Environ 200 sans-papiers occupent une église de la capitale belge pour réclamer leur régularisation. Crédit : DR

Environ 200 sans-papiers occupent une église de la capitale belge pour réclamer leur régularisation. Crédit : DR

Environ 200 sans-papiers occupent depuis un mois l'église du Béguinage de Bruxelles et deux universités de la capitale belge. Présents en Belgique depuis de nombreuses années, ils dénoncent leurs conditions de vie et réclament leur régularisation.

Ils veulent faire entendre leur voix et "devenir visibles". Dans la capitale belge, quelque 200 sans-papiers ont investi l'église Saint-Jean-Baptiste au Béguinage, ainsi que l'Université libre de Bruxelles (ULB) et l'Université flamande de Bruxelles (VUB) afin d'obtenir leur régularisation. Le mouvement, débuté le 28 janvier avec l'occupation de l'église, ne rassemblait au départ qu'une vingtaine de personnes puis s'est étendu au fil des semaines.

"Il y a beaucoup d'allers et venues. Environ 200 personnes vivent et dorment sur place mais en réalité, ils sont soutenus par 2 000 sans-papiers qui espèrent eux aussi décrocher un titre de séjour", explique Abdelhak Ziani de l'organisation de défense des sans-papiers Samenlevingsopbouw Bruxelles.


Le mouvement s'inscrit dans une dynamique plus large. Depuis le début de la crise sanitaire, plusieurs initiatives (manifestations, campagnes de communication) en faveur de la régularisation des sans-papiers ont été mises en place par des collectifs. Mais elles n'ont débouché sur aucune réponse du gouvernement.

Pour cette nouvelle action coup de poing, l'église Saint-Jean-Baptiste au Béguinage n'a pas été choisie au hasard. En 20 ans, ce lieu a connu l'équivalent de six années d'occupation. Daniel Alliët, prêtre de cette église du centre-ville de Bruxelles, est un ferveur défenseur des sans-papiers. Il en héberge chez lui "depuis toujours". "On se bat pour eux, pour leurs droits. Ils ont construit leur vie ici. Il faut arrêter de les invisibiliser, ça ne peut plus durer", insiste l'octogénaire.

Environ 100 000 sans-papiers en Belgique
La plupart de ces sans-papiers, originaires du Maghreb, d'Afrique de l'Ouest mais aussi du Népal et de Thaïlande, vivent en Belgique depuis cinq, dix voire quinze ans. "Je suis arrivé à Bruxelles en 2004. J'ai toute ma vie ici. J'ai une femme, des enfants, un travail et un logement", raconte Mohammed, un Marocain devenu porte-parole de l'Union des sans-papiers pour la régularisation (USPR), une organisation créée au début de l'occupation fin janvier.

Le père de famille, employé au noir dans le secteur du bâtiment, dit travailler huit heures par jour pour un salaire quotidien maximum de 50 euros, "si j'ai de la chance". Il peut arriver que des patrons ne le payent pas. "Ici, tu peux participer à l'économie belge, mais tu ne peux rien demander", s'indigne Mohammed.
"La grande majorité [des sans-papiers] a un emploi en Belgique notamment dans des secteurs en manque de main d'œuvre. Ils sont soumis à toute forme d'exploitation", assure Sophie Devillé du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Ils sont également victimes des marchands de sommeil qui les logent dans des endroits insalubres en échange de loyers démesurés.

Par ailleurs, comme dans de nombreux pays, la pandémie de Covid-19 a aggravé leurs conditions de vie. "La crise sanitaire a frappé de plein fouet l'économie informelle dont vivent les sans-papiers. Beaucoup de ceux qui travaillaient, par exemple, dans la restauration n'ont plus de revenus et ne peuvent plus payer leur loyer", souligne Pietro Tosi du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) de Bruxelles, qui soutient le mouvement.
Les associations estiment à au moins 100 000 le nombre de sans-papiers vivant en Belgique. "Ils représentent l'équivalent d'une 20e commune de Bruxelles", signale Sophie Devillé. Mais ce chiffre pourrait être plus élevé car beaucoup passent sous les radars. C'est le cas des personnes hébergées chez un membre de leur famille en règle dans le pays, ou de ceux qui dorment dans des squats, qui se débrouillent entre eux et ne font pas appel aux collectifs d'aide.

Des régularisations au compte-goutte
Mohammed a déposé deux dossiers de régularisation, en 2009 et en 2014. Malgré les quittances de loyer qu'il a présentée et son emploi, ses demandes ont toutes été refusées.

En Belgique, c'est l'article 9bis de la loi de 1980 relative aux droits des étrangers qui régit les conditions d'obtention d'un titre de séjour. Ce document est délivré pour des "raisons exceptionnelles" si la personne réussi à démontrer qu'elle ne peut retourner dans son pays d'origine pour y introduire la demande, ou pour des "raisons médicales", si elle ne peut se faire soigner dans son pays. En clair, la loi belge considère qu'un sans-papiers entré illégalement en Belgique doit retourner dans son pays pour y déposer une demande de titre de séjour. "Ici, il ne faut pas rentrer par la fenêtre mais par la porte, sinon votre présence sera toujours considérée comme illégale et vous n'aurez aucun droit", résume Abdelhak Ziani.
En outre, le texte est soumis au pouvoir discrétionnaire du Secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration et est donc par conséquent opaque. "Il n'y a aucune transparence, on ne connaît pas les critères qui permettent une régularisation. Et d'un secrétaire d'État à l'autre, les consignes peuvent varier", précise Sophie Devillé.

Selon les spécialistes, les personnes qui obtiennent une régularisation sont principalement des familles, dont les enfants sont soit nés en Belgique, soit scolarisés dans le pays. En 2019, 4 141 demandes ont été déposées. Sur les 2 989 dossiers instruits, 1 613 ont reçu une réponse favorable, soit 54% des demandes.

Les occupants de l'église espèrent aboutir à un changement de la loi et à une campagne massive de régularisation, comme celles de 1999 et de 2009. "Mais il faut du courage et la tendance est plutôt au blocage politique pour des raisons électoralistes car l'opinion publique n'est pas favorable à ce genre de mesure", croit savoir Abdelhak Ziani.

Des propos confirmés par ceux du nouveau Secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration Sammy Mahdi qui compare l'occupation à du "chantage". Une réponse qui agace le prêtre Daniel Alliët. "En agissant ainsi, ils veulent continuer à nier cette réalité mais, nous, on va continuer à la mettre sous leurs yeux", prévient le religieux.

Leslie Carretero 

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