Le 2 août 2016, lors des funérailles du prêtre Jacques Hamel à la cathédrale de Rouen. © AFP/ JOEL SAGET

Le 2 août 2016, lors des funérailles du prêtre Jacques Hamel à la cathédrale de Rouen. © AFP/ JOEL SAGET

Les dernières minutes du père Jacques Hamel

Dans "Martyr. Vie et mort du père Jacques Hamel", Jan De Volder raconte avec de nombreux détails inédits le destin du prêtre tué le 26 juillet. Saisissant.

Tout est minutieusement relaté, minute par minute, certains détails n'ayant encore été rapportés par aucun média. L'arrivée au début de la messe d'un jeune homme « aux airs d'étudiant », ouvrant la porte de la sacristie et questionnant aimablement sœur Huguette, avant de se représenter dix minutes plus tard, habillé de noir, en hurlant que les chrétiens sont les ennemis de l'islam. Le violent dialogue entre le père Jacques et ses assassins, la brève résistance de ce dernier, les deux coups de couteau fatals. Et surtout l'ahurissante conversation qui s'engage ensuite entre les djihadistes et la plus âgée des religieuses, sœur Danielle, alors que deux corps sont à terre, celui du père et celui d'un vieux paroissien, et alors que les trois femmes serrées les unes contre les autres sont convaincues de connaître bientôt le même sort.

Le calme est comme revenu, on parle de Jésus, du Coran, de la peur de mourir, l'une réclame de s'asseoir, l'autre de ramasser sa canne, et il leur est répondu, alors que le sang coule de la gorge du père, avec politesse et douceur.

Martyr

Jan De Volder n'est pas journaliste. Il est historien, titulaire de la chaire Religions et paix à l'Université catholique de Louvain. Membre de la puissante communauté laïque Sant'Egidio, très investi dans le dialogue interreligieux, il a collaboré au Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde, a jadis croisé le père Christian de Chergé (prieur de Tibhirine), connaît le père Paolo Dall'Oglio et l'évêque Youhanna Ibrahim, tous deux portés disparus en Syrie. La mort de Jacques Hamel, qu'il apprend, comme tout le monde, alors qu'il s'apprête à partir en vacances, le stupéfie : encore un martyr, pense-t-il, cette fois en plein cœur de l'Europe.

À la mi-août, l'universitaire se rend donc sans bien savoir ce qu'il va trouver à Saint-Étienne-du-Rouvray. La pression médiatique est alors un peu retombée, et le diocèse de Rouen fait bon accueil à ce membre de Sant'Egidio auquel on consent à ouvrir des portes qui à d'autres sont restées closes.

Sans éclat

Résultat de cette enquête méticuleuse auprès des témoins du drame, mais aussi de la famille et des amis du père, paraît aujourd'hui un petit livre à visée clairement apologétique, Martyr. Vie et mort du père Jacques Hamel*, dont la lecture, que l'on soit ou non croyant, est saisissante. Car, au-delà de la scène initiale si précisément rapportée, c'est toute une vie qui est ramassée là, une vie que rien ne destinait à une fin si dramatique, celle d'un prêtre discret, besogneux, guère à l'aise dans le monde, qui, à défaut d'avoir des talents d'orateur, prépare avec grand soin ses homélies et ne trouve pas toujours ses marques dans les paroisses où il est affecté.

Le décès de sa mère le laisse inconsolable, la solitude lui pèse, mais jamais cet homme sans éclat ne plie face aux difficultés de la voie qu'il a librement choisie, et on songe souvent, découvrant cette vie, aux pages de Bernanos racontant celle, si terne, d'un curé de campagne.

Un homme au milieu des autres

Et puis l'homme fait partie de cette génération de prêtres dont on a un peu oublié la formidable capacité d'adaptation et la soif, courageuse, de renouveau. À la fin des années soixante, Jacques Hamel suit les débats de Vatican II, heureux qu'on délaisse ce décorum qu'il abhorre, quittant la soutane sans difficulté, lui qui veut vivre, d'abord, comme un homme au milieu des autres. S'il a de rares colères, elles sont presque toujours pour l'apparat, les mondanités, le carriérisme que certains de ses confrères ne détestent pas. Et s'il y a bien une constante dans son existence, elle est d'avoir préféré toujours, à toute chose, l'humilité de sa condition.

Une anecdote l'illustre d'ailleurs de façon poignante. C'est la guerre d'Algérie, Jacques est séminariste et part comme les autres faire ses classes. Et comme bien des étudiants, il pourrait devenir officier. Mais il refuse catégoriquement ce grade, et s'en explique par la suite à sa petite sœur : Jacques Hamel, 23 ans, qui soixante ans plus tard périra égorgé par un tout jeune homme, ne veut pas, quitte à dédaigner de sortir du rang, « donner l'ordre à des hommes de tuer d'autres hommes ».

* Martyr. Vie et mort du père Jacques Hamel, Jan De Volder, éditions du Cerf, 9 euros.

 

Par Violaine de Montclos

 

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