Que penser du port du voile, moi qui porte publiquement un signe vestimentaire religieux, soit le clergyman ?
08 oct. 2020Je trouve très intéressante cette opinion d'Eric de Beukelaer, vicaire épiscopal du diocèse de Liège (Belgique), publiée ce 6 octobre 2020 dans le quotidien "La Libre Belgique" :
Une fois établi que le voile est un marqueur religieux, comment répondre à la question de son port - ou non - dans l’espace public ?
Une opinion d'Éric de Beukelaer.
Alors que la pandémie charrie de nombreuses polémiques sur le port du masque, voici que le port du voile est débattu dans diverses communes de la périphérie bruxelloise. Face à cet enjeu, la plupart de nos formations politiques sont mal à l’aise. La question est, en effet, délicate. De surcroît, elle divise les politiciens progressistes entre une tendance universaliste et une aile particulariste. La première est plutôt hostile au port de signes religieux au nom de l’égalité et de la laïcité, alors que la seconde défend le port du voile, en ce compris derrière un guichet d’administration, afin d’encourager la représentation sociale d’une communauté économiquement précarisée.
Poser le débat
Pour prendre part au débat, il s’agit de d’abord en poser les termes. Je sais bien que nos grands-mères se couvraient la tête jusque dans les églises, mais il ne s’agit pas de cela. Le voile est aujourd’hui devenu un marqueur d’identité religieuse pour nombre de femmes musulmanes. Argumenter qu’il n’est qu’une banale coiffe en tissu est donc inadéquat. Si demain, je m’essuie les pieds en public sur le drapeau belge, en arguant qu’il ne s’agit somme toute, que d’un bout d’étoffe, personne ne me prendra au sérieux. Tout drapeau est un symbole et mon acte sera lourd de sens. Il en va de même pour le voile, la kippa ou l’habit ecclésiastique. Ce ne sont pas de simples pièces de vêtements, mais des marqueurs symboliques. Ne pas le reconnaître est fausser le débat.
Une fois établi que le voile est un marqueur religieux, comment répondre à la question de son port - ou non - dans l’espace public ? Quand une question ne me concerne pas personnellement (car c’est un fait établi : je ne suis pas une femme musulmane), je tâche d’y répondre en me l’appliquant à moi-même. Ceci est d’autant plus aisé que j’ai fait le choix, en tant que prêtre catholique, d’également porter publiquement un signe vestimentaire religieux, soit le clergyman. Je juge, en effet, qu’il est enrichissant pour notre société que la dimension spirituelle dont témoigne le prêtre, puisse s’exprimer sans honte et ce, jusque dans l’espace public. De manière similaire, je n’ai donc rien à redire quand une femme musulmane, ou un juif observant, porte paisiblement en rue le signe de son appartenance religieuse. Imaginons cependant que dans un pays où il n’y a pas de financement des cultes, je devienne fonctionnaire pour gagner ma vie… Admettrait-on que je porte le clergyman durant mes heures de travail ? Et si - fort de ma formation en droit - je suis nommé magistrat, accepterait-on de me voir siéger, habillé en ecclésiastique ? S’il n’y a rien à redire quant au port d’un signe religieux dans l’espace public, il existe selon moi des endroits où la neutralité de l’État enjoint la retenue. Celui qui y exerce une fonction doit s’abstenir d’y afficher ses convictions.
Pas une carapace
Ceci m’amène à quitter le champ politique pour oser une parole plus théologique. Porter un marqueur religieux est un choix. Jamais une obligation. De nombreux ecclésiastiques ne portent pas le clergyman et c’est fort bien ainsi. C’est le cœur du prêtre qui prime et non son habit : à chacun d’eux de trouver comment exprimer au mieux son sacerdoce. Plus fondamentalement encore, je juge que celui qui porte le clergyman doit pouvoir l’enlever. Récemment, j’ai aidé à un déménagement. Pour transporter des meubles, j’étais vêtu en jeans et T-shirt. Il en va de même en vacances, en balade… Je plaide pour la même liberté chez mes sœurs musulmanes. Que chacune fasse le choix de porter ou non le voile, sans craindre le jugement des autres. Et que celles qui le portent se sentent libres de parfois, aussi, pouvoir l’enlever. Un signe d’appartenance religieuse est fécond, à condition de ne pas se muer en carapace qui colle à la peau. Car alors, il devient un fétiche, voire une idole… qui voile la relation à Dieu.
Éric de Beukelaer