France : dans les Yvelines, une communauté de demandeurs d'asile Tibétains en proie au froid et à la pluie
23 oct. 2019Plusieurs jeunes enfants vivent dans le camp de demandeurs d'asile tibétains de Achères. Photo : InfoMigrants
A Achères, en région parisienne, une communauté toujours plus grosse de demandeurs d’asile tibétains vit sous des tentes dans un camp précaire. A l’approche de l’hiver, les associations demandent à ce que ces personnes soient mises à l’abri.
À Achères, en région parisienne, quelque 400 demandeurs d’asile tibétains ont planté leurs tentes sur un terrain vague depuis début août. Face à un chantier de construction d’immeubles et en lisière de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, des hommes et des femmes seuls, mais aussi quelques familles et six enfants, selon les associations, vivent tant bien que mal sous de grandes bâches tendues entre des bâtons de bois. Le but : se protéger de la pluie, fréquente ces derniers temps.
“C’est dur d’être dans ce camp, il commence à faire froid”, affirme Jigmey Choedhen, un ancien étudiant en littérature de 26 ans, vêtu d’un t-shirt floqué d’un drapeau tibétain. Dehors, face à l’arrivée de gros nuages noirs, des membres de la communauté s’affairent pour construire en toute hâte de nouveaux abris et rehausser les tentes qui sont à même le sol à l’aide de matelas trouvés, comme presque tout ici, dans des déchetteries. Jigmey Choedhen, lui, tousse constamment. “J’ai un rhume”, suppose le jeune homme qui n’a pas consulté de docteur.
Depuis le 23 juillet, il dort dehors, dans une installation sommaire aux allures de yourte. Au centre, des matelas et couvertures récupérés çà et là entourent des cagettes faisant office de table basse sur laquelle on sert du thé au lait sucré. Dans le fond, près d’une ouverture donnant sur la forêt, une sorte d’espace cuisine a été emménagé : poêles et ingrédients de base dans un coin, réserve de rondins de bois coupés dans un autre, et un feu de camp au milieu. Lorsque les occupants font à manger, la fumée envahit tout l’espace et des cendres volent. "On a peur pour nos affaires et surtout pour nos documents de demandeurs d’asile. On craint qu’ils prennent l’eau ou, pire, qu’un incendie se déclare", s'inquiète Lobsang, 27 ans.
Avant août, ces demandeurs d’asile étaient installés dans la commune voisine de Conflans-Sainte-Honorine, là aussi dans des camps. "La mairie ne faisait rien. Tout ce qu’elle a fait, c’est fermer les bains douches et empêcher l’accès aux toilettes publiques", s’offusquent des représentants des associations.
Devant l’inaction des pouvoirs municipaux et de la préfecture, des associations, dont la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), le Réseau d'accueil des migrants des Yvelines et le Collectif de la Confluence, ont décidé de saisir la justice. En début de semaine, le tribunal de Versailles a ainsi décrété que des sanitaires, des douches et des points d’eau devaient être rendus accessibles à ces migrants.
Sur le camp d’Achères, seul un tuyau d’eau, installé mi-septembre, permet de boire et de faire la vaisselle. “C’est très difficile d’avoir accès à des toilettes, confie encore Jigmey Choedhen. Le sanitaire le plus proche se trouve dans la station de RER d’Achères Ville", à une dizaine de minutes à pied. “Sinon, il y a la forêt.”
“Ni droits, ni sécurité” au Tibet
Jigmey Choedhen et ses compagnons d’infortune, tous demandeurs d’asile et âgés entre 26 et 39 ans, gardent toutefois le sourire. Loin de leur Tibet natal, ils savourent le fait de vivre désormais dans un pays “libre”, après avoir, pour la plupart, traversé l’Himalaya à pied pour rejoindre le Népal et s’être ensuite envolés pour la France à l’aide de faux passeports.
Un périple périlleux entrepris pour fuir le Tibet, où les citoyens n’ont “ni droits, ni sécurité, ni liberté”, se plaignent les intéressés. Cette région autonome de la Chine, contre laquelle Pékin a envoyé son armée en 1959 pour mater une révolte, subit depuis des décennies la politique répressive des autorités chinoises qui n’hésitent pas à cibler les dissidents politiques présumés. Depuis 2009, le Tibet est secoué de vagues de tentatives de suicide et d’immolations par le feu perpétrées, notamment, par des moines bouddhistes, pour protester contre la domination chinoise sur le plateau de l'Himalaya.
Jigmey Choedhen a, lui, fui le Tibet en 2012, lorsque ces immolations étaient à leur pic. “A l’époque, j’étais allé rencontrer un moine qui avait tenté de s’immoler par le feu et qui avait survécu à ses blessures », raconte l’exilé originaire de la région de l’Amdo. "Je l’ai filmé et j’ai posté la vidéo sur les réseaux sociaux. Une semaine plus tard, j’ai été arrêté par la police et mis en prison. Ils m’ont dit que je risquais entre 3 ans et 7 ans d’emprisonnement parce que j’avais posté cette vidéo. Mes parents ont pu trouver de l’argent pour me libérer au bout d’une semaine, mais pendant les années qui ont suivi, j’ai eu la police sur le dos lors de chacun de mes déplacements.”
A ses côtés, Temba, âgé de 26 ans, est allé quant à lui rencontré le Dalaï Lama, le chef spirituel tibétain en exil en Inde. Une décision lourde de conséquences. Depuis, il est persona non grata dans son pays, dans lequel il n’a de toute façon pas l’intention de retourner. “Arrivé à Dharamsala, on m’a dit de venir en France, car on y traite bien les réfugiés tibétains”, dit-il.
De fait, en France, la quasi-totalité des Chinois d’origine tibétaine obtiennent leur statut de réfugié en quelques mois. "Au regard de la Convention de Genève et des violations des droits de l’Homme en cours dans cette région du monde, les Chinois d’origine tibétaine sont considérés comme une population très clairement persécutée", explique Gérard Sadik de La Cimade.
"On est connu à Dharamsala, on ne sait pas vraiment pourquoi"
Sur le sol français, il est un endroit qui attire tout particulièrement cette communauté : la péniche "Je Sers", gérée par l’association La Pierre Blanche, un bateau-chapelle qui recueille les plus démunis depuis un siècle. "C’est une tradition ici : on accueille ceux qui se présentent. Mais force est de constater que, depuis 2011, on accueille surtout des Tibétains", explique Hugues Fresneau, directeur des lieux, qui parle de nouvelles arrivées quotidiennes et incessantes. Sur le bateau, situé à une station de RER du camp d’Achères, une cinquantaine de personnes sont hébergées, des douches sont accessibles pour les occupant et des repas chauds sont servis.
"Ils viennent chez nous car notre bateau est connu à Dharamsala, dans le nord de l'Inde [siège de gouvernement tibétain en exil, NDLR]. On ne sait pas vraiment pourquoi. Notre notoriété est telle que notre président est allé rencontrer le Dalaï-Lama il y a quelques années !", poursuit-il. "On nous accuse parfois de faire de l’appel d’air mais le problème, c’est qu’il n’y a pas de prise en charge de ces personnes par l’Ofii. Elles sont complètement perdues, elles se trouvent dans un dénuement total. Et nous, nous sommes arrivés à saturation."
Devant l’afflux des demandes, un centre d’accueil d’une capacité de 100 places a ouvert ses portes à proximité du bateau, à Conflans-Sainte-Honorine. Censé accueillir les personnes du coin, le centre sert également à héberger des migrants venus de Paris.
Ceux qui n’ont trouvé de place ni dans ce centre ni sur le bateau se retrouvent dans la nature dans le campement d'Achères. Une situation que les associations présentent comme absurde. "Nous le savons, que ces personnes vont obtenir leur statut de réfugié, alors pourquoi ne pas profiter de leur temps d’attente pour les préparer ?, s’insurge Odile Roy, membre de la Ligue des droits de l'Homme (LDH). Elles pourraient apprendre le français, ou essayer de déterminer quel métier elles pourraient exercer en fonction de leurs expériences passées. Mais non, au lieu de ça, on les laisse ici, comme ça."
Tsering, 35 ans et doyenne de son "groupe de tentes", passe le temps, enroulée dans une couverture. "Nous vivons dans des conditions terribles, lance-t-elle. Nous avons de la peine à trouver de la nourriture. Nous vivons dans l’humidité et développons de l’arthrose et des problèmes aux os. Pour nous laver, nous ne sommes pas tous en mesure de nous déplacer jusqu’au bateau à Conflans Sainte-Honorine. Je remercie le gouvernement français pour ce qu’il fait déjà pour nous mais il faut nous aider mieux que ça."