« Les femmes, les hommes et Dieu » par Christian BOBIN

« …Les hommes ont peur des femmes. C'est une peur qui leur vient d'aussi loin que leur vie. C'est une peur du premier jour qui n'est pas seulement peur du corps, du visage et du cœur de la femme, qui est aussi bien peur de la vie et peur de Dieu. Car ces trois-là se tiennent de près — la femme, la vie et Dieu. Qu'est-ce qu'une femme ? Personne ne sait répondre à cette question, pas même Dieu qui pourtant les connaît pour avoir été engendré par elles, nourri par elles, bercé par elles, veillé et consolé par elles. Les femmes ne sont pas Dieu. Les femmes ne sont pas tout à fait Dieu. Il leur manque très peu pour l'être. Il leur manque beaucoup moins qu'à l'homme. Les femmes sont la vie en tant que la vie est au plus près du rire de Dieu. Les femmes ont la vie en garde pendant l'absence de Dieu, elles ont en charge le sentiment limpide de la vie éphémère, la sensation de base de la vie éternelle. Et les hommes, ne pouvant dépasser leur crainte des femmes, croyant la dépasser dans des séductions, des guerres ou des travaux, mais ne la dépassant jamais réellement les hommes, ayant une peur éternelle des femmes, se condamnent éternellement à ne presque rien connaître d'elles, presque rien goûter de la vie et de Dieu. Parce que ce sont les hommes qui font les Eglises, il est inévitable que les Eglises se méfient des femmes, comme d'ailleurs elles se méfient de Dieu, cherchant à apprivoiser celles-ci et celui-là, cherchant à contenir la vie en crue dans le lit bien sage des préceptes et des rites. Et sur ce point, l'Eglise de Rome ressemble à toutes les autres. En 1310, moins d'un siècle après la mort de François d'Assise, elle brûle une femme, Marguerite Porete, pour son livre, « le Miroir des âmes simples et anéanties ». Dans ce livre il n'y a rien que François d'Assise n'eût pu signer, rien de plus que ce qu'il disait sans le dire — en chantant. Dans ce livre elle n'emprunte pas au latin des prêtres mais au provençal des troubadours, qui est langue des moineaux et des princes, langue famélique de la surabondance d'amour. Elle ne s'adresse ni au Très-Haut ni au Très-Bas. Elle s'adresse au Loin-Près. Elle parle à Dieu en lui donnant ce nom que toutes les femmes pourraient donner à leur mari : le loin-près…. »

 

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