Une très lourde pression sur les élèves modèles au Sénégal
27 janv. 2021Juin 2020, à Dakar, les étudiants passent leurs examens. Ils pourront ensuite demander une bourse pour partir étudier à l’étranger
La disparition en janvier de Diary Sow, brillante élève sénégalaise au lycée Louis-le-Grand, à Paris, a mis en lumière la situation fragile des boursiers d’excellence sénégalais inscrits dans des établissements en France.
Une promesse de réussite qui laisse un goût amer pour certains.
Dakar
De notre correspondante
Ousmane se souvient du choc ressenti dès ses débuts en classe préparatoire à Auxerre. « Je n’imaginais pas que la prépa était aussi difficile. Je pensais ne pas avoir le niveau, moi qui n’avais jamais eu de mauvaises notes avant. La quantité de travail était énorme. Tu n’avais plus de vie », raconte l’ancien élève du lycée d’excellence catholique Jean-Paul-II de Kaolack (190 km au sud de Dakar), détenteur de la bourse d’excellence en 2015. Ousmane a mal vécu ces deux ans, durant lesquels le stress était permanent. « J’étais déprimé, j’ai eu des problèmes d’insomnie. Je me demandais à quoi cela servait de travailler, car il n’y avait pas de résultat », rapporte-t-il. « Soulagé » quand il a terminé sa prépa, il a été marqué psychologiquement, tombant dans la dépression quelques mois plus tard. Âgé de 24 ans, en master 1 dans une école d’ingénieur à Paris, il fait le lien entre son histoire et celle de Diary Sow : « J’ai vécu la même pression. Moi aussi j’ai eu envie de partir, de m’échapper parfois. »
Diary Sow, brillante élève sénégalaise poursuivant ses études au Lycée Louis-le-Grand à Paris après l’obtention d’une bourse d’excellence, a disparu volontairement, début janvier (lire les repères). En 2020, seuls une centaine de bacheliers avec mention très bien ou bien ont bénéficié de cette bourse de 430 000 francs CFA (650 €) mensuels, pour une période de cinq ans. Une fois leurs études terminées, ils reviennent « servir le Sénégal ».
Or, le parcours est rude pour des jeunes brillants, seuls dans un nouveau pays, soumis au surmenage, et peu informés sur leur avenir. « Je bosse très dur pour tenir le fil. Cela demande beaucoup d’investissement et de sacrifices », atteste Babacar*, 19 ans, arrivé de Dakar en octobre en Normandie.
Moyen d’ascension sociale, la réussite scolaire devient un « fardeau » pour ces adolescents devenus des modèles à suivre. « L’élève est très suivi, on lui répète qu’il doit exceller. Il subit aussi une grande pression sociale et endosse les attentes des autres dans le cadre familial, communautaire, voire national », analyse le docteur Pape Ngore Sarr Sadio, socio-anthropologue de l’Université du Siné Saloum à Kaolack.
Cette pression pèse surtout quand l’accompagnement manque. « Je ne me sentais soutenu ni par les professeurs, ni parle Service des gestion des étudiants sénégalais à l’étranger (SGEE) qui n’avait pas de temps pour nous écouter », confesse Ousmane. « C’est une réalité, il n’y a pas d’accompagnement social ou psychologique dans les lycées ou collèges », déplore le docteur Sadio.
« Je n’en parlais pas à ma famille car je ne voulais pas les décevoir », témoigne encore l’étudiant. Aucun redoublement la première année n’est admis sous peine de voir sa bourse d’excellence se transformer en bourse pédagogique de 200 000 FCFA (300 €), rendant précaire la poursuite des études. « Beaucoup de nos élèves ne souhaitent pas obtenir la bourse d’excellence. Elles craignent de ne pas être à la hauteur et de la perdre », confirme Ramatoulaye Sarr Diagne, directrice de l’école d’excellence Mariama Bâ, collège-lycée sur l’île de Gorée (Dakar) qui forme les élites féminines sénégalaises.
Nombreux sont donc les étudiants à arrêter pour poursuivre à l’université. Marie-Louise Ndiaye, par « besoin de respirer, de faire ce qui me plaisait réellement », s’est inscrite en licence d’histoire après sa 2e année de classe préparatoire, perdant sa bourse d’excellence pour une bourse pédagogique. « Je n’avais plus la force de tenter les concours des Instituts d’études politiques (IEP), je voulais juste terminer la prépa », avoue-t-elle. Des exemples soulignant, pour le docteur Sadio que « beaucoup d’autres Diary Sow existent, mais restent inconnus. »
*Prénom modifié
Clémence Cluzel