Des migrants dans un gymnase à Châtillon, en banlieue parisienne, fin janvier 2020 après l'évacuation des campements des portes d’Aubervilliers et de la Villette (archive). Crédit : InfoMigrants

Des migrants dans un gymnase à Châtillon, en banlieue parisienne, fin janvier 2020 après l'évacuation des campements des portes d’Aubervilliers et de la Villette (archive). Crédit : InfoMigrants

Face à la pandémie de coronavirus, Medecins sans frontières a déployé un nouveau dispositif en Ile-de-France pour venir en aide aux plus vulnérables. En une semaine, huit cas de contamination ont été confirmés parmi les migrants évacués du camp d'Aubervilliers. La majorité de ces cas est toujours logée dans des centres d'hébergement collectif. Entretien.

En région parisienne, des dizaines de migrants se trouvent toujours à la rue. De nombreux autres sont confinés dans des gymnases, parfois sans accès à des conditions hygiéniques suffisantes, suite à l'évacuation du campement d'Aubervilliers. En raison de l'épidémie de coronavirus et du confinement, l'accès aux soins pour ces personnes s'est raréfié, en même temps que les associations sur le terrain.

Pour Médecins sans frontières (MSF), qui intervient toujours auprès des personnes à la rue et auprès de celles en centre d'hébergement, l'accompagnement médical des migrants est pourtant une priorité en "cette période d'incertitude".

Entretien avec Anneliese Coury, coordinatrice du projet Urgence Covid-19 pour l'Ile de France chez MSF.

InfoMigrants : MSF est l'une des rares organisations présentes sur le terrain en cette période de confinement. Comment vous organisez-vous pour poursuivre le travail ?

Anneliese Coury : Nous avons été touchés comme tout le monde par des problèmes d'effectifs : certains de nos collègues soignants ont été déployés dans les hôpitaux; d'autres, pour des raisons diverses, ne peuvent pas être sur le terrain. Mais, face à la situation, MSF a décidé de développer de nouvelles activités en France, et plus particulièrement en Ile-de-France [région la plus touchée du pays par la pandémie de Covid-19, NDLR]. L'idée est de soutenir les efforts des soignants, et non pas de se substituer au système de santé. Nous nous concentrons sur les personnes vulnérables et précaires : les migrants, les sans-abris, les mineurs non accompagnés.

Nous avons constitué une nouvelle équipe avec des recrues supplémentaires, dont des médecins, des infirmiers, des logisticiens et des coordinateurs de projets. Nous prévoyons également d'embaucher des travailleurs sociaux. Au total, depuis une semaine, nous avons recruté une quinzaine de personnes [sur une équipe qui compte en temps normal une trentaine d'employés, NDLR].

Depuis le 31 mars, nous avons également réactivé nos maraudes de cliniques mobiles, alors que nous n'en faisions plus.

IM : Vous intervenez notamment dans les centres d'hébergement réquisitionnés après l'évacuation du camp de migrants d'Aubervilliers le 24 mars. Certains de ces centres sont des gymnases. Les mesures sanitaires y sont-elles suffisantes ?

AC : Malheureusement les gymnases ne sont pas la meilleure des solutions. Par définition, dans ce type d'établissement, il n'y a pas d'espace séparé. C'est parfois impossible d'isoler des personnes qui sont soupçonnées d'être infectées par le coronavirus. Elles devraient être dans des lieux de vie avec des chambres individuelles, qui permettent une distanciation sociale.

Au total, nous intervenons sur neuf sites d'hébergement en Seine-et-Marne, dans le Val d'Oise et à Paris, que cela soit des hôtels ou des gymnases. Nous essayons dans chaque lieu de mettre en place des règles sanitaires simples pour prendre soin des hébergés et du personnel qui travaille dans ces centres.

IM : Comme quoi par exemple ?

AC : Certaines recommandations sont très simples comme le lavage de main régulier. Nous préconisons de ne pas porter de bijoux et de garder les ongles courts, ce qui facilite le nettoyage et donc protège contre le virus.

Nous travaillons également sur la gestion du linge sale. Le moment du déshabillage du lit peut être propice à une contamination. Nous recommandons que l'hébergé défasse lui-même les draps de son lit et qu'il les mette tout de suite dans un sac à linge sale, sans les transporter contre lui, puis de les laver à 60 degrés. Pareil pour les vêtements.

Bien-sur, certains lieux, comme les gymnases, ne permettent pas toujours d'avoir accès à des machines à laver. Dans ce cas, nous pouvons recommander des lessives à la main en favorisant un séchage à l'air libre. Mais, là encore, ce n'est pas toujours possible : dans les gymnases, les sanitaires sont collectifs.... Tout cela représente des défis.

IM : Combien avez-vous détecté de cas de coronavirus parmi les migrants ?

AC : L'accès aux tests est difficile. Depuis la semaine dernière, nous avons pu en réaliser 26. Seize d'entre eux se sont révélés positifs. Nous attendons encore les résultats de quatre d'entre eux, trois ont été illisibles et trois autres ont été négatifs.

Sur ces 16 personnes contaminées, huit sont des mineurs non-accompagnés dont nous assurons le suivi et qui n'étaient pas concernés par l'évacuation du camp d'Aubervilliers. Ils sont hébergés dans des hôtels. Quatre d'entre eux ont été transférés dans un centre Covid-19 [un centre de ''desserrement'' à destination des sans-abris contaminés par le coronavirus mais dont l’état ne nécessite pas une hospitalisation, NDLR].

Les huit autres contaminés font partie des personnes mises à l'abri par les autorités le 24 mars. Trois sont dans des hôtels et cinq sont hébergés dans quatre gymnases différents. Un seul a été transféré dans un centre Covid-19 car il était logé dans un gymnase de Seine-Saint-Denis particulièrement inadapté à l'isolement : il n'y a ni étage, ni pièce séparée.

IM : Les sept autres contaminés ont donc été placés à l'isolement à l'intérieur des centres d'hébergement où ils se trouvaient déjà ?

AC : Oui du mieux que possible, mais ces personnes ont parfois du mal à respecter les règles d'isolement, notamment si il n'y a pas de sanitaires séparés ou si les espaces de restauration sont collectifs. Forcément, dans ces cas-là, le virus se diffuse… Dans ce genre de structures d'hébergement collectif et dans les chambres d'hôtel où les personnes vivent à plusieurs, la propagation est presque inévitable.

Pour un certain nombre de personnes, il n'y aura pas forcément de conséquences dramatiques en cas de contamination. II faut surtout s'assurer que les personnes les plus à risque ne soient pas exposées.

IM : À part éventuellement des symptômes du coronavirus, de quoi souffre la population migrante qui s'adresse à vous, qu'elle soit dans les centres d'hébergement ou bien à la rue ?

AC : Les migrants viennent nous voir pour des problématiques qui ne sont pas forcément liées au Covid-19, en effet, car les structures de soins qui les accueillent habituellement ne sont plus disponibles. Ils peuvent souffrir de problèmes dentaires, dermatologiques, ou encore de petites plaies, ce qu'il ne faut pas minimiser car cela peut prendre une grande importance lorsque l'on vit à la rue et que l'on a pas accès à l'hygiène. La problématique de la gale est également présente, surtout dans les centres d'hébergement collectifs où cela peut se répandre.

Il y a aussi un besoin de prise en charge en terme de santé mentale. Nous sommes en train de recruter un psychologue qui devrait rejoindre l'équipe la semaine prochaine. Pour beaucoup de personnes qui ont vécu le parcours de la migration et des traumatismes, cette situation de confinement et d'épidémie peut renforcer leur anxiété.

En plus de ça, un certain nombre de démarches sont actuellement suspendues, comme les demandes d'asile ou les recours, on peut comprendre que cela ait un impact négatif sur leur situation psychique et psychologique. Certains n'ont par ailleurs plus de moyen de subsistance.

Tout cela contribue à déstabiliser davantage ces personnes. Ce confinement et le fait que l'accès aux soins soit réduit ne seront pas sans impact sur la santé mentale des migrants, cela va rendre encore plus visible leurs problèmes.

Charlotte Oberti

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