Photomontage de l’assassinat de 62 otages des communards rue Haxo, à Belleville, le 26 mai 1871.

Photomontage de l’assassinat de 62 otages des communards rue Haxo, à Belleville, le 26 mai 1871.

Tribune 
Jean-Pascal Gay, professeur d’histoire du christianisme à l’université catholique de Louvain, nous donne son point de vue d’historien à la suite du débat animé autour de la marche des martyrs de la commune.
Le 29 mai 2021 était organisée une procession, curieusement nommée « marche des otages », à Paris, suivant le parcours des otages de la Commune. Le même jour se tenait la traditionnelle montée au mur des Fédérés, un moment liturgique majeur pour la partie des gauches qui s’identifie à la Commune. La confrontation à laquelle cette rencontre de deux célébrations a conduit et l’agression violente des pèlerins ont eu un grand retentissement dans le monde catholique.
Le 2 juin, sur le site de la Croix, quinze catholiques dénoncent dans la marche « une aberration spirituelle et politique ». Les organisateurs de la marche, en proposant une grille de lecture exclusivement religieuse, auraient occulté la dimension politique tant de l’événement que de sa mémoire.
Les auteurs vont plus loin, en affirmant que dans le contexte de la Commune, il n’est pas justifié de parler de « martyr ». Les victimes de la rue d’Haxo auraient payé le prix de la représentation du clergé par les Communards, comme ayant partie absolument liée avec la violence qui se déploie contre ses partisans dans cette semaine finale. Dans une formule provocante, ils appellent les catholiques français à prendre acte du « copinage structurel [du] clergé avec la bourgeoisie capitaliste ».
Les réactions à la tribune ont été à la hauteur de la provocation. Et il n’a guère été difficile pour ses contempteurs de lui opposer l’engagement social de plusieurs des victimes du 29 mai 1871, et particulièrement de « l’apôtre des faubourgs », le P. Henri Planchat.
Pour l’historien, il y a une forme d’effet de miroir dans les réactions à cet événement. Toutes semblent mobiliser des fictions discursives qui construisent des blocs : la Commune, « la sainte Commune », d’un côté ; l’Église, « la sainte Église », de l’autre. La tribune du 2 juin sous-estime vraiment le rôle de l’anticléricalisme, et même d’une forme d’anticatholicisme, dans le processus conduisant aux exécutions du 26 mai. L’émotion anticléricale prépare le terrain qui rend le massacre possible lorsque la répression versaillaise se déchaîne.
Mais la Commune n’est pas une dans son rapport au catholicisme. Les décisions politiques (séparation de l’Église et des institutions civiles...) ne constituent pas une volonté de déchristianisation. L’essentiel se joue à l’échelle des quartiers, dans une Commune elle-même diverse et traversée par de profonds désaccords sur la question religieuse. Le 26 mai, plusieurs leaders communards, comme Eugène Varlin et Camélinat, s’opposèrent au massacre de la rue d’Haxo.
À l’inverse, les promoteurs de la marche affirment n’être que « dans une démarche de prière et de commémoration, sans aucune forme d’expression ou de revendication politique » (Mgr. Denis Jachiet, évêque auxiliaire de Paris). Ils s’inscrivent dans un registre de déhistoricisation des événements, malgré l’effort pédagogique qui avait accompagné sa préparation. La valorisation de la figure du Père Planchat leur permet de renvoyer les victimes du massacre aux prémices d’un catholicisme social qui a désormais droit de cité dans le catholicisme contemporain.
Reste que la proposition ne s’est guère accompagnée d’un travail historique sur le catholicisme du temps de la Commune. Et la re-légitimation par cette histoire sainte de l’engagement social des catholiques peut apparaître aux auteurs de la tribune comme une forme de mise à distance des complicités de nombreux catholiques avec la reconquête violente de Paris par les troupes d’Adolphe Thiers. Faut-il rappeler l’approbation large par l’épiscopat français de la répression contre la Commune ?
La sainteté de « nos » martyrs n’efface pas cela ; elle ne constitue pas une réponse de soi lisible face aux mémoires politiques de l’événement et aux émotions qui s’y associent. Une histoire de l’utilisation politique de la mémoire des martyrs de la rue d’Haxo aurait paru comme la condition de possibilité d’une démarche de dépassement des affrontements mémoriels.
C’est au contraire à leur réactivation qu’on a assisté. L’ignorance réciproque a joué à plein. Des militants ont vu dans la procession une volonté de célébration de la répression et une forme de collusion entre l’Église et l’extrême droite. Ils ignoraient non seulement la manière dont les organisateurs avaient pensé l’événement mais encore l’histoire qui a conduit à séparer la mémoire catholique des martyrs de la Commune de ses usages politiques passés.
Des catholiques ont processionné, en ignorant ou à tout le moins en minorant, l’effet politique et émotionnel de la procession, en particulier compte tenu du calendrier mais aussi de l’irrémédiable dimension politique, au plein sens du terme, de la procession comme rite. Naïveté ? Les auteurs de la tribune du 2 juin n’ont certainement pas tort d’interroger une dépolitisation affichée qui n’a guère de sens si ce n’est dans un discours ad intra, et qui a elle-même une dimension politique.
Ce que cet épisode signale, est la grande difficulté en catholicisme à tenir ensemble hagiographie et histoire, à penser la sainteté hors du fantasme de récits purs, à prendre acte de l’histoire d’une manière qui mette vraiment l’Église au service de la paix et de la réconciliation des mémoires. À l’heure où l’Église de France se prépare à faire face à des aspects terribles de son passé, renoncer aux déhistoricisations sur lesquelles reposent les positions militantes pourrait apparaître comme un nécessaire exercice spirituel.


Jean-Pascal Gay, professeur d’histoire du christianisme à l’université catholique de Louvain

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