Lors de la Conférence des évêques de France au couvent des Bernardins, à Paris, en avril 2018. Photo Denis Allard pour Libération

Lors de la Conférence des évêques de France au couvent des Bernardins, à Paris, en avril 2018. Photo Denis Allard pour Libération

Si plusieurs élus de l’Assemblée nationale pratiquent assidûment la religion catholique dans le privé, ils sont néanmoins réticents à l’afficher publiquement, de peur d’être considérés comme des réactionnaires.

   Chez les députés, la foi jette un froid

«Les responsables politiques ont fini par neutraliser en eux toute possibilité de dire qu’ils ont une accointance avec une religion.» Jusqu’en septembre, le père Laurent Stalla-Bourdillon dirigeait le Service pastoral d’études politiques (Spep), l’institution qui accompagne les parlementaires catholiques. Assis dans la salle de réunion vitrée de la Maison diocésaine de Paris, l’homme déplore aujourd’hui la vision de sa religion au sein du monde politique : « Aujourd’hui, si vous avez le moindre contact avec une institution catholique, vous êtes quelqu’un de suspect.» En son temps, Charles de Gaulle ne ratait jamais une occasion de participer à la messe à Colombey-les-Deux-Eglises. Le premier président de la Ve République avait même fait installer une chapelle à l’intérieur de l’Elysée. Un demi-siècle plus tard, le lieu de culte est devenu une simple salle d’attente pour visiteurs du soir.

Messe des parlementaires

Les temps ont changé. Le nombre de non-croyants a dépassé celui des croyants, et la pratique régulière de la messe n’est plus une habitude que pour 1 Français sur 20. Une partie des parlementaires continue tout de même à se consacrer à l’office. A deux rues du Palais-Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, les reflets matinaux rehaussent le vert d’eau des murs encadrant l’autel de la chapelle Jésus-Enfant, jauni par les ampoules d’intérieur. Il est 8 heures et le curé est déjà là, face à un public dispersé sur les bancs. Tous les mercredis, un représentant de la paroisse Sainte-Clotilde anime la messe des parlementaires. Une cérémonie où des élus passent, l’espace d’une demi-heure, des bancs de l’Assemblée nationale à ceux de l’assemblée liturgique. Ils partagent une pratique assidue de leur religion en privé et sa dissimulation dans l’espace politique.

En France, le catholicisme, qui célébrait jeudi l’Assomption, n’est plus ce référentiel spirituel de jadis, ébranlé mais pas rompu par le tournant de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. La députée La République en marche (LREM) Marie Tamarelle-Verhaeghe est une fidèle de cette messe du mercredi : «Aujourd’hui, la religion est tout de suite associée au prosélytisme», regrette-t-elle. Pour l’élue de 56 ans, il y a une différence entre assumer et «exprimer» sa foi. «Aux yeux du public, exprimer une croyance, c’est déjà vouloir convaincre», soupire-t-elle.

La réticence des acteurs politiques à évoquer leur religion ne repose sur aucune loi. Celle de 1905 proclame le respect de la neutralité, mais uniquement pour les fonctionnaires. Les parlementaires peuvent donc, en théorie, faire étalage de leurs croyances. Ce qu’ils se permettent surtout, c’est de débattre, souvent maladroitement, de celle des autres : dans une Assemblée majoritairement blanche, quasiment aucun élu ne revendique sa foi musulmane, dont il est pourtant très souvent question dans les débats parlementaires.

Dans la droite ligne d’un François Fillon, François-Xavier Bellamy, lui, n’a jamais fait mystère de sa foi catholique. «Il n’y a qu’une seule bonne raison de croire au Christ […], c’est la certitude que le christianisme dit la vérité», déclarait le professeur de philosophie en 2014 avant de devenir tête de liste Les Républicains pour les européennes. Ses propos ont ressurgi pendant la campagne du printemps, au grand dam de leur auteur, qui tentait de modifier son image de conservateur grand teint. «Au départ, Bellamy est porteur d’un religieux normatif, rappelle le sociologue Philippe Portier, spécialiste des liens entre religion et politique. Ses récents discours visaient à s’éloigner de cet aspect pour dire que sa foi était une simple ressource au service du bien commun.» Au-delà de Bellamy, le prosélytisme de quelques élus catholiques a donné de l’écho à «la Manif pour tous» lors des débats parlementaires qui allaient déboucher sur l’autorisation du mariage gay en 2013. Le mouvement, dont nombre de slogans étaient homophobes, a bénéficié du soutien d’une frange de la droite parlementaire catholique. «On a l’impression qu’on va être amalgamés si on parle de notre foi, confirme la macroniste Marie Tamarelle-Verhaeghe. Qu’on va être classés en tant que "réacs" ou "coincés".» Dès lors, c’est sa «solidarité» catholique que la députée préfère mettre en avant, celle qui l’a inspirée lors du vote de la loi asile et immigration : elle s’est abstenue.

Croix et pots de yaourts

L’impact de la religion sur les décisions politiques est au cœur du questionnement des élus mais également des responsables du culte. Pour Laurent Stalla-Bourdillon, un politique qui se présente comme religieux est aujourd’hui perçu comme quelqu’un «qui a hérité en bloc d’un concept de pensée qui l’a totalement aliéné». Pourtant, continue-t-il, «dans la foi catholique, il y a la séparation des pouvoirs», qui devrait prévenir toute ingérence du religieux dans le politique. Cette frontière est-elle effective au moment de légiférer ? Les avis divergent. Thibault Bazin, député LR de Meurthe-et-Moselle, évoque «de multiples sensibilités différentes dans l’Eglise». Lui-même dit «ne rien avoir à cacher» sur sa foi mais ne la porte pas en étendard non plus car il n’a «pas à le faire». «Il est légitime que les courants religieux s’expriment sur les sujets qui les concernent», considère a contrario le député Modem des Pyrénées-Atlantiques Vincent Bru. Dans l’hémicycle, cet élu de 64 ans concilie «ses convictions et le bien commun», notamment sur des textes qui peuvent «heurter la conscience personnelle», comme la loi bioéthique. Mais il reste avant tout influencé par «l’ouverture à l’Europe et la doctrine sociale de l’Eglise», que l’opinion «a tendance à laisser de côté». Les expériences et parcours personnels influent sur la foi, tout comme la famille politique à laquelle on appartient. A droite, les «cathos» revendiqués les plus connus sont la députée Valérie Boyer, qui s’était notamment insurgée contre la disparition de la croix chrétienne sur les pots de yaourts grecs, ou son ex-collègue Bernard Accoyer, scandalisé en 2015 de devoir siéger un Vendredi saint à l’Assemblée.

A gauche, Dominique Potier est un des seuls députés ouvertement catholiques : «J’ai repensé aux mots du père Emmanuel Lafont, prêtre en Afrique du Sud sous l’apartheid : "Un chrétien ne peut pas refuser de s’engager mais il sait que son camp n’est pas sacré." J’ai compris qu’un parti était avant tout un moyen d’action », expliquait le socialiste en 2016 dans la Croix. Pour Emmanuelle Ménard, députée RN de l’Hérault, «on ne sépare pas le politique et le religieux» : «Tant que mes convictions catholiques ne mettent pas en danger la République, je ne vois pas pourquoi on m’empêcherait de les porter dans l’hémicycle», explique l’épouse du maire de Béziers, Robert Ménard, attaquée régulièrement pour ses positions identitaires. «Je suis en contradiction avec un tas d’élus non croyants, notamment sur la bioéthique, dit-elle. Mais mes opinions ont autant droit de cité que celles des athées.»

« Effacement »

En avril 2018, Emmanuel Macron a lui aussi connu un moment délicat. Devant les évêques de France, le chef de l’Etat déclare qu’il faut «réparer le lien» entre l’Eglise et l’Etat, déclenchant les foudres des laïcs. Pour Jean-Pierre Delannoy, diacre au Spep et longtemps fonctionnaire à l’Assemblée, cette polémique a prouvé que «le vivre ensemble suppose l’effacement du déterminant religieux dans le langage collectif».

Même si les élus catholiques dissimulent leur croyance, «aujourd’hui, nos responsables politiques osent prononcer des discours que l’on n’aurait jamais osé tenir dans les années 30», souligne le sociologue Philippe Portier, en référence à la phrase controversée de Macron : «On ne voit plus aujourd’hui l’Eglise comme une force matérielle inexpugnable.» D’où les crispations lorsqu’elle réapparaît dans la sphère politique. «Avant, il y avait la raison et la religion, conclut le chercheur. Aujourd’hui, on peut être un politique croyant et être considéré comme rationnel.»

Paul Idczak

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