L’arme nucléaire est « immorale », déclare le pape François à Hiroshima
25 nov. 2019Le pape François dans le parc de la paix de Nagasaki au Japon, le 24 novembre. KIM HONG-JI / REUTERS
Le chef de l’Eglise catholique, sur le lieu même du bombardement atomique du 6 août 1945, a confirmé l’évolution de la doctrine du Saint-Siège sur le sujet.
« Il est tard » : à Nagasaki puis à Hiroshima, dimanche 24 novembre, le pape François a lancé un appel pressant aux gouvernants et aux consciences pour renoncer à l’arme atomique – « immorale » –, à la dissuasion – une « fausse sécurité » – et pour engager une démarche « collective et concertée » vers « une paix désarmée » qui, seule, peut « garantir un avenir commun » dans un monde globalisé et conscient de la vulnérabilité de la planète.
Le chef de l’Eglise catholique a commencé par se rendre dans le parc de la paix de Nagasaki, créé en mémoire des 74 000 victimes de la seconde bombe atomique lancée sur le Japon le 9 août 1945. François a d’abord prié devant le monument aux victimes après y avoir déposé une couronne de fleurs blanches.
Sous une pluie tenace, à l’épicentre même de l’explosion, il s’est directement adressé aux dirigeants de la planète pour leur dire que le temps était venu de renoncer aux armes nucléaires et leur demander de construire une paix qui ne repose pas sur la possession de tels armements et la menace de s’en servir pour dissuader d’éventuels agresseurs. « Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire », a-t-il affirmé. D’autant plus que, selon lui, « ces armes ne nous défendent pas des menaces contre la sécurité nationale et internationale de notre temps ».
« Plus jamais la guerre »
Au premier jour de sa visite au Japon, le pontife jésuite y a prononcé un message, bref et dense, qui explicite les raisons qui l’ont conduit, depuis deux ans, à changer la doctrine du Saint-Siège sur cette question. Auparavant, en effet, s’ils déploraient les capacités dévastatrices de l’arme nucléaire et appelaient à un désarmement concerté, les papes, depuis 1945, avaient admis la dissuasion, et donc la possession d’armement nucléaire, comme un pis-aller, à condition qu’elle soit une étape sur la voie du désarmement.
En 2017, François a franchi un cap. Il a condamné la possession même des armements nucléaires et l’Etat du Vatican, abandonnant sa posture habituelle d’observateur aux Nations unies, a signé le projet de traité sur leur interdiction (TIAN), comme 132 autres Etats (mais aucun Etat possesseur de la bombe ni leurs alliés, dont le Japon).
Puis, en début de soirée, il s’est rendu au Mémorial de la paix d’Hiroshima. Il y a salué des survivants de l’explosion de la première bombe nucléaire, qui a fait 140 000 morts. Le 6 août 1945, a-t-il déclaré, « en à peine un instant, tout a été dévoré par un gouffre noir de destruction et de mort. De cet abîme de silence, aujourd’hui encore, on continue d’entendre, fort, le cri de ceux qui ne sont plus. » « Au nom de toutes les victimes des bombardements et des expérimentations atomiques, ainsi que de tous les conflits, a-t-il lancé en reprenant un mot d’ordre pacifiste déjà employé par Paul VI et Jean Paul II, élevons ensemble un cri : plus jamais la guerre, plus jamais le grondement des armes. »
L’arme atomique, « un crime »
Le pape s’est voulu le porte-parole des « suppliques et des aspirations des hommes et des femmes de notre temps, notamment des jeunes, qui désirent la paix » et des « pauvres qui sont toujours les victimes les plus dépourvues de la haine et des conflits ».
Puis François a prononcé une condamnation morale du nucléaire militaire :
« L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est immorale. Comme est immorale la possession d’armes atomiques.
Nous aurons à en répondre. Les nouvelles générations se lèveront en juges de notre défaite si nous contentons de parler de paix sans le traduire concrètement dans les relations entre les peuples de la terre. Comment pouvons-nous parler de paix en construisant de nouvelles et redoutables armes de guerre ? Comment pouvons-nous parler de paix en justifiant certaines actions fallacieuses par des discours de discrimination et de haine ? »
« Rompre la dynamique de méfiance »
A Nagasaki, le matin même, le pape avait expliqué pourquoi, selon lui, loin de favoriser la paix, la possession d’armes nucléaires et « d’autres armes de destruction massive » n’instaure qu’une « fausse sécurité » fondée sur la « crainte » et la « méfiance qui finit par envenimer les relations entre les peuples et empêcher tout dialogue ». « La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total », a-t-il affirmé, en demandant à ce que leur soient substituées la « solidarité » et « la coopération » entre des Etats conscients de leur « interdépendance ».
Le pape avait ensuite appelé à « rompre la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement » entre Etats « et qui fait courir le risque d’arriver au démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armes ». De fait, les traités qui régulaient les deux principaux arsenaux, américain et russe, sont en train d’être remis en cause avec la sortie américaine du traité sur les forces nucléaires intermédiaires en Europe en août, l’échec probable de l’examen du traité de non-prolifération en 2020, les incertitudes sur le renouvellement du grand traité bilatéral New-START sur les armes stratégiques en 2021 et l’impasse du traité sur l’interdiction complète des essais.
« Nous assistons à une érosion du multilatéralisme d’autant plus grave si l’on considère le développement des nouvelles technologies des armes », a insisté François. Pour sa part, a-t-il ajouté, le Vatican ne se « lasser[a pas] d’œuvrer et de soutenir avec une insistance persistante les principaux instruments juridiques internationaux de désarmement et de non-prolifération nucléaire, y compris le traité sur l’interdiction des armes nucléaires ».
L’argent des armes pour la protection de l’environnement
François a, enfin, repris un parallèle déjà établi par ses prédécesseurs entre les moyens investis dans l’armement, qui seraient autant de ressources détournées du développement. Il y a ajouté une troisième composante, celle de la préservation de la planète. « L’argent de la course aux armements pourrait être utilisé pour le développement (…) et pour la protection de l’environnement naturel », a-t-il déclaré. « Dans le monde d’aujourd’hui, où des millions d’enfants et de familles vivent dans des conditions inhumaines, l’argent dépensé et les fortunes gagnées dans la fabrication, la modernisation, l’entretien et la vente d’armes toujours plus destructrices sont un outrage continuel qui crie vers le ciel », a-t-il ajouté.
La dissuasion de pape en pape
Le Saint-Siège a longtemps vu dans la dissuasion un pis-aller sur la voie d’un désarmement.
Concile Vatican II, Gaudium et Spes, décembre 1965 : « [L’]accumulation d’armes, qui s’aggrave d’année en année, sert d’une manière paradoxale à détourner des adversaires éventuels. Beaucoup pensent que c’est là le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer aujourd’hui une certaine paix entre les nations. (…) La course aux armements (…) ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix, et le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable ni une paix véritable. »
Paul VI, message à l’Assemblée générale des Nations unies, 7 juin 1978 : « Si l’équilibre de la terreur a pu et peut encore servir pour quelque temps à éviter le pire, penser que la course aux armements puisse se poursuivre ainsi indéfiniment sans provoquer une catastrophe serait une tragique illusion. »
Jean Paul II, message à l’Assemblée générale des Nations unies, 7 juin 1982 : « Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi mais comme une étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable. »
Benoît XVI, message du 1er janvier 2006 : « Que dire (…) des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leur pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse. »
François, discours à un symposium sur le désarmement, 10 novembre 2017 : « Il faut condamner fermement la menace de leur usage ainsi que leur possession, précisément parce que leur existence est liée à une logique de la peur qui ne concerne pas seulement les parties en conflit, mais tout le genre humain. »