Simone Martini Le Portement de Croix (vers 1335)

Simone Martini Le Portement de Croix (vers 1335)

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 8, 27-35. 

« En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? »
Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. »
Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. »
Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.
Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.
Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »


Homélie
Jésus interroge ses disciples : “Au dire des gens, qui suis-je ?” Les uns disent qu’il est Jean-Baptiste, d’autres Élie, ou un prophète. Ils ont leurs catégories. Ils trouvent des références dans le passé. On pourrait dire qu’ils font de l’étiquetage, bienveillant, mais étiquetage quand même. C’est du passé, du classement, et quand une affaire est classée, quand quelqu’un est classé…

Jésus relance la question : “Mais pour vous, qui suis-je ?” Alors Pierre répond : “Tu es le Christ”. Sans doute parce qu’il a su regarder Jésus autrement, parce qu’il a su voir plus que le visible en Jésus. Il a vu le présent et l’avenir, il a vu l’invisible. Il a vu le mystère de la personne, il a eu le regard du respect, celui qui envisage au lieu de dévisager. D’aucuns veulent voir pour croire. Ici, il est clair que c’est parce qu’il croit que Pierre voit. Il voit tout autre chose et surtout il voit beaucoup plus loin, même si la suite va montrer que son regard reste fragile. En effet, le Messie dont il parle sera, à son avis, libérateur de l’occupant romain, manu militari. Dès que Jésus parle d’incarnation réelle, de souffrance, de rejet, de mise à mort, Pierre perd les pédales.

2000 ans après, on est dans le même état que Pierre. On trouverait tellement bien que Jésus ne soit plus fragile mais qu’il soit seulement Dieu, le fort, le tout-puissant. Si ça ne dépendait que de nous, il serait celui qui remettrait les choses en ordre et ferait triompher le bien. Or la seule toute puissance de notre Dieu est celle de son amour manifesté à travers son Fils et, depuis, à travers chacun des hommes et des femmes, jusqu’à chacun de nous aujourd’hui. Croire que c’est bien aux hommes que Dieu a voulu confier son visage à montrer, à incarner.

Je repense à ces gens venus me parler de problèmes graves. Des phrases douloureuses leur échappaient : “Dieu pourrait faire quelque chose. Vous pourriez prier.” Et petit à petit leur ton change. Ils disent leur surprise de n’avoir pas craqué : c’est inexplicable, au fond. Et ils évoquent ce qu’on peut appeler des signes : “On fait face ensemble avec les enfants. On a de bons voisins : ils nous ont invités à de bons moments simples : ça remet debout.” Alors j’ai pu dire : “Il est là, le Dieu de Jésus Christ”, le Dieu dont l’amour est tout-puissant. Pour eux ces gestes d’amour ont dit (fait) Dieu, ont fait exister la présence de Dieu qui remet debout. Ils m’ont fait penser à la traduction étonnante que propose la théologienne Lytta Basset à la phrase d’aujourd’hui : “Si quelqu’un veut marcher à ma suite, … qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.” La traduction qu’on vient d’entendre a pu engendrer des idées doloristes ou pessimistes : pour être chrétien, il faut en baver. Lytta Basset, elle, fait remarquer que le mot hébreu qu’on a traduit par prendre peut aussi être traduit par lever. Et ce mot lever est le même que ressusciter. Alors la phrase pessimiste devient tout autre : “Si quelqu’un veut marcher à ma suite, … qu’il soulève (qu’il exalte) sa croix et qu’il me suive.” Comme pour ces gens qui se sont laisser remettre debout par leurs proches…
Il y a quelques années nos amis protestants ont édité un petit livre qui s’appelle Dieu s’approche. J’y ai lu ceci : “Les chrétiens croient qu’en Jésus Christ Dieu s’est approché de nous. Qu’il nous rejoint dans notre humanité. Qu’il rejoint chacune, chacun d’entre nous dans ce que nous avons d’unique… En Jésus, Dieu a connu la joie et les peines, l’amitié et la fidélité, le rejet et la trahison, le doute et l’espérance, la tentation, l’angoisse et la mort. Comment être plus proche de l’humanité qu’en vivant la réalité d’une vie d’homme ? Ainsi, ce Dieu qui vit, qui souffre et qui meurt en Jésus comprend ce que veut dire vivre et mourir. Et du même coup, regardant ce qu’a été la vie de Jésus, nous comprenons ce que signifie véritablement l’existence humaine.
S’il y a un lieu où Dieu n’aurait pas dû être présent, c’est bien celui de la mort ! Or c’est précisément là que Dieu choisit de se révéler pleinement en Jésus. Comment pourrions-nous l’imaginer plus proche de nous ? La croix où meurt Jésus n’est pas la démonstration sensationnelle de l’existence de Dieu. C’est le contre signe qui révèle la présence de Dieu là où on l’attendait le moins.” Là où nous avons besoin d’une présence d’amour qui nous aide à lever notre croix.
Le théologien Henri Denis a écrit : “Le Christ est celui qui a transfiguré le sacré en sainteté… Le sacré implique la distance, tandis que la sainteté est le fruit de l’Alliance…” 
“Pour moi, disait joliment Paul Guth, Jésus Christ est le Dieu que nous pourrions être.”

Robert TIREAU
Prêtre du Diocèse de Rennes

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