Le processus de deuil interrogé après la mort de Vincent Lambert par Nicole Fabre, aumônier
12 juil. 2019La fin de vie de Vincent Lambert, qui nous a quittés aujourd’hui, pose la question de quand lâcher prise ? Que ce soit pour les familles ou les personnes en fin de vie. Cela nous arrive assez souvent, en tant qu’aumônier, de dire à une personne en fin de vie : « Vous avez le droit de mourir », car c’est très dur de lâcher les vivants. C’est un pas dans l’inconnu. Il en va de même pour les familles.
Entrer dans la grâce
En maison de retraite, il est arrivé à un collègue, quand c’était possible, de proposer aux enfants : « Dites à votre parent qu’il peut y aller ». Autoriser l’autre à partir, de manière verbale, ce n’est pas rien. Cela veut déjà dire qu’on a démarré le travail de deuil. La vie de l’autre a du sens même si elle s’arrête là.
C’est entrer dans la grâce et le don qu’elle a été malgré tout ce qui n’est pas tiré au clair ou qu’on rêverait de vivre encore. On en est meurtri mais pas frustré. Cela implique d’accepter ce qui n’a pas pu se vivre – c’est une dimension du pardon – et arrêter de se culpabiliser, d’un côté ou de l’autre.
Donner à l’autre sa liberté
J’ai vécu avec une relativement jeune mère de famille un temps fort. Elle était en sanglots car le médecin lui avait dit qu’il n’y avait plus rien à faire alors qu’elle s’était battue pendant deux ans. À sa façon de sangloter et de me tenir la main, j’ai eu l’impression d’un accouchement et elle me l’a confirmé.
Il s’agit d’entrer en confiance dans quelque chose de neuf, qui est pourtant un départ. C’est donner à l’autre sa vie et sa liberté, transmettre ce qui a été vécu ensemble sans que cela ne crée des liens qui empêchent les vivants d’aller ensuite de l’avant. C’est pousser l’autre vers une étape qui lui est propre et qui est nouvelle. Il y a dans la mort quelque chose de cet ordre.
Cesser d’interpréter
Le cas de Vincent Lambert est particulier car son entourage ne pouvait pas communiquer avec lui. Il faut alors vraiment faire un travail sur soi. Un travail sur la culpabilité, l’emprise, l’interprétation de ce que l’autre vit. Ce travail exige d’être respectueux du mystère de ce que la personne en fin de vie traverse, et cesser de se mettre à sa place, accepter que l’autre m’échappe.
Finalement, en tant que croyant, cela revient à accepter profondément la remise à Dieu. Car quelque personne que ce soit, elle appartient fondamentalement à Dieu.
Nicole Fabre, aumônier des hôpitaux (Lyon)
Propos recueillis par Claire Bernole