Dans un livre paru mercredi 7 octobre chez Stock, la policière Linda Kebbab raconte son parcours. JOEL SAGET/AFP

Dans un livre paru mercredi 7 octobre chez Stock, la policière Linda Kebbab raconte son parcours. JOEL SAGET/AFP

Critique La déléguée nationale du syndicat SGP Police Force ouvrière, l’une des principales figures médiatiques parmi les forces de l’ordre, raconte son parcours dans un livre paru mercredi 7 octobre chez Stock.
Linda Kebbab, 39 ans, est syndicaliste, gardienne de la Paix « et de la révolte », ajoute le titre du livre très personnel qu’elle publie mercredi 7 octobre chez Stock (1). L’ensemble alterne entre des chapitres qui épinglent les errements de sa hiérarchie, notamment depuis le début du mouvement des gilets jaunes (« le devoir de réserve n’interdit pas le devoir de vérité ») et d’autres plus intimes, retraçant son enfance et son entrée dans la police nationale. « Le soir où il est intervenu dans mon immeuble pour des violences conjugales, ce jeune lieutenant a changé ma vie. Au moment où (il est reparti), je savais déjà que je ferai ce métier-là. »
Au fil des pages, on se surprend à s’intéresser un peu moins à ses analyses vitriolées des politiques policières - « ratés » de la stratégie de maintien de l’ordre, « hypocrisie de notre hiérarchie », « manipulations de nos politiques », incompétence des journalistes qui ne demandent jamais « qui était dans la salle de commandement devant son écran, pour décider du positionnement des effectifs » - et un peu plus à sa vie personnelle. À cette petite fille de la banlieue lyonnaise marquée par les émeutes d’octobre 1990 à Vaulx-en-Velin.
Petite fille de la banlieue lyonnaise
À cette élève studieuse qu’une conseillère d’orientation avait tenté d’aiguiller vers le secrétariat, parce qu’elle lui avait dit qu’elle aimait « les mots » (ceux de Zola en particulier « Les Rougons-Macquart… »). À cette fille d’immigrés (un père éboueur et une mère au foyer, tous les deux analphabètes, décédés avant qu’elle ait vingt ans), cette « enfant de Mitterrand, comme on nous appelait à l’époque (elle est née en 1981) : une gosse de la Sécurité sociale, de l’école gratuite et de la politique familiale ».
À cette jeune femme « d’une sensibilité sociale », qui s’est longtemps rêvée en reporter de guerre (sa mère la voyait plutôt avocate), et s’était lancée dans des études de langues (Anglais, Russe, Arabe), sans imaginer qu’elle entrerait un jour dans la police.
« Dans le quartier où j’ai grandi, certains avaient la haine du lardu (policier en argot), haine que j’étais censé reprendre à mon compte, du fait de mes origines algériennes, de ma classe sociale, de mon statut de femme, et que sais-je encore… Après ma rencontre avec ce jeune lieutenant qui intervenait dans mon immeuble pour des violences conjugales, j’ai compris que je devais prendre de la distance avec ces préjugés. J’ai donc, naturellement et de moi-même, entamé une déconstruction des paradigmes. Ceux qui correspondaient, dans l’esprit de certains, à ma naissance, ma culture, mon milieu ».
Son récit se poursuit à l’école de police de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) où elle passera huit mois en internat, obligée de laisser sa fille, née quand elle avait 22 ans, toute la semaine en nourrice (« un cauchemar »).

Une telle fracture
On la suit encore dans sa première affectation à Créteil (Val-de-Marne), où elle découvre la violence ordinaire (ce tambour en cuivre de machine-à-laver balancé d’un immeuble dans lequel elle intervenait après le décès d’un homme dans une baignoire). Ses trois premiers mois à Créteil, elle dort dans sa voiture garée en face du commissariat, faute de se voir proposer un logement décent (aux gardiens de la Paix, parce qu’ils sont en bas de l’échelle, on propose une liste contenant seulement les appartements les plus vétustes, explique Linda Kebbab. Ils sont parfois situés dans les cités où ces agents sont amenés à intervenir).
Très vite après ce rude démarrage, elle adhère au syndicat SGP Police Force ouvrière, dont elle est aujourd’hui déléguée nationale depuis 2018. Ce livre raconte aussi son action à ce poste, sur tous les sujets brûlants : LBD, violences policières, suicides, racisme, quotas, lien police-population…

Sur les réseaux sociaux ou les plateaux télé où elle est très présente, les échanges sont souvent rugueux (Linda Kebbab a été plusieurs fois menacée de mort). L’un des derniers chapitres de son livre se conclu sur cette question : « Comment expliquer une telle fracture ? »

(1) Linda Kebbab, Gardienne de la Paix et de la Révolte, Stock, octobre 2020, 303 pages, 19,50 €.

Mikael Corre

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