation géographique particulière.
Les nouvelles recrues boudent l’Eure
La Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) ne rechigne pas forcément à accueillir des policiers fraîchement sortis de l’école. Seul problème, ces nouveaux diplômés ne s’intéressent pas à l’Eure… « Les affectations viennent de tomber. On a seulement une sortie d’école à Val-de-Reuil et une autre à Évreux », regrette Johann Maugé.
Pourquoi un tel désamour ? « On est cerné par trois départements : les Yvelines (Ile-de-France), l’Eure-et-Loir (Centre-Val de Loire) et la Seine-Maritime (Normandie). Dans ces territoires, les policiers touchent une prime annuelle de fidélisation. À Rouen, elle est d’environ 800 € par an. Alors que nous, dans l’Eure, il n’y a rien ! Comment inciter les jeunes diplômés à choisir une affectation chez nous avec ce handicap ? »
Moins il y a de policiers dans l’Eure, plus le département perd en attractivité pour les jeunes recrues qui ne sont pas légion à souhaiter intégrer des commissariats en tensions, avec tout ce que cela implique dans le travail. Et les nouvelles vont vite dans la profession. C’est un peu le serpent qui se mord la queue.
Une police sans quantité est une police sans qualité.
Au-delà des conséquences pour les policiers, les deux syndicalistes insistent sur ce que ce problème induit auprès de la population. « Quand vous venez déposer plainte, c’est plus long. Les enquêtes prennent plus de temps car les dossiers s’accumulent. Il y a moins de personnel sur la voie publique pour vous sécuriser », fait savoir Johann Maugé. Il poursuit : « On n’a plus de marge de manœuvre, on est au plus bas partout. Pour être fonctionnel, il nous faudrait 30 agents en plus dans le département, et pour être bien je dirais 70. »
Quant à David Le Provost, le constat est sans appel : « Une police sans quantité est une police sans qualité. »
4 questions à Julien Daubigny
Julien Daubigny est commissaire à Val-de-Reuil et adjoint au directeur départemental de la sécurité publique. (©DR)
Julien Daubigny est commissaire à Val-de-Reuil et adjoint au directeur départemental de la sécurité publique.
En tant qu’adjoint au directeur départemental de la sécurité publique, quel regard posez-vous sur l’exercice de votre métier ?
En matière de fléchage et de répartition des personnels, les décisions politiques appartiennent au ministère de l’Intérieur. Mais on ne peut pas nier une situation compliquée, comme partout en France d’ailleurs. Notre métier reste difficile, car exercé au cœur de la sécurité avec de la petite et moyenne délinquance : atteintes aux biens et aux personnes, malversations financières. Mais à Évreux, par exemple, on ne note pas de problématiques de fond.
Les syndicats évoquent une diminution des effectifs préjudiciable à la qualité du service. Qu’en pensez-vous ?
La tendance est à la baisse, c’est indéniable et j’en prends acte. Mais c’est pareil sur tout le territoire, hormis quelques renforts ponctuels sur des secteurs très ciblés. Alors, on s’adapte, on procède différemment et on apporte d’autres réponses policières pour assurer la sécurité de tous les jours.
Pas de « pénurie », donc ?
Je peux vous assurer qu’en composant le 17, le citoyen trouvera toujours un fonctionnaire en capacité de répondre aux missions. D’ailleurs, au même titre que les pompiers et les personnels soignants, nous œuvrons 24 heures sur 24. La nuit, à l’hôtel de police d’Évreux, la permanence est assurée. Tout comme est assuré, au quotidien, le traitement des plaintes.
Certains prétendent que la Brigade anti-criminalité d’Évreux est en souffrance. Vous confirmez ?
À Évreux, elle fonctionne H24, l’après-midi comme la nuit. Certes, ses effectifs sont réduits. Mais c’est ponctuel, entre les périodes de repos et les vacances. Je le répète : la BAC est en mesure d’accomplir son travail auprès des citoyens. Il suffit de s’adapter aux problématiques et à l’événementiel. Mais je peux vous garantir que du gardien au commissaire, tout le monde agit main dans la main…
Propos recueilli par Alain Guillard
Pierre CHOISNET, La Dépêche Louviers