Homélie du dimanche 2 mai 2021

Comme chaque dimanche de Pâques de cette année nous lisons ce qu’a écrit saint Jean dans sa première Lettre, avant de lire les propos de Jésus qu’il rapporte dans son Évangile.

« Mes enfants, nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours,
mais par des actes et en vérité.
En agissant ainsi, nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité,
et devant Dieu nous aurons le cœur en paix ;
notre cœur aurait beau nous accuser,
Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses.
Mes bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas,
nous nous tenons avec assurance devant Dieu,
et tout ce que nous lui demandons, il nous l’accorde,
parce que nous sommes fidèles à ses commandements,
et que nous faisons ce qui lui plaît.
Or, voici son commandement : avoir foi en son Fils Jésus Christ,
et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé.
Et celui qui est fidèle à ses commandements demeure en Dieu,
et Dieu en lui ; et nous reconnaissons qu’il demeure en nous,
puisqu’il nous a donné son Esprit. »

Saint Jean a retenu de Jésus un commandement qu’il répète de façon incantatoire dans ses Lettres : celui de l’amour mutuel. C’est ce que Jésus a accompli de multiples manières, jusqu’au don de sa vie. Ce faisant, il a révélé que Dieu, son Père et notre Père, était amour. Non pas dans le sens romantique et sentimental du mot, non pas en tenant des discours platoniques, mais dans des actes concrets qui engagent toute la personne. Accomplis avec amour, ce ne sont pas des fardeaux, même s’ils sont des croix lourdes à porter.

Quand nous parlons de la résurrection de Jésus, c’est dans cette perspective que nous pouvons nous situer. Ceux qui ont crucifié Jésus pensaient sans doute se débarrasser de lui : ils n’avaient pas cru qu’il était l’amour personnifié, image parfaite de Dieu son Père. Ils avaient oublié de se référer à leurs Écritures, et à ce qui est écrit peut dans le « Cantique des cantiques » : « L’amour est fort comme la mort, ses traits sont des traits de feu, une flamme de Dieu. Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger. Qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, ne recueillerait que mépris. » (Ct 8, 6) Les chefs religieux avaient fait crucifier Jésus, mais n’avaient pas le pouvoir d’éteindre l’amour qui était le dynamisme de toute sa vie, et le sens de sa mort. Ils n’avaient aucune prise sur le don qu’il faisait librement de sa vie et de sa mort. Certains ont pu crier au long de l’histoire humaine : Dieu est mort. Ils oubliaient que l’amour qui est en Dieu résiste à tous les haines, et que rien ne peut l’éteindre. La résurrection de Jésus est résurrection de son amour, de son Esprit en ses disciples, et en tout être humain de bonne volonté. Et cet amour se traduit dans des actes de résurrection.

Dans l’Évangile, Jésus invite ses disciples à demeurer en cet amour qui a animé tout son être. Son langage encore est imagé. Jésus parle de lui-même en parabole. Après celle du bon pasteur, voici celle de la vigne.

A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples :
« Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron.
Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ;
tout sarment qui donne du fruit, il le nettoie, pour qu’il en donne davantage.
Mais vous, déjà vous voici nets et purifiés grâce à la parole que je vous ai dite :
Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas
porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne,
de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. […]
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous,
demandez tout ce que vous voudrez, et vous l’obtiendrez.
Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit :
ainsi, vous serez pour moi des disciples. »

Les mots « demeure, demeurer » reviennent souvent dans les écrits de saint Jean. Chaque usage qu’il en fait qualifie la relation la plus forte qu’il soit. Ils sont doublement employés. « Demeurez en moi comme moi je demeure en vous ». Pas de plus forte expression pour dire ce qu’est la foi chrétienne. Elle est cohabitation intérieure et communion constante, et vie d’une même sève. Le sarment n’est pas extérieur au plant de vigne. La même sève les vivifie l’un et l’autre. Expérience que vivent ceux qui s’aiment. Aimer c’est demeurer en l’autre comme lui-même demeure en soi. Dans le Credo nous disons : « Je crois en Dieu, en Jésus Christ, en l’Esprit Saint ». Je dépose en Dieu ma confiance, je remets mon être entre ses mains. Quand nous proclamons notre foi, il ne s’agit donc pas d’abord de proclamer un catalogue de convictions ou de croyances, sur la base de raisonnements et de preuves. Il ne s’agit pas d’abord d’un rapport intellectuel à des dogmes, à des vérités, à des affirmations abstraites. La proclamation de la foi est une déclaration d’amour et de confiance, dans le cadre d’une alliance et d’un don mutuels. Proclamer notre foi c’est actualiser une fidélité, nous dire et nous redire « en qui nous avons mis notre foi » en qui nous avons fait notre demeure, établi domicile, et en même temps de nous redire le grand mystère de notre foi : Dieu lui-même, en Jésus Christ vient établir en nous sa demeure et se fait notre convive.

Demeurer dans le Christ ne consiste pas à vivre seulement une expérience extatique et intimiste. Une expression revient cinq fois dans le texte : « Porter du fruit… en abondance ». Comment savoir si nous demeurons vraiment en Jésus Christ, si nous sommes dans la vérité ou dans le vrai ? En mesurant nos émotions, nos sentiments, en écoutant nos états d’âme, en jouissant d’extases ou de visions ? Rien de tout cela dans la bouche du Christ. Tout simplement, en semant autour de nous, vie, joie, bienveillance, pardon, en refusant ce qui opprime, défigure ou désespère le plus petit de nos frères et de nos sœurs, en combattant le mal par le bien. Bref en vivant et en agissant à l’exemple du Christ, en portant comme lui en abondance, des fruits qui feront le régal des autres, qui donneront au pressoir du bon cidre ou du bon vin en abondance comme aux noces de Cana en Galilée, pour réjouir le cœur de l’humanité.

Dans les Actes des Apôtres, nous est rapportée une expérience intéressante. Paul, n’a pas vécu avec les disciples, n’a pas connu Jésus et n’a pas entendu ni recueilli directement ses paroles, et voici cependant, qu’il sera, par des chemins détournés, un greffon sur le plant de vigne, ou un fruit inattendu de la vigne, un fruit inattendu de l’Évangile de Jésus.

« Arrivé à Jérusalem après sa conversion,
Paul, cherchait à entrer dans le groupe des disciples,
mais tous avaient peur de lui, car ils ne pouvaient pas croire
que lui aussi était un disciple du Christ.
Alors Barnabé le prit avec lui et le présenta aux Apôtres ;
il leur raconta ce qui s’était passé : sur la route,
Paul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé ;
à Damas, il avait prêché avec assurance au nom de Jésus.
Dès lors, Paul allait et venait dans Jérusalem avec les Apôtres,
prêchant avec assurance au nom du Seigneur.
Il parlait aux Juifs de langue grecque, et discutait avec eux.
Mais ceux-ci cherchaient à le supprimer.
Les frères l’apprirent ; alors ils l’accompagnèrent jusqu’à Césarée,
et le firent partir pour Tarse. »

L’arrivée de Paul à Jérusalem semble avoir beaucoup perturbé le groupe des disciples, et cependant, elle a donné une impulsion neuve et déterminante au christianisme, qui grâce à lui va sortir résolument des cadres du judaïsme traditionnel. Paul n’a sans doute pas eu trop de mal à fraterniser avec les apôtres de culture juive comme lui. Mais les juifs de culture grecque sont méfiants. Ils se souviennent de la fureur dont il faisait preuve quand il persécutait les premiers disciples de Jésus. N’avait-il pas approuvé le meurtre du diacre Étienne ?

Lorsque se présentent à l’Église des personnes venant d’ailleurs, d’autres cultures, il arrive aussi aux chrétiens dits « de souche » de manifester des attitudes de méfiance, d’hostilité, et même de rejet. Chaque année, à l’occasion des fêtes pascales, des adultes se convertissent, reçoivent le baptême. Ce qui provoque à la fois de la joie pour les vieux chrétiens, comme on dit, et une certaine peur. Ne viennent-ils pas un peu déranger les habitudes par leur enthousiasme, par leur désir de changements ? Quelle place leur donner dans la liturgie, la vie des paroisses et des communautés pour qu’elles portent du fruit en abondance ?

Michel SCOUARNEC

Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon

Lien à la Source

 

 

Retour à l'accueil