Un carême sans eucharistie…

Quelques heures avant l’annonce des mesures gouvernementales pour limiter la propagation du coronavirus, les évêques de Belgique ont décidé de suspendre les célébrations eucharistiques (entre autres) jusqu’au 3 avril, avant-veille du Dimanche des Rameaux. Les fidèles se voient ainsi contraints à un « jeûne eucharistique » inattendu en plein carême. Comment traverser spirituellement cette période particulière?

Il s’agit d’une mesure inédite: les célébrations liturgiques publiques, notamment les eucharisties, sont suspendues en pleine période de carême, en raison du risque de transmission du coronavirus. Cette décision a été communiquée ce jeudi 12 mars par les évêques de Belgique, quelques heures avant l’annonce, par la Première ministre Sophie Wilmès, de mesures renforcées pour limiter la propagation de la maladie: manifestations récréatives supprimées, cours suspendus dans les écoles, restaurants fermés…

La décision des évêques frappe, voire choque nombre de chrétiens. Les personnes déjà fragilisées, en raison de l’âge, de la maladie ou de la solitude se trouvent ainsi privées d’un soutien spirituel, et humain tout simplement, même si cette mesure est pleinement justifiée par ailleurs, et d’ailleurs devenue obligatoire au vu des décisions prises par les autorités publiques.

Comment réagir spirituellement à ce que l’on pourrait appeler un « jeûne eucharistique » imposé?

En premier lieu, cette « privation » manifeste que les chrétiens sont solidaires de leurs concitoyens frappés par les restrictions – qui les concerne d’ailleurs également. « Avoir la foi » ne nous place pas au-dessus de nos frères et soeurs humains: nous partageons les mêmes joies, mais aussi les mêmes souffrances. Nous sommes tout autant démunis face à la maladie et à la mort. A ceci près : notre foi nous permet de traverser les périodes d’adversité, voire de détresse, … avec foi justement, avec une confiance, une sérénité et une espérance qui nous vient du Christ. Le Christ a partagé la souffrance humaine jusqu’au bout, et il l’a traversée. C’est le sens, précisément, de la « pâque » que nous nous préparons à vivre en ce temps de carême: le Christ a traversé la souffrance et la mort… et est ressuscité. Dans l’épreuve que nous vivons actuellement – certains davantage que d’autres -, la promesse de la résurrection peut nous aider à la traverser. Bien plus, Cette résurrection, la vie nouvelle, peut être vécue au coeur de notre vie présente.

La situation actuelle nous rend aussi, dans les faits, solidaires de toutes ces communautés chrétiennes d’Amazonie, d’Afrique et d’ailleurs encore, ou des chrétiens persécutés qui n’ont que très rarement – une fois tous les ans, ou tous les dix ans – ou pas du tout accès à l’eucharistie. Cette solidarité « de fait » doit nous ouvrir à une solidarité de coeur, une communion avec toutes celles et tous ceux qui sont privés de cette nourriture spirituelle qui nous fait vivre au sens le plus fort du terme.

Ce contexte très particulier nous rappelle que l’eucharistie n’est pas un dû, pas un droit, mais un don parfaitement gratuit de Dieu. Cette pensée peut nous amener à prendre conscience de la chance que nous avons , ou plus exactement de cette grâce que nous recevons chaque jour de pouvoir communier à la mort et à la résurrection du Christ à travers la communion eucharistique. Souvent, la routine eucharistique nous guette…

Nourrir autrement notre vie chrétienne

Le « jeûne eucharistique » qui nous est imposé peut aussi nous rappeler cette phrase entendue un jour d’une chrétienne: « Le meilleur jeûne, c’est celui qu’on ne choisit pas« … On peut comprendre ces mots dans le sens suivant: il y a beaucoup de choses dans la vie que je ne choisis pas, mais je peux choisir comment les vivre. Pourquoi, dès lors, ne pas vivre cette privation temporaire comme une préparation à recevoir à nouveau l’eucharistie (on ne sait pas actuellement quand ce sera possible…) avec un désir renouvelé de cette nourriture spirituelle? Autrement dit, cette période sans messe peut être une occasion paradoxale de grandir dans notre désir de de rencontrer, d’accueillir Dieu d’une façon renouvelée. Mais n’est-ce pas là, précisément, le sens du carême?

Paradoxalement donc, mais réellement, si nous le voulons, l’absence d’eucharistie peut nous mener à vivre notre carême de manière plus intense. Nous ne sommes, d’ailleurs, pas totalement privés de nourriture spirituelle: « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt. 4, 4), répond Jésus à Satan au désert… Que nous soyons ou non confinés chez nous, nous pouvons prendre davantage de temps pour nous nourrir de cette Parole de Dieu contenue dans les Ecritures. Nous pouvons, en particulier, méditer les lectures bibliques des différents dimanches de carême.

Même si la prière personnelle ne remplace pas la prière liturgique, nous sommes aussi invités, à travers les événements, à nous nourrir de la Présence intérieure de Dieu, qui ne nous abandonne jamais, qui ne demande qu’à être accueillie, et qui est source de joie profonde. Prenons le temps qui nous est donné pour nous laisser rencontrer et renouveler par le Vivant, au plus profond de nous-même.

Enfin, laissons-nous inspirer par l’Esprit pour trouver des moyens concrets de venir en aide à celles et ceux qui sont isolés en raison de la maladie. Nous pensons particulièrement aux personnes résidant en maison de repos. Si nous ne pouvons pas leur rendre visite actuellement, appelons-les plus souvent, manifestons-leur notre présence et notre soutien par d’autres moyens.

« Dieu, qui voit dans le secret, te le rendra ».

Christophe Herinckx

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