Covid : vous savez ce qu’ils vous disent les « vieux »…

Gardons-nous de transformer les difficultés de l’heure en source de conflit intergénérationnel. 

L’épuisement d’une année de mobilisation tous azimuts contre la Covid19 et l’épée de Damoclès d’un nouveau confinement aux contours imprécis sont venus durcir le discours idéologique. Le parti pris, commun à la plupart des pays européens, de protéger les populations plutôt que l’économie avait déjà ses détracteurs plus ou moins avoués. Mais l’aggravation de la crise, l’incertitude sanitaire née des nouveaux variants, le désarroi de secteurs économiques entiers privés de toute perspective de reprise et la désespérance de la jeunesse qui se sent « sacrifiée » ont pour effet de libérer la parole. Quelques penseurs libéraux en viennent à poser directement la question : faut-il sacrifier l’avenir et la jeunesse pour sauver des vieux ? Sauf qu’ils ne vont pas au bout de l’audace qu’ils revendiquent et du courage de « parler vrai » dont ils se prévalent. Il existe une solution pour résoudre l’équation telle qu’ils nous la présentent. Elle est radicale ! Qu’ils le disent clairement ! 

Prolonger d’un an la vie de vieillards condamnés par l’âge ? 


C’est la chronique du philosophe Gaspard Kœnig (1) largement partagée sur les réseaux sociaux, qui a sans doute formulé le postulat libéral avec le plus de clarté. Même si, dans la foulée les journalistes Christophe Barbier, habitué des plateaux de télé et François de Closets sont venus apporter leur pierre à l’édifice. Kœnig interroge : « Pourquoi et pour qui nous donnons-nous tant de peine ? Parmi ma classe d’âge (15-44 ans) le nombre de patients décédés sans comorbidité depuis le début de l’épidémie dans notre pays est de 60. (…) Quelles vies prolonge-t-on et de combien d’années ? Toujours selon Santé publique France, l’âge médian des victimes du Covid est de 85 ans, légèrement supérieur à l’âge de décès médian en France. Autrement dit, la plupart de ceux dont la mort est évitée par les restrictions appartiennent déjà à la minorité de survivants de leur génération. Les joyeux teuffeurs de Woodstock font aujourd’hui partie des personnes à risque que nous protégeons en sacrifiant nos existences.»

Bref : pour prolonger d’une seule année la vie de vieillards condamnés par l’âge, on sacrifierait la vie de dizaines de millions de Français. Si l‘on comprend bien : si les victimes du Covid étaient majoritairement jeunes ou dans la « force de l’âge », cela vaudrait la peine de se battre pour leur préserver un avenir, mais pour des vieux… Christophe Barbier ne dit pas, au fond, autre chose en demandant « si les vies que nous avons sauvées en France aujourd’hui sont plus nombreuses que les vies que nous allons détruire dans le futur. »

Objectif premier : sauver le système hospitalier au bénéfice de tous

Le gouvernement aurait donc choisi délibérément de “sauver les vieux“, requalifiés en « plus fragiles » contre toute logique économique et surtout contre l’intérêt général bien compris. Erreur d’analyse ! Les confinements successifs de l’année 2020 n’ont pas eu pour objectif premier de « sauver les vieux » mais de protéger le système hospitalier, notre bien commun, en évitant, de fait, que les plus fragiles soient touchés massivement par le virus au point d’engorger les services. Or il se trouve que les « plus fragiles » sont  aussi, souvent, les plus âgés ! On retrouve ici l’accusation, maintes entendue, selon laquelle ce sont les mêmes vieux qui coûteraient le plus cher à la Sécu (assurance maladie). Alors que ce sont les personnes en fin de vie, quel que soit leur âge. Mais voilà, il se trouve qu’en nos pays, on meurt surtout âgé. La même logique pourrait conduire à dénoncer le fait que les sans emploi sont seuls responsables du déficit de l’assurance chômage et les familles avec enfant celles qui grèvent le budget des caisses d’Allocations familiales. Absurde ! 

Relire les prophéties d’Attali…

La pensée « libérale » met en avant les coûts économique, psychologique, sanitaire considérables supportés par les jeunes générations, les travailleurs indépendants, les chefs d’entreprise, les étudiants… Une réalité dont chacun est bien conscient. Fort bien, mais alors que faire ? Confiner les vieux d’autorité jusqu’à l’obtention d’une immunité collective en contre-partie du fait qu’on leur « fait cadeau » d’une priorité d’accès à la vaccination ? Cette position, également défendue ici ou là par certains médecins reste, disons-le, totalement irrecevable et sans doute anticonstitutionnelle au regard de l’égalité des droits des citoyens.

Dès lors, si un relâchement au plan sanitaire devait se traduire par un afflux de patients âgés exigeant des soins particulièrement lourds sur une longue durée dans une structure hospitalière au bord de l’asphyxie, pourrait-on échapper à la nécessité de faire un tri et d’en fixer les modalités ? Que l’on me comprenne bien : je ne brandis pas ici la menace d’une euthanasie des vieux. Je décris une logique « en marche » !

Dans mon livre Catholique en liberté, paru il y a quinze mois, j’écrivais ceci :  « Dans une interview de 1981, souvent citée, Jacques Attali expliquait que l’allongement de l’espérance de vie humaine n’a d’intérêt, pour la société, que dans la perspective du seuil de rentabilité de la machine humaine. Passé soixante, soixante- cinq ans «l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et coûte cher.» D’où il concluait: «Il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle se détériore progressivement. » Une perspective qui lui semblait d’autant moins problématique que le droit au suicide restait une valeur de gauche et que le capitalisme, pour sa part, saurait bien trouver les outils permettant d’abréger la vie. Ce qui l’autorisait à conclure: «Je pense donc que l’euthanasie, qu’elle soit une valeur de liberté ou de marchandise, sera une des règles de la société future.» Analyse moins scandaleuse que froidement cynique. Qui ne pressent au fond de lui, en conscience, qu’entrouvrir la porte d’une simple exception d’euthanasie, c’est déjà enclencher le processus qui, demain, la légitimera à grande échelle. Parce qu’au fond tout le monde y a intérêt : les caisses de retraite, l’assurance maladie, les jeunes assumant le poids des vieux, les familles « souffrant de la souffrance des leurs»… et les intéressés eux-mêmes culpabilisant – ou culpabilisés – d’être devenus une charge ! » (p.169-170)

J’ignorais, bien évidemment, en rédigeant ces lignes au printemps 2019 , qu’une pandémie sans précédent touchant le monde entier allait un an plus tard redonner vigueur à ces analyses. Et ce n’est pas un hasard si cette « pensée libérale » plaide aujourd’hui pour que le pouvoir revienne au politique, contre la dictature du corps médical obnubilé par l’idée de sauver des vies « à tout prix ». Comme si les politiques avaient passé la main. Lorsque le même Gaspard Kœnig évoquant l’alternative : « années gagnées sur la mort contre années perdues pour la vie » propose « d’ouvrir un débat informé et de procéder à un arbitrage qui sera cette fois politique et non plus médical »… on peut imaginer que puissent s’y glisser, à la faveur d’une initiative parlementaire, de nouvelles demandes de débat sur les modalités de fin de vie… en temps de pandémie ! 

Vous savez ce qu’ils vous disent les vieux ?

Dans ce brouhaha médiatique où les réseaux sociaux se chargent de la surenchère, on entend peu les intéressés, à qui personne ne demande d’ailleurs leur avis et qui n’osent rien dire, un peu honteux ou en colère d’être à ce point stigmatisés. Alors risquons nous, ici, à parler pour eux – ou certains d’entre eux – à l’adresse de ces beaux esprits rationnels qui voudraient les rendre responsables de la désespérance de la jeunesse : 

Oui, il faut protéger l’économie et nous en sommes d’accord (2) car sauver ou créer des entreprises c’est aussi sauver des emplois et des vies…

Oui, il faut protéger notre jeunesse et nous en sommes d’accord, car une société qui n’agirait pas ainsi serait une société moribonde…

Oui, il faut protéger l’hôpital et le personnel soignant et nous en sommes d’accord, car il est un bien rare et précieux au service de tous…

Mais imaginez-vous que nous, les aînés, n’ayons pas déjà pris, de nous-mêmes, la mesure des responsabilités qui nous incombent, en limitant nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire, sacrifiant une large part de nos relations familiales et amicales ?

Imaginez-vous qu’en quittant le monde du travail, il y a plus ou moins longtemps, nous nous soyions mis “à la retraite“ de nos devoirs civiques de citoyens ?

Imaginez-vous que nous puissions être à ce point aveugles ou insensibles à la détresse des actifs et des jeunes qui sont nos propres enfants et petits enfants ? 

Avez-vous conscience de la double peine que vous entendez nous infliger : nous confiner et nous interdire toute participation à la vie sociale, notamment à travers l’engagement associatif qui dans bien des secteurs repose sur nous, tout en nous accusant d’une forme d’égoïsme générationnel dont la jeunesse serait la victime innocente ? 

Avez-vous conscience de votre prétention à vous ériger, seuls, en défenseurs de l’intérêt général , de vous autopromouvoir en « conscience morale » éclairée, à vous prévaloir d’une forme de « monopole du cœur » compassonnel là où seule nous motiverait la peur d’échapper à la mort ? 

Qu’avons-nous fait pour mériter un tel mépris ? 

Vous savez ce qu’ils vous disent les vieux ?

Que demain comme hier ils entendent prendre toute leur place, solidairement, dans le combat engagé contre la pandémie et ses conséquences et que leur liberté n’est pas une variable d’ajustement des politiques à mettre en œuvre mais l’une des composantes de notre commune dignité.  

René POUJOL
Journaliste catholique et écrivain

Lien à la Source

1 Gaspard Kœnig : Vies prolongées contre vies gâchées : le vrai dilemme de l’anti-civid. Site Les Echos du 20 janvier 2021. 
2 Ce qui ne dispense nullement de s’interroger sur le type d’économie à promouvoir et sur les secteurs à protéger ou développer.

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