Israël impatient d'annexer la Cisjordanie
25 avr. 2020L'accord de gouvernement Netanyahu-Gantz envisage de lancer le processus d'annexion d'un tiers de la Cisjordanie le 1er juillet prochain. Washington a quasiment accordé son feu vert à ce projet. La France et l'Union européenne haussent le ton contre Israël mais sans savoir, encore, comment réagir.
Tout semble s'accélérer au Proche-Orient. Lundi soir le Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu et son ex-grand rival électoral, l'ancien chef d'état-major de l'armée israélienne Benny Gantz se sont entendu pour siéger ensemble dans un "gouvernement d'urgence" de lutte contre le coronavirus. Mais outre l'épidémie et ses conséquences, leur accord fixe une seconde priorité avec l'annexion d'une partie de la Cisjordanie. Israël pourra ainsi lancer ce processus que Netanyahu qualifie "d'exercice de souveraineté" dès le 1er juillet prochain en coordination avec les Etats-Unis.
Une décision qui revient à Israël.
Tout est parti du "plan de paix" pour la région révélé par Donald Trump le 28 janvier dernier. Il prévoit qu'Israël annexe la vallée du Jourdain et les colonies juives situées en Cisjordanie, soit 30 % de ce territoire occupé depuis 1967. Mercredi soir, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a déclaré que "les Israéliens prendront ces décisions en dernier ressort, c'est une décision qui revient à Israël". Ce feu quasi vert de Washington a réveillé les diplomaties palestinienne et européennes.
Ainsi, Mahmoud Abbas a-t-il réagi mardi à ce calendrier. Le président palestinien affirme avoir "prévenu les différentes parties, y compris les gouvernements américain et israélien. Nous ne resterons pas les bras ballants si Israël annonce l'annexion d'une quelconque partie de notre terre. Nous considérerons alors que les accords conclus entre nous et ces deux pays sont nuls et non avenus." Ce n'est pas la première fois que Mahmoud Abbas envisage de rompre les accords sécuritaires et économiques conclus avec Israël dans le cadre du processus de paix initié à Oslo. À de multiples reprises, il a brandi cette menace sans jamais passer à l'acte.
L'Europe engagée mais pas unie
En revanche, les réactions française et européenne ont été plus tranchantes que lors de la présentation du "plan Trump". Mardi, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s'est entretenu au téléphone avec son homologue palestinien. Quarante-huit heures après le représentant français aux Nations unies a fait part devant le Conseil de sécurité de "la grave préoccupation de la France concernant la menace d’annexion (...) de certaines parties de la Cisjordanie, y compris la vallée du Jourdain et les colonies. Cela constituerait une violation flagrante du droit international (...) De telles mesures, si elles étaient mises en œuvre, ne resteraient pas sans réaction et seraient prises en compte dans nos relations avec Israël. " Un diplomate familier du Proche-Orient nous confie que la France a haussé le ton à cause de cette "accélération du calendrier et de cette échéance brève, désormais, au 1er juillet. On se doit de tenir un langage ferme. L'Autorité palestinienne est dans une grande inquiétude et sa priorité est de mobiliser la communauté diplomatique. C'est la priorité pour la Paix. Les Palestiniens sont inquiets à raison !"
L'annexion de la vallée du Jourdain à partir du 1er juillet, c'est branle-bas dans le corona !
Mais quelles réactions ? Truculent, un ponte du Quai d'Orsay estime que "l'annexion de la vallée du Jourdain à partir du 1er juillet, c'est branle-bas dans le corona ! Donc, on rappelle la position traditionnelle de la France et l'on retrousse les babines en parlant des réactions. Sauf que rien n'est prévu à ce stade. Je rappelle que le Conseil de sécurité n'est pas créateur de droit, contrairement à l'Assemblée Générale, mais créateur de conséquences. Quand vous parlez au Conseil de sécurité, vous devez être opérationnel et donc vous devez dire scrogneugneu. Il sera temps de voir quelles réactions." Au ministère des Affaires étrangères, on confirme qu'il est trop tôt pour parler de ces "réactions" mais qu'il est déjà inenvisageable de remettre en cause la coopération sécuritaire et les échanges culturels avec Israël...
En revanche, on convient que Paris doit enclencher "une dynamique européenne" sur la question, la France étant – depuis le Brexit – le seul pays de l'Union européenne membre permanent du conseil de sécurité. Mais cette "dynamique" est loin d'être acquise. L'Allemagne est sur la même ligne que la France et le haut représentant pour la politique extérieure de l'UE, Josep Borell, rappelle que "l'Union ne reconnaît pas la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie occupée". Mais le ministre israélien des Affaires étrangères Yisrael Katz doute de l'unité européenne sur cette déclaration : "Elle n'a pas reçu le soutien de tous les pays membres de l'UE. Nous nous demandons bien quelle politique ce monsieur distingué est censé représenter. Je remercie nos amis qui se sont opposés aux propos de M. Borell". Sans les citer, il fait allusion aux dirigeants polonais, hongrois, tchèques, slovaques ou encore autrichiens très proches politiquement de Benjamin Netanyahu, qui dispose avec eux de solides alliés en Europe.
Des critiques en Israël
Finalement, c'est peut-être dans les milieux sécuritaires israéliens que Netanyahu et Gantz rencontreront le plus d'oppositions. Plusieurs experts (généraux à la retraite, ancien directeur du Mossad) considèrent dans une tribune que l'annexion constitue une menace pour la sécurité nationale d'Israël. Elle remettrait en cause les traités de paix avec l'Égypte (intermédiaire incontournable dans le dialogue avec le Hamas à Gaza et partenaire dans la lutte contre Daech dans le nord Sinaï) et surtout la Jordanie. Avec une communauté palestinienne très nombreuse, le royaume pourrait connaître des troubles en cas d'annexion israélienne de l'autre côté du fleuve Jourdain. Des troubles pourraient être fâcheux pour Israël car la Jordanie lui offre une profondeur stratégique en direction de la Syrie, l'Irak et surtout l'Iran. Toujours selon les signataires de ce texte, face à une colère populaire attisée par la baisse des prix du pétrole, les pays arabes du golfe favorables à Israël, notamment l'Arabie saoudite, pourraient eux aussi hausser le ton. Enfin, un effondrement de l'Autorité Palestinienne, qui collabore avec Israël dans la lutte contre le terrorisme, ne serait pas à exclure.
Au contraire, l'ancien conseiller à la sécurité nationale et général à la retraite Jacob Nagel ne s'attend pas à de fortes oppositions sur le terrain : "Je pense qu'il ne se passera pas grand chose. Souvenez-vous des gens qui nous menaçaient de réactions terribles quand le déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem a été annoncé : le Moyen-Orient va flamber ! Donc il y aura des cris d'orfraie et puis ça passera. Je ne pense pas que cette décision soit un si gros problème. C'est totalement politique et rien d'autre."
La communauté internationale ne doit plus se taire.
Yair Lapid, le chef de file centriste de l'opposition (ancien allié de Benny Gantz au sein du mouvement Bleu Blanc) entrevoit le scénario catastrophe : "Il y aura une annexion unilatérale. Cela anéantira le traité de paix avec la Jordanie et provoquera des dommages irréparables avec le Parti démocrate et une majorité des Juifs américains." Pour Amit Gilutz, porte-parole de l'ONG israélienne B'TSelem, qui milite pour une solution à deux États équilibrée, "l'annexion de facto et l'apartheid n'ont pas attendu le 1er juillet. Ils sont déjà là de longue date. Mais au moins, Jérusalem et Washington ont cessé de mentir à propos de leurs intentions et de leurs actions. La communauté internationale ne doit plus se taire". Si tant est qu'elle existe, la "communauté internationale" entrouvre les lèvres. Hormis les États-Unis, personne ne pourra empêcher Israël d'annexer la Cisjordanie le 1er juillet a fortiori si Donald Trump, fragilisé par l'épidémie de coronavirus et ses terribles conséquences économiques, n'était pas réélu en novembre prochain. Voilà pourquoi le compte à rebours pour l'annexion est enclenché.