Décapité pour cause de blasphème
17 oct. 2020Le drame odieux, qui vient de coûter la vie à un enseignant nous renvoie à notre vision du principe de liberté d’expression et sa mise en œuvre.
L’assassinat, par décapitation, d’un enseignant de 47 ans, Samuel Paty, pour fait de blasphème, plonge légitimement notre pays dans la sidération, l’écœurement, la colère, la révolte… Ce drame doit nous interroger. Sur nos complaisances coupables vis-à-vis de l’islamisme. Mais aussi sur les contours possibles de cette liberté d’expression qui, pour être un droit absolu ne doit pas moins être questionné sans répit, jour après jour, dans ses modalités de mise en œuvre.
On ne le redire jamais assez, la notion de blasphème n’est opérante – ou tout du moins ne devrait l’être – que pour des croyants dans ce qui tient à leurs croyances propres. Les musulmans s’interdisent de représenter le prophète. C’est bien évidemment leur droit. Nul ne saurait les contraindre à enfreindre personnellement cet interdit. C’est le principe même de laïcité qui nous y oblige. En revanche, dans un société comme la nôtre où chacun est libre de croire ou de ne pas croire, il n’existe pas, pénalement, de délit lié au blasphème. Chacun peut donc caricaturer le prophète s’il le souhaite.
Pour autant, le « vivre ensemble » nécessaire à la paix civile, que garantit précisément la laïcité, nous fait également une obligation, au moins morale, de ne pas provoquer l’autre inutilement, quelle que soit sa croyance. De sorte que la liberté de blasphémer si elle est absolue au niveau du droit, devrait rester relative quant à l’usage que l’on en fait. Et nous devons répondre à cette question essentielle : quelle est la finalité de son usage ? J’ai retenu d’un long compagnonnage avec l’abbé Pierre la différence qu’il établissait entre deux approches possibles du concept de liberté : la « liberté de », laissée à notre totale discrétion et pour l’usage de laquelle nous n’avons de compte à rendre à personne et la « liberté pour », volontairement subordonnée à un but précis, considéré comme supérieur.
Je ne suis pas philosophe mais il me semble évident que la notion même de liberté suppose l’existence d’une alternative. La liberté d’expression qui, une fois encore n’est pas ici en cause, est la liberté de dire ou de ne pas dire, de montrer ou de ne pas montrer. Si cette alternative est niée en son principe, alors nous sommes dans le domaine de l’interdit ou de l’obligation qui sont toutes deux négations de la liberté. Lorsque Charlie exerce le droit de publier des caricatures de Mahomet il n’honore pas plus le principe de liberté d’expression qu’une autre rédaction qui, jouissant de la même liberté, décide de s’abstenir. Et l’on sent bien que cette évidence, ne l’est pas pour tout le monde. Tant est prégnante dans notre société l’idée que l’obscurantisme étant le propre des religions, il y aurait une sorte de devoir civique à le combattre sans se lasser, quel que soit le respect que l’on prétend défendre par ailleurs, au nom de la laïcité, pour les croyances de chacun.
Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie avait mission de sensibiliser ses jeunes élèves au principe de la liberté d’expression. Nul ne saurait contester que ce soit là l’un des rôles de l’école de la République. Ce faisant, il était normal qu’il aborde la notion de blasphème. Ne serait-ce que pour expliquer par quel cheminement, dans notre histoire, ce qui jadis fut passible des tribunaux est aujourd’hui devenu légal et largement reçu comme procédant de nos libertés. Et partant, dans le contexte qui est le nôtre, alors que se déroule le procès relatif aux attentats contre Charlie Hebdo dont tous les médias se font l’écho, il était logique qu’il évoque les caricatures de Mahomet pour dire, tout à la fois, pourquoi leur publication était licite dans notre pays mais dans le même temps combien elles pouvaient heurter des musulmans. Fallait-il aller plus loin et les montrer à ses élèves ?
Ecrivant cela, alors même que le pays est plongé dans la sidération et la compassion, je suis bien conscient que je vais soulever, ici ou là, des critiques scandalisées,. « Alors il l’a bien cherché, c’est ça ? » Non ! Il n’a rien cherché du tout, pas plus que les journalistes de Charlie. Rien ne peut justifier qu’il ait payé de sa vie, dans des circonstances au demeurant aussi atroces, un simple choix pédagogique.
Mais à l’heure où le pays s’inquiète justement des conditions de l’exercice de la fonction enseignante au regard de ce drame, à l’heure où d’autres enseignants, confrontés aux mêmes exigence éducatives peuvent s’interroger sur leurs propres pratiques pédagogiques pour demain, on peut tout de même, on doit formuler cette question : sensibiliser de jeunes élèves à la notion de liberté d’expression nécessite-t-il obligatoirement qu’on leur montre des caricatures de Mahomet ?
A chacun de répondre… en conscience ! Car cette question ne concerne pas que les seuls enseignants auxquels nous délèguerions la responsabilité de mettre en œuvre un principe qui nous concerne tous. Et pour l’heure, j’entends bien m’associer à l’hommage qui sera rendu à cet homme.
René POUJOL
Blogueur et Journaliste catholique