Le Pape François se rendra dans les trois états baltes (Lituanie, Lettonie, et Estonie) du 22 au 25 septembre 2018.

Il n’est pas insultant d’estimer que ces trois pays sont peu connus, sont « petits », ne sont pas des acteurs centraux de la politique européenne, comparés au rôle que peut ou veut jouer l’Allemagne ou la France ! C’est déjà bien si les lecteurs de cet article savent que ces trois pays sont tous trois membres de l’Union européenne et de la zone Euro !

Une visite à des pays périphériques

Trois États périphériques par leur situation géographique : à l’extrême nord-est de l’Union européenne. Plus proches de Saint-Pétersbourg ou de Minsk que de toute capitale de l’Union (Varsovie est la plus proche, avec Helsinki).

Périphérie par la taille : les trois États baltes font partie de ces « petits » États membres de l’Union européenne. Les prétendus grands États ont la fâcheuse tendance de croire qu’on décidera entre les quatre grands (Allemagne, France, Italie, Espagne ; ils ne sont plus que quatre depuis le Brexit). La Pologne aimerait faire partie des grands. Il y a une série de pays entre 10 et 22 millions d’habitants qui souhaitent qu’on ne les oublie pas dans les négociations. Et une série de pays plus petits : la périphérie ! Les trois États baltes en font partie.

Périphérie dans le monde catholique. Certes les catholiques sont majoritaires en Lituanie. Mais ils ne sont qu’un tiers de la population en Lettonie. Et quasi insignifiants en Estonie. Pourtant, l’Union européenne, dont la majorité de la population est catholique, ne manque pas de pays à majorité catholique.

Géographie des visites du pape en Europe

Le pape n’est jamais venu dans les « grands » pays catholiques d’Europe, les grands et ceux qui se croient grands. Ceux qui sont très peuplés. Qui disposent de beaucoup d’argent. Ou de tradition culturelle et intellectuelle, qui attirent des doctorants du monde entier dans leurs universités. Je pense ici à l’Allemagne, la France, l’Espagne [1] … Et si le pape est allé en Pologne, c’était pour participer aux JMJ.

Le pape a visité les trois États transcaucasiens (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan). Ces États sont-ils en Europe, bien que membres du Conseil de l’Europe ? Le pape est allé en Bosnie-Herzégovine et en Albanie. États atypiques en Europe, peuplés d’une majorité de musulmans. États pauvres selon les standards européens. Le pape s’est rendu en Suède où les catholiques ne sont qu’une infime minorité. Il s’est rendu à Lesbos pour manifester sa sollicitude vis-à-vis des migrants. La Grèce ne compte qu’une poignée de catholiques. Le pape s’est rendu en Turquie pour rendre visite au Patriarche Bartolomé, c’est devenu une tradition pour tout nouveau pape élu. Le pape s’est rendu en Irlande pour la rencontre mondiale des familles. Il est allé à Strasbourg et à Genève pour rendre visite à des institutions internationales. Voilà une géographie des voyages pontificaux qui doit nous donner à réfléchir. Vision atypique de l’Europe. Quelle image avons-nous de l’Europe ? De l’Europe catholique ? Quelles sont les périphéries de l’Europe ? Périphéries par la géographie, par le niveau de richesse, par le poids politique, par la présence des catholiques ?

Comprendre les États baltes dans le miroir de leur histoire

Pour comprendre les États baltes, il faut les regarder dans le miroir de l’histoire. Les Baltes eux-mêmes aiment raconter leur histoire nationale. Parce qu’ils estiment qu’elle est méconnue ? Parce qu’on ne peut comprendre tel ou tel pays sans connaitre d’abord d’où le pays vient ?

Sans remonter au Moyen-Age ou à la période moderne, il est bon de se souvenir que les trois pays ont été occupés et annexés par la Russie tsariste au XIXe siècle. La revendication nationale se confond avec la revendication religieuse-catholique. La méfiance vis-à-vis des Russes remonte jusque-là. Cette oppression russe a été dupliquée et renouvelée par l’annexion à l’Union soviétique (1940-1991)… et elle est attestée par la présence de nombreux Russes sur les territoires lettons et estoniens. Au point que les « Russes » représentent jusqu’à 30% de la population nationale de ces pays.

Saisir les différences entre les trois pays

Différences de langues. De culture. A cause de la présence de minorités russes plus ou moins importantes. C’est sur le plan religieux que les différences sont les plus claires. La Lituanie dispose d’un catholicisme qui prépare le terrain à un national-catholicisme. Un peu comme la Pologne. La Lettonie connait une situation d’équilibre entre trois dénominations chrétiennes. Et une excellente ambiance œcuménique. L’Estonie dispose d’une majorité de la population qui est détachée de toute appartenance confessionnelle. Ce qui est une situation très rare en Europe. Il n’y a guère que la république tchèque qui soit dans la même situation. Ce sera peut-être la situation de la France en 2040.

Critiques à l’égard de l’influence occidentale, réticences et ressentiments à l’égard de Moscou : quel modèle pour l’avenir ?

Un défi majeur des pays baltes qui se sont débarrassés du totalitarisme communiste il y a déjà 26 ans semble être le fait qu’ils ne sont pas encore suffisamment enracinés dans une mentalité libérale occidentale. Le paysage politique postcommuniste en offre une bonne illustration. Le désastre moral que l’on a pu observer pendant toute la période du totalitarisme communiste a fait d’énormes dégâts.

Les sociétés baltes souffrent d’une maladie que certains ont décrite comme étant une « démocratie sans démocrates ». Les institutions démocratiques ont été bien établies, mais les politiciens et les citoyens n’ont pas acquis de mentalité démocratique de manière adéquate.

Les critiques contre la démocratie occidentale trouvent des oreilles complaisantes. On n’est pas toujours très loin du discours sur la « démocratie il-libérale » telle qu’elle est professée par Viktor Orban en Hongrie. Mais on ne trouve pas de fascination pour le régime autoritaire de la Russie ou la personnalité de Poutine. Contrairement aux partisans de cette thèse critique en France, que ce soit au plan politique, à droite et à l’extrême droite, ou au plan religieux chez les traditionalistes de l’Église de France qui font le pèlerinage à Moscou…

La thématique de la migration ou de la xénophobie mord difficilement dans l’opinion, il y a très peu de migrants dans le pays. Les trois pays sont des pays d’émigration, le problème pour eux est plutôt de conserver un statut favorable des migrants pour leurs ressortissants au sein de l’Union européenne.

L’attachement à l’Europe est considérable dans les trois sociétés baltes. La peur et le ressentiment à l’égard de Moscou constituent un ciment puissant. Cela doit nous empêcher de noyer ces trois États dans une catégorie générale de « sociétés populistes d’Europe centrale, europhobes, xénophobes, fascinées par l’autoritarisme de Poutine »… Peut-être pourra-t-on dire que ces sociétés souffrent du syndrome des petits pays : ils ont peur que l’histoire s’écrive sans eux, qu’on les traite comme des citoyens de seconde catégorie….

Il faut s’intéresser aux pays baltes. C’est indispensable pour tous ceux qui veulent façonner l’avenir de l’Europe, que ce soit l’Union européenne ou l’Église dans notre société séculière et post-séculière !

Antoine Sondag

septembre 2018

 

(1) Le cas de l’Italie est différent : le pape est primat d’Italie. Pendant longtemps, il a été « président » de la Conférence des Évêques d’Italie, même s’il déléguait cette tâche à un cardinal. Actuellement, c’est le pape qui choisit le président de la Conférence des Evêques sur une liste de trois noms élus par leurs pairs. A cause de cet enracinement spécial, le pape visite assez souvent tel ou tel diocèse en Italie. Lampedusa est en Italie. Les visites en Italie ne sont pas comptabilisées comme des voyages du pape à l’étranger.

 

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