Homélie du dimanche 21 octobre 2018

Aimer, servir le monde, vivre pauvrement comme lui, voilà la mission confiée par le Christ à son Église, a rappelé le Concile Vatican II. En ce dimanche qui clôture la semaine missionnaire mondiale, les textes bibliques sont une source précieuse pour une réflexion sur l’importance de la dimension de « service » dans nos vies personnelles et communautaires. Sur ce sujet, les attitudes des apôtres rapportées par saint Marc nous offrent encore un contre témoignage.

« Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée,
s’approchent de Jésus et lui disent :
« Maître, ce que nous allons te demander,
nous voudrions que tu le fasses pour nous. »
Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger,
l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »

Saint Marc n’a rien caché des ambitions et des querelles au sein du groupe des Douze et des malentendus entre eux et Jésus. Ce qui d’ailleurs plaide en faveur du caractère authentique de son Évangile, et en faveur de l’humilité des apôtres, puisqu’ils n’ont pas censuré les passages où ils donnaient d’eux-mêmes une image peu glorieuse. Il leur a fallu beaucoup de temps pour découvrir qui était Jésus et pour accepter de le suivre sur les chemins de sa mission de Messie-Serviteur et non pas se servir de lui dans leur campagne électorale, et l’amener à se soumettre à leurs projets. Ils ont l’honnêteté de montrer en quoi ils ont manqué de courage, de lucidité, et comment ils se sont trompés au sujet de leur maître et même parfois l’ont abandonné ou trahi.
A l’occasion du Concile Vatican II, après des siècles de chrétienté, l’Église a reconnu que sa mission universelle reçue du Christ a pu la conduire au cours des siècles à des pratiques parfois violentes de pression sur les consciences, de domination culturelle, d’obligation de rites et de rubriques pour tous, de gouvernance dictatoriale. Dans leurs manières de vivre et de célébrer ensemble, les communautés chrétiennes de tous temps, elles aussi, n’ont pas été et ne sont pas encore exemptes de rivalités, de recherches de pouvoir et de grandeur semblables à celles que manifestent Jacques et Jean dans l’Évangile de Marc. Tout cela nous invite à nous laisser remettre en cause à chaque instant par l’Évangile que nous proclamons, car nous ne sommes pas meilleurs que nos Pères. La réponse de Jésus à la demande des deux apôtres nous interpelle encore aujourd’hui.

« Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez.
Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire,
être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit :
« La coupe que je vais boire, vous la boirez ;
et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé.
Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ;
il y a ceux pour qui cela est préparé. »

On pourrait dire que Jésus a vécu trois baptêmes (trois plongeons) décisifs. Celui de Jean dans les eaux du Jourdain dans lesquelles il a été plongé avec tous les pécheurs dont « il se charge des péchés pour les réparer ». Celui du bain de l’Esprit qui descend sur lui et de la voix céleste qui lui donne le nom de « Fils bien-aimé ». Et enfin celui de sa mort sur la croix qui sera son baptême du sang. Aux deux apôtres assoiffés de pouvoir Jésus annonce que son triomphe messianique ne se passera pas comme ils l’imaginent. Son intronisation sera pour lui un baptême de souffrance, et la coupe qu’il va boire sera celle du sang versé, quand il ira jusqu’au bout du don de lui-même, à l’extrême de son amour. Sa mission est d’être serviteur et sauveur de l’humanité non pas assis sur un trône royal mais élevé sur une Croix. Il est venu accomplir ce qu’annonçait le prophète Isaïe.

« Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur.
S’il remet sa vie en sacrifice de réparation,
il verra une descendance, il prolongera ses jours :
par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera.
Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes,
il se chargera de leurs fautes. »

Les deux apôtres arrivistes en restent à une vision mondaine du pouvoir. Ils ne savent pas encore que c’est sur la Croix que se manifestera la gloire de Jésus, ils ne savent pas que ce baptême et cette coupe seront aussi leur lot, quand ils auront à exercer leur mission d’apôtres après sa mort et sa résurrection. Jésus leur révèle enfin que c’est dans le Royaume à venir, à la fin des temps, que les places seront accordées aux uns et aux autres par le Père. Serviteur et Fils du Père, il va jusqu’à se dessaisir du jugement dernier.
Il est bon d’aller jusqu’au bout du récit de Marc. C’est en effet à tous les Douze, et donc aussi à tous ceux qui sont et seront ses disciples qu’il s’adresse pour les inviter à être serviteurs comme lui et non à la manière du monde manifestée par Jacques et Jean.

« Les dix autres, qui avaient entendu,
se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez :
ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ;
les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi.
Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.
Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous :
car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi,
mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

La soif de grandeur dont font preuve Jacques et Jean est tapie au fond de chacun, de chaque groupe, de chaque peuple. Elle peut se réveiller à tout moment de mille manières, tout autant comme désir d’une perfection absolue que comme obsession de dominer. Nous savons comment Satan avait tenté (et aussi testé) Jésus à son sujet. Change les pierres en pain, sois le maître du monde. Jette-toi dans le vide. Puisque tu es Fils de Dieu, rien ne te sera impossible. Nous savons comment Jésus avait résisté à ces tentations au désert, pour choisir un chemin d’humanité, d’humilité et de service. Dans sa recommandation à tous les disciples, Jésus emploie les mots « serviteur » (diaconos en grec) et « esclave » (doulos). Les tâches du premier peuvent être honorables, mais celles du second sont plutôt méprisables. Les deux, il se les est appropriées pour sauver l’humanité, comme l’évoque l’auteur de l’épître aux Hébreux ce dimanche :

« En Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence,
celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi.
En effet, nous n’avons pas un grand prêtre
incapable de compatir à nos faiblesses,
mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses,
à notre ressemblance, excepté le péché.
Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce,
pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. »

Le Père Congar, grand théologien du 20e siècle, faisait remarquer qu’aux premiers temps de l’Eglise, évêques et prêtres étaient d’abord désignés par les communautés avant d’être ordonnés, et cela souvent contre leur gré. Ce qui attestait qu’ils n’avaient pas cherché la grandeur ou la dignité, et que leur ordination n’était pas liée à une ambition personnelle. On se méfiait donc plutôt de ceux qui ressemblent à Jacques et Jean. Belle leçon à retenir pour tous.

Michel SCOUARNEC

Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon

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