Interview de Jacques Gaillot, Evêque de Partenia
21 déc. 2018Questions posées par Francis X. Rocca correspondant du Wall Street Journal au Vatican.
1- A votre avis, pourquoi le pape Jean-Paul II vous a-t-il révoqué en tant qu’évêque d’Evreux ?
Au moment de ma révocation d’Evreux, le 13 janvier 1995, le pape Jean-Paul II se trouvait aux Philippines à Manille pour les journées mondiales de la jeunesse.
C’est le cardinal préfet de la Congrégation des évêques, qui m’avait convoqué à Rome.
Il me signifia que mes nombreuses interventions dans les médias sur des sujets sensibles causaient le trouble et la division chez de nombreux fidèles y compris des évêques. Vous êtes fait pour l’unité et vous divisez. Cette situation ne peut plus durer.
Je gardais le silence. Une parole du cardinal eut l’effet d’une flèche qui me blessa :
« On dit que vous ne croyez pas à l’Evangile. Pour vous, l’Evangile est une parole comme un autre. »
Je n’étais pas là pour me défendre mais pour entendre un jugement qui tomba comme un couperet :
« Demain à midi, vous ne serez plus évêque d’Evreux. »
Un an après, le pape Jean-Paul II souhaita me rencontrer.
Comme toujours il se montra très fraternel.
« Les gens d’Evreux ne doivent pas aimer le pape » me dit-il d’emblée.
« Rassurez-vous. Ils pensent que vous n’y êtes pas pour grand-chose, et que c’est une affaire de la Curie romaine ».
Le pape sourit mais me parut ennuyé de cette affaire.
2- A votre avis, pourquoi le pape vous a-t-il transféré au siège de Partenia au lieu de vous désigner simplement évêque émérite d’Evreux ?
C’est le cardinal préfet qui était à la manœuvre :
« Si vous signez votre démission, vous serez évêque émérite d’Evreux.
« Et si je ne signe pas ? »
« Vous serez évêque transféré. Vous avez quelques heures pour réfléchir. »
Prenant congé du cardinal, ma décision était déjà prise : je ne signerai pas. Je ne voulais pas être forcé au divorce. Avant de reprendre le train de nuit pour Paris, je commençais de rédiger un message aux diocésains d’Evreux :
« Je cesse de vous servir, mais je ne cesse pas de vous aimer. »
Le cardinal attendit ma réponse, mais la réponse ne vint jamais.
Je n’ai pas reçu de rescrit prescrivant les motifs de ma révocation.
Par la presse, j’appris que j’étais nommé évêque de Partenia.
3- Quelles sont selon vous, vos principales réussites en tant qu’évêque de Partenia ? Y a-t-il eu des épisodes particulièrement satisfaisants ? Des défis particulièrement difficiles ?
Des amis se réjouissaient de ma nomination et voulaient la réussite de ce diocèse hors norme :
« C’est formidable : au moment où Rome te nomme à Partenia, tu as un media qui correspond à ce diocèse sans frontières : le net. C’est un outil merveilleux qui te permettra de communiquer avec des gens de partout. »
Le site Partenia fut créé à Zurich par Katharina Haller qui en plus de son travail, se donna à fond à cette tâche.
Le 20 de chaque mois je lui envoyais :
+ le partage d’un ou deux évènements vécus dans le mois.
Cela donnera un livre : « Carnet de route. »
+ Un partage d’Evangile fait en équipe.
Un livre en sortira : « La Bible à livre ouvert »
+ La rédaction en équipe d’une question concernant la foi
Qui donnera naissance à un livre : « Un catéchisme au goût de liberté ».
+ La réponse à trois questions d’actualité posées par un journaliste de la télévision.
Katharina envoyait ces textes aux traducteurs et traductrices bénévoles de différents pays pour une traduction en 7 langues.
Au début de chaque mois, ces textes paraissaient sur le site Partenia. Et cela sans interruption pendant 15 ans.
Quelle prouesse !
De nombreux internautes de différents pays venaient régulièrement consulter le site Partenia.
Il y en avait toujours deux du Vatican !
Un défi a été difficile pour moi à relever.
Du jour au lendemain, ayant été révoqué par Rome, j’étais considéré comme non fréquentable et déviant dans mon Eglise. Je n’étais plus invité. Fini les interventions, les prédications, les retraites, les invitations aux rencontres d’évêques. J’étais rayé des listes.
Désormais, il me fallait aller vers ceux du dehors : les exclus.
Les migrants, les prisonniers, les sans-logis me sentaient à eux car j’étais comme eux un exclu. Grâce à Rome !
Je ne prêchais plus dans les églises, et ne m’adressais plus à un public chrétien.
Je prenais la parole hors les murs, sur les places publiques, dans les rues, au cours de manifestations où se trouvaient militants, syndicalistes, migrants…
Je compris qu’il me fallait partir de l’humain. L’humain d’abord. En toute circonstance. Avec un vocabulaire nouveau.
Je découvris que ceux qui parlaient si bien de l’homme dans les manifestations, me disaient quelque chose de Dieu.
Je constatais l’importance pour les exclus de reconnaître leur dignité.
Personne n’a jamais pu prendre leur dignité, malgré les menaces et les humiliations. La dignité leur appartient.
Je constatais que la seule attitude qui puisse libérer quelqu’un, c’était de reconnaître sa dignité.
4 – A votre connaissance, l’existence de Partenia en tant que diocèse virtuel reste un cas unique ou y en a-t-il eu d’autres après le vôtre ?
Ma connaissance est limitée ! Il n’y a qu’un évêque par diocèse. Celui qui ne l’est pas, reçoit un titre comme c’est le cas d’un évêque auxiliaire ou devient évêque émérite de son diocèse précédent.
Je suis un cas, n’en connaissant pas d’autre à ce jour.
5 – Avez-vous cessé vos activités en tant qu’évêque de Partenia ? Dans ce cas quand et pourquoi ?
Je suis toujours évêque titulaire de Partenia à 83 ans.
Je ne sais pas si le Nonce apostolique de Paris est au courant…
Tant que j’ai la santé, je continue d’être sur le terrain de l’exclusion.
A 75 ans, j’ai pensé qu’il était sage d’arrêter d’écrire sur le site Partenia.
6 – Lors de votre rencontre avec le pape François en 2015 avez-vous parlé de votre ministère en tant qu’évêque de Partenia ? Le pape vous a-t-il dit quelque chose sur ce thème ? Avez-vous parlé d’autre chose ?
Ce fut une très belle rencontre. Je n’avais rien à demander au pape François. Il m’avait téléphoné sur mon portable pour me dire qu’il souhaitait me rencontrer.
Le pape était intéressé de savoir ce qui faisait ma vie sur le terrain parisien.
« Je suis responsable d’une association de migrants africains dont le but est d’obtenir un titre de séjour.
Je me sens bien avec eux. Ils sont ma famille.
Je visite des prisonniers qui ont de longues peines. Nous sommes devenus des amis qui m’apportent beaucoup ».
« Continuez ce ministère, c’est si important ! » soupira François. Puis après un moment de silence me demanda :
« Avez-vous une expérience des familles ?»
« Des familles un peu particulières… Dernièrement j’ai béni un couple de divorcés remariés. Ils sont ensemble depuis 20 ans. Arrivés à l’âge de la retraite, ils veulent se remarier civilement et désirent comme chrétiens, une bénédiction. N’ayant pas trouvé de prêtre, ils s’adressent à moi. J’accepte et vais dans un village où se trouve leur résidence secondaire ainsi qu’un modeste parc où se fait la célébration. 100 personnes sont présentes. Il y a les chants la musique. Les mariés prennent en premier la parole et disent pourquoi ils tiennent à une bénédiction.
L’assemblée écoute l’Evangile que j’actualise, puis nos prières de demande s’adressent à notre Père commun et je donne une large bénédiction.
Tout le monde est heureux. C’était vrai et çà donnait du sens.
Le pape restait silencieux.
Alors je continuais :
J’ai béni un couple d’homosexuels. Deux hommes de 29 et 30 ans. Ensemble depuis 10 ans, ils veulent se marier civilement et comme ils sont chrétiens, désirent une bénédiction.
Ne trouvant pas de prêtres qui acceptent, l’un d’eux m’écrit une belle lettre témoignant que sa foi fait partie de sa vie. Comment pourrais-je refuser ?
La célébration se déroule dans un domaine loué pour le weekend. Il y a 80 invités.
C’est jour de fête et de joie. L’assemblée écoute le témoignage des mariés ainsi que l’Evangile choisi par eux et que je commente. Je donne aux mariés la bénédiction qui leur donnera lumière et force tout au long des jours.
Le pape lèva alors les bras :
« La bénédiction, c’est dire la bonté de Dieu à tous, sans exception. »
7- Pensez-vous que vos auriez fait le même parcours d’Evreux à Partenia si François avait été le pape dans les années 90 ?
Certainement pas. Je n’aurais jamais connu l’existence de Partenia.
8- En regardant en arrière voyez-vous l’action de la Providence dans ce chemin ?
Ou aurait-il été préférable que vous restiez à Evreux jusqu’à votre retraite ?
L’action de la Providence était certaine pour moi. Je me sentais dans la main du Père. J’ai vécu cette révocation en grande paix malgré tous les remous que provoquait mon départ. Je pardonnai à mes détracteurs victorieux qui téléphonaient à l’évêché pour dire qu’ils sablaient le champagne.
Jésus faisait ma route et me préparait à une autre aventure pour l’Evangile. Je partais avec confiance sans savoir où je me poserais et ce qui m’attendrait.
Après avoir été près de 13 années à Evreux, il était bon que je parte. J’avais donné toute ma mesure au peuple d’Evreux.
Sur les routes de Partenia, mon cœur s’est élargi pour rejoindre l’humanité entière. Tant de rencontres dans tant de pays, m’ont fait grandir en humanité, m’ont ouvert aux autres, ouvert à l’Esprit.
Arrivant bientôt au terme du chemin, ma prière est surtout faite d’action de grâce.
Jacques Gaillot
Evêque de Partenia
Paris le 13 novembre 2018