Homélie du dimanche 3 mars 2019
27 févr. 2019Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6, 39-45.
« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.
Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?
Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. »
Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
Homélie
Les défauts des autres sont bien plus visibles que leurs qualités, évidemment. Ce qu’ils font de bien, c’est bien la moindre des choses. Mais leurs défauts, il faut vivre avec : c’est pas drôle ! Et c’est la même chose avec soi-même : interrogez quelqu’un sur son principal défaut, il trouvera facilement quoi dire. Mais sur sa principale qualité, bien souvent, il cherchera sans vraiment trouver. On a du mal à reconnaître ses propres qualités.
Ce réflexe est vrai même par rapport à Dieu : pourquoi tant de gens ont-ils du mal à croire en un Dieu bon ? Parce qu’ils voient d’abord ce qui ne va pas dans le monde. Eh bien, c’est cette façon de voir le mal en premier qui fait de nous des aveugles. C’est cela avoir une poutre dans l’œil. Comprenons bien cette histoire de la paille et de la poutre : ça ne veut pas dire que chacun devrait se juger pire que les autres. D’après Saint Paul (Philippiens 2) il est même bon « d’avoir assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes ».Non ! Ce n’est pas de ça qu’il s’agit ici. Parce que des défauts, qui n’en a pas ? Alors un peu plus ou un peu moins ?
Non. Ce qui rend vraiment la vie pénible et difficile, c’est quand on ne voit plus que le mal chez les autres, et en soi-même. Avoir une poutre dans l’œil, ce n’est pas avoir un défaut plus gros que les autres, c’est ne voir que les défauts. C’est avoir ce regard amer, désabusé, cette façon de ne jamais être content. Ce n’est pas parce que j’ai des limites que je suis nul. « Regarde tes notes, tu es nul. » C’est ça être aveugle et entraîner l’autre avec soi dans le trou du découragement : « Je le connais bien, il n’y a rien à en tirer ! » Ce qui est le plus désespérant, c’est n’avoir rien à apporter aux autres, sentir que les autres n’attendent plus rien de moi. Être en chômage, en chômage de sa place parmi les autres.
Qu’il y ait du mal dans le monde, c’est l’évidence. Mais c’est précisément pour ça qu’il nous faut savoir discerner en chacun les possibilités de bien. Car la lucidité sans la bienveillance, c’est une lumière cruelle, blessante. En fait c’est une fausse lucidité. La vraie, elle, voit au-delà des apparences. Parce que nous avons non seulement des défauts, mais une tendance au mal en nous,nous avons besoin d’être encouragés par un regard de bienveillance et de confiance. Il y a une phrase de la Bible que les enfants aiment beaucoup : « L’homme regarde le visage, Dieu regarde le cœur. » Nous, nous ne voyons que le visible, mais la vérité d’un être humain est de l’ordre de l’invisible. C’est pourquoi on ne voit clair qu’avec le regard du cœur.
Nous avons donc une grande responsabilité les uns à l’égard des autres. Il s’agit pour nous d’être les témoins de Dieu – rien moins que cela – les témoins du regard que Dieu pose sur nous. Ce regard que Jésus posait sur les pécheurs. Un regard qui voyait au-delà du visible, qui allait au plus profond et qui créait de la bonté.
Alors devant les défauts des autres, devant les difficultés à vivre ensemble, devant la fatigue à supporter les autres, Dieu ne nous demande pas d’être des redresseurs de torts, mais d’aider les autres à vivre. Les chrétiens – et l’Église – apparaissent trop souvent comme voulant toujours corriger les autres. Non, nous n’avons pas la charge, au nom de Dieu, de faire la morale, ni aux autres, ni à nous-mêmes. Mais nous sommes invités à croire : croire en la bonté de Dieu, en cette bonté qui est à l’œuvre, en nous, chez l’autre, et dans chaque être humain, et qui y crée de la bonté. Et nous avons à en témoigner par notre propre regard les uns sur les autres.
Un des maîtres mots de l’évangile d’aujourd’hui, c’est le mot frère. Si tu es mon frère, je ne suis ni ton père, ni ton maître, ni ton juge.« Qu’as-tu fait de ton frère ? » L’as-tu tué par des paroles d’accusation ou bien l’as-tu aidé à surmonter ses faiblesses ? J’ai un petit jeu à vous proposer, ce dimanche midi : prendre un papier et y inscrire votre principale qualité. Puis prendre un autre papier et y inscrire la principale qualité de ceux qui vous entourent. Vous aurez d’heureuses surprises, vous verrez. Oui, au sein d’une humanité blessée, souffrante, il est urgent de témoigner de notre foi en la bonté des autres et de Dieu. Nous avons besoin, aujourd’hui, d’un vrai regard de foi, d’espérance, sur les autres, sur nous-mêmes et sur Dieu. « Qu’il est bon, le Bon Dieu ! »
Robert Tireau
Prêtre du Diocèse de Rennes