Expulsions de demandeurs d’asile : la Grèce a profité du Covid pour durcir sa politique migratoire
20 août 2020Dans une récente enquête, le New York Times affirme que la Grèce a expulsé plus de 1 000 demandeurs d’asile hors des frontières européennes au cours des derniers mois. Interrogé par InfoMigrants, Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l'IFRI, ne se dit pas particulièrement surpris par ces faits.
L’enquête publiée par le New York Times vendredi 14 août confirme les témoignages recueillis ces derniers mois par InfoMigrants sur des refoulements d’embarcations de migrants par des garde-côtes grecs en mer Égée.
Le quotidien américain a pu interroger plusieurs personnes ayant été victimes de ces refoulements illégaux alors même que certains se trouvaient déjà sur le sol grec. C’est le cas d’une demandeuse d’asile syrienne qui affirme avoir été interpellée fin juillet dans le centre de détention de Rhodes, en compagnie de 22 autres personnes, dont 2 bébés. Elle explique qu'ils ont été abandonnés en mer sur une embarcation de fortune sans moteur et secourus par les garde-côtes turcs.
Selon cette enquête, des migrants ont également été contraints de monter dans des canots de sauvetage percés et laissés à la dérive à la frontière entre les eaux turques et grecques, tandis que d'autres ont été laissés à la dérive dans leurs propres embarcations après que des fonctionnaires grecs ont débranché leurs moteurs.
Le New York Times a également recueilli le témoignage de Amjad Naim. Cet étudiant palestinien de 24 ans a raconté au quotidien qu'en mai dernier, alors qu'il approchait des côtes de Samos avec un groupe de 30 personnes, leur embarcation a été interceptée par des garde-côtes grecs. Ces derniers ont transféré les migrants à bord de deux petits canots gonflables, incapables de supporter le poids d'une quinzaine de personnes, puis les ont tractés en direction de la Turquie.
Selon des experts, interrogés par le New York Times, ces pratiques illégales auraient pris de l’ampleur durant la période de confinement en Europe liée à la pandémie de coronavirus.
Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l’IFRI (Institut français des relations internationales) a répondu aux questions d’InfoMigrants sur ces refoulements.
InfoMigrants : Que disent les lois européennes et grecques sur ces refoulements ?
Matthieu Tardis : Les refoulements, au sens juridique du terme, qui concernent les réfugiés et les demandeurs d’asile, sont interdits en droit international selon la Convention de Genève de 1951, et aussi en droit européen selon la Convention européenne des droits de l’Homme. Ils le sont encore plus dans les conditions décrites dans l’enquête du New York Times. Toute personne qui souhaite une protection en Europe doit pouvoir en faire la demande.
Est-ce la première fois que la Grèce adopte ce genre de pratiques ?
Non, j’ai le souvenir, dans les années 2000, d’un rapport de l’association allemande Pro Asyl sur des pratiques similaires de refoulements de bateaux qui arrivaient en mer Égée et des cas de mauvais traitements, y compris de la part de personnes dont on ne savait pas si elles étaient des officiers grecs parce qu’elles étaient masquées. Donc, [les faits rapportés par le New York Times] ne m’étonnent qu'à moitié.
C’est ce rapport-là qui avait contribué à lancer un débat au niveau du Parlement européen sur la suspension des renvois Dublin vers la Grèce parce qu’il n’y avait pas de bonnes conditions d’accueil des demandeurs d'asile dans le pays. Dans un arrêt de 2011, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait décidé qu’on ne pouvait plus renvoyer les demandeurs d'asile en Grèce. Cela a duré jusqu'en 2016-2017.
La CEDH pourrait certainement condamner la Grèce pour ces pratiques de ‘push-backs’ démontrées par le New York Times.
Le gouvernement conservateur du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis affiche volontiers sa fermeté vis-à-vis des demandeurs d’asile. Est-ce que ces refoulements font partie d’une stratégie politique ?
Ce que l’on voit aujourd’hui est lié au gouvernement actuel qui est pratiquement populiste. Beaucoup des politiques coercitives mises en œuvre contre les migrants sont en réalité destinées à l’opinion publique.
Le gouvernement grec a profité de la pandémie pour durcir sa politique migratoire. Aujourd’hui, la question de l’état de droit en Europe se pose vraiment. Les contre-pouvoirs sont affaiblis parce qu’il y a une prééminence de l’idée que pour la survie de l’Europe, il faut arrêter l’immigration dite irrégulière, que tout est permis pour cela. C’est la même chose en Italie.
Il est sans doute aussi temps de faire le bilan de l’investissement financier européen pour l’accueil des réfugiés en Grèce. La Grèce a reçu des centaines de millions d’euros ainsi que de l’aide humanitaire, sans parler des milliers de bénévoles d’associations internationales. Qu’est-ce qu’il reste de tout cela ? Pas grand chose j’ai l’impression.
Julia Dumont