Syrie: un demi-million de déplacés en deux mois de violences à Idleb
05 févr. 2020Des véhicules fuient les combats le 4 février 2020 dans le nord de la province d'Idleb (nord-ouest de la Syrie), cible d'une offensive du régime / AFP
Un demi-million de personnes ont été déplacées en deux mois de violences dans le nord-ouest de la Syrie, où le régime mène avec le soutien de Moscou une offensive dans la région d'Idleb pour reconquérir l'ultime grand bastion dominé par jihadistes et rebelles.
L'offensive du régime a aussi provoqué une montée des tensions entre Damas et Ankara, qui soutient des rebelles et dispose de troupes dans cette région frontalière de la Turquie, au lendemain de combats meurtriers inédits entre soldats des deux pays.
Depuis décembre, la province d'Idleb et ses environs sont quasi quotidiennement la cible de frappes du régime de Bachar al-Assad qui avance dans la région grâce notamment au soutien de l'aviation russe
Quelque 520.000 personnes ont été poussées à la fuite depuis début décembre, une des plus grandes vagues d'exode dans le pays en guerre, a indiqué l'ONU mardi.
Le conflit en Syrie, qui a fait plus de 380.000 morts depuis 2011, a aussi jeté sur la route de l'exil plus de la moitié de la population d'avant-guerre --plus de 20 millions d'habitants.
Les civils fuyant les violences à Idleb trouvent refuge dans des zones relativement épargnées plus au nord, souvent près de la frontière avec la Turquie, qui accueille déjà plus de trois millions de réfugiés syriens.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, dont le pays craint un nouvel afflux de réfugiés syriens, a prévenu qu'il ne permettrait pas au régime syrien de «gagner du terrain» dans la région.
Il a en outre prévenu qu'Ankara riposterait «de la plus ferme des manières» si ses troupes sont prises pour cible, lors d'un entretien avec son homologue russe Vladimir Poutine.
Dans la nuit de dimanche à lundi, des tirs d'artillerie du régime syrien ont fait huit morts côté turc. Ankara a répondu en bombardant des positions syriennes, tuant au moins 13 personnes.
A Damas, le commandement des forces armées a qualifié d'«agression flagrante» la présence de forces turques en Syrie, et prévenu que l'armée se tenait prête «pour une riposte immédiate à toute agression» turque contre les troupes syriennes dans la région, selon l'agence officielle syrienne Sana.
- «Autodéfense justifiée» -
Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a affirmé mardi que Washington soutenait «pleinement» la riposte de la Turquie aux tirs du régime syrien, estimant qu'il s'agissait d'«autodéfense justifiée».
Même si elles soutiennent des camps opposés en Syrie, la Turquie et la Russie ont renforcé depuis 2016 leur coopération sur ce dossier. Mais Ankara accuse Moscou de ne pas faire suffisamment pression sur Damas pour qu'il stoppe son offensive à Idleb.
Mardi, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a dit craindre «une escalade» susceptible de mener à «une situation totalement hors de contrôle» et réclamé un «arrêt des hostilités» entre Ankara et Damas.
Les violences ont provoqué un exode massif dans la région, où un correspondant de l'AFP à Hazano, dans le nord d'Idleb, a vu défiler mardi des camions, des tracteurs tirant des remorques, des minibus, avançant pare-choc contre pare-choc, transportant des déplacés.
Les déplacés emportent avec eux matelas en mousse, couvertures, chaises en plastique, bonbonnes de gaz, moutons, des portes démontées et des armoires.
- «Crimes de guerre»? -
En une semaine, Mohamed Bahjat et sa famille ont été déplacés trois fois, fuyant les combats près de la ville de Saraqeb.
«On ne sait pas où on va», confie ce père de trois enfants. «On est parti sous les bombardements», lâche l'homme de 34 ans, qui voyage avec ses parents et son frère.
Un autre correspondant de l'AFP a vu des déplacés démonter leurs tentes près de Binnich, emportant dans des camionnettes leurs maigres effets et parfois leurs poules.
La majorité des déplacés fuient le sud d'Idleb pour se rendre dans «des zones urbaines et des camps de déplacés» du nord-ouest de la province ou dans des territoires du nord de la région voisine d'Alep, selon l'ONU.
L'offensive du régime a coûté la vie à 294 civils dont 83 enfants depuis mi-décembre, d'après l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).
Et la Commission d'enquête indépendante et internationale (COI) sur la Syrie a fait état «d'attaques contre les infrastructures civiles --dont des écoles, des marchés et des installations médicales».
«Le ciblage délibéré et systématique des hôpitaux suit un schéma déjà documenté par la Commission et pourrait constituer des crimes de guerre», martèle la COI, créée par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU.
Plus de la moitié de la province d'Idleb et certaines zones des régions voisines d'Alep, Hama et Lattaquié, sont dominées par les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d'Al-Qaïda). Des groupes rebelles y sont également présents.
Le front d'Idleb représente la dernière grande bataille stratégique pour le régime, qui contrôle désormais plus de 70% du territoire national après avoir multiplié les victoires, avec l'aide cruciale de la Russie, face aux jihadistes et rebelles.
AFP