Nativité de Marie - Maitre Italien du XVIIème siècle

Nativité de Marie - Maitre Italien du XVIIème siècle

Nous célébrons la naissance de Marie, c’est-à-dire « l’aurore qui annonce le soleil de justice » selon une formule très ancienne qui remonte à saint Jean Damascène au début du VIII° siècle et qui marque la liturgie de ce jour. Jésus est le soleil de justice que commence à annoncer la naissance de Marie.
La grâce des commencements porte toujours en elle quelque chose de lumineux.
Peut-être qu’en regardant ensemble ce mystère de la naissance de Marie, nous pouvons songer aussi à nos propres commencements, aux moments de nos vies où un nouvel élan nous a été donné. Pour les prêtres, les diacres ou les religieux et religieuses, il y a ces lumières de nos vocations qui ont fait qu’à un moment nous avons été certains que c’était bien le Seigneur qui nous appelait. Chacun porte en lui, dans sa mémoire, ces moments intenses de lumière où il devient évident que c’est là qu’il nous faut donner nos vies. Ceux qui se marient ou qui s’engagent dans toute forme de projet de vie humain connaissent également, au commencement, cette grâce très unifiante qui pousse à se donner tout entier, à ne plus rien voir d’autre que la beauté de s’offrir entièrement, sans réserve.
Tout au long de nos vies, il existe aussi des commencements moins fondamentaux, mais non moins marquants comme le début d’une nouvelle mission, l’engagement dans un nouveau projet qui va nécessiter un fort investissement personnel et collectif, une nouvelle étape de vie.
A l’inverse, nous traversons aussi parfois des crises où la part de naïveté contenue dans nos commencements s’émousse ou se détruit presque complètement. Dans la généalogie de Jésus en saint Matthieu (Mt 1,1-16), c’est particulièrement lorsque des femmes sont citées que sont évoquées ces crises de l’histoire sainte. Un peu comme si ces crises qui font partie de l’histoire sainte étaient d’abord révélées par des femmes : quand une femme est mentionnée au milieu de cette liste d’hommes qu’est la généalogie de Jésus, c’est qu’il y a eu des ruptures. Aucune n’est de ces femmes de l’Ancien Testament comme Ève, Sara, Rebecca, Débora, Judith ou Esther, dont les initiatives ont déterminé l’histoire. Non, ici, c’est Thamar, la mal aimée qui prend sa revanche en manipulant son beau-père pour obtenir deux enfants de lui ; c’est Rahab, la prostituée de Jéricho ; c’est Ruth, la fille païenne ; c’est la femme d’Ourias que le roi David a prise avec violence. Ce sont à chaque fois des drames personnels inscrits dans l’histoire, des injustices subies ou des renoncements. Ces femmes paient en quelque sorte le prix de l’histoire sainte. Et à la fin, arrive Marie, promise à Joseph mais dont va mystérieusement naître Jésus, notre Sauveur. En Marie, se cristallise cette endurance féminine, ce renoncement à son projet personnel, cet effacement qui pourtant porte d’immenses fruits dans l’histoire du Salut.
Cela nous montre que l’Évangile n’idéalise pas l’histoire du Salut. Et quand éclate, comme à bien des heures sombres de l’histoire de l’Église, tel ou tel scandale, telle ou telle injustice ou autre crise douloureuse, même si nous en avons beaucoup de peine, nous n’avons pas à en être surpris. Pas plus que la généalogie de Jésus ni que le groupe de Douze Apôtres, l’Église n’a jamais été une communauté idéale et sa sainteté ne se confond jamais avec l’improbable impeccabilité de ses membres. Venir à l’Église pour y trouver autre chose que le Christ sauveur, comme l’avait écrit Georges Bernanos, c’est s’assurer d’être déçu, mais celui qui attend de l’Église qu’elle le mène au Christ ne sera pas déçu. « Ce n’est pas la parole de l’Église qui nous fait accepter Jésus, mais c’est la parole de Jésus qui nous fait accepter l’Église » écrit le père Raniero Cantalamessa (Aimer l’Église, Ed. des béatitudes, 2005, p. 21). L’Église n’a pas la prétention de parler mais de transmettre la parole de Jésus. La généalogie que nous avons entendue conduit à Jésus, mais par l’intermédiaire de Joseph qui a dû renoncer à son rôle initial pour n’être que celui qui prend chez lui la mère du Christ.
Néanmoins, c’est vrai aussi que nos communautés, nos façons de vivre entre chrétiens, doivent se réformer. Et nous en sommes tous responsables. La méditation que j’ai proposé cette année sur la lettre aux Ephésiens a ce but précis de revoir nos comportements communautaires et de les convertir en profondeur dans le Christ, pour demeurer dans son amour. Nous résigner à nos imperfections serait une grave perversion du dogme de la sainteté de l’Église.
Pas plus que d’idéaliser l’histoire sainte ou l’Église, il n’y a pas lieu d’idéaliser nos histoires personnelles avec le Seigneur. Dans la tradition des pères du désert, on raconte qu’un novice envisageant de quitter sa communauté parce qu’il souffrait de ses imperfections vint consulter un vieux sage pour se faire conseiller une autre communauté qu’il puisse rejoindre. Le sage répondit : Quand bien même tu trouverais une communauté parfaite, elle deviendra imparfaite dès que tu y seras entré. La prise de conscience par chacun personnellement de ses propres imperfections et ses difficultés est indispensable pour purifier son intention initiale et en retrouver la sève, la force réelle, indépendante des besoins de reconnaissance, d’efficacité ou d’auto-promotion. Car les crises ou les épreuves de notre vie ne suppriment pas l’authenticité de l’élan premier dont nous avons pu garder la mémoire, de cette rencontre fondamentale avec la lumière du Seigneur dans notre vie qui a donné un cap, une direction à notre existence et à notre générosité.
Aujourd’hui où nous célébrons, avec la nativité de la Vierge Marie, « l’aurore qui annonce le soleil de justice », il nous est bon de refaire chacun mémoire de cette aurore lumineuse de nos commencements. … Et, en considérant aussi à la lumière de l’Évangile toutes nos faiblesses, nos ambiguïtés et nos déceptions, il nous est bon également de laisser le Seigneur purifier notre vie.
Nous pouvons demander à la Vierge Marie, la mère toute pure, de nous aider à retrouver l’enthousiasme de nos débuts de façon à surmonter nos faiblesses d’aujourd’hui et de toujours.
Rappelons-nous ce que dit saint Paul dans la lettre aux Romains : « Ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire » (Rm 8,30). C’est le fruit de la grâce du baptême que d’être ainsi rendus justes, à la lumière de l’appel du Seigneur sur nous : « ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ». C’est l’œuvre de Dieu en nous, pour sa gloire. Voilà le don à cultiver, en vue du ciel.
Pour laisser cette œuvre de justification s’accomplir dans notre vie, tout au long de notre existence, sur terre déjà, il suffit d’ouvrir nos cœurs à la grâce de Dieu qui est toujours à l’œuvre. Prendre le temps de méditer la Parole de Dieu chaque jour et se laisser travailler intérieurement pour que l’Esprit Saint unifie nos cœurs en les recentrant sur l’appel que nous avons reçu dès les commencements de nos élans les plus beaux.
L’habitude de vivre un moment diocésain de prière autour du 8 septembre, au commencement de l’année scolaire qui rythme aussi nos vies pastorales, me paraît vraiment une excellente chose. Je suis persuadé que cela est source de grande force spirituelle pour ceux qui y participent et pour l’ensemble du diocèse.
Que Notre-Dame de Rocamadour vous obtienne à tous la grâce de retrouver l’élan le plus pur de vos commencements. Laissons-nous éclairer par la lumière qui jaillit déjà de la naissance de Marie, « l’aurore qui annonce le soleil de justice », afin d’ouvrir mieux nos cœurs au feu de l’Esprit Saint.
Amen.

Mgr Laurent Camiade, évêque de Cahors

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