La philosophe Laurence Devillairs, auteure de Etre quelqu'un de bien, philosophie du bien et du mal.  Devillairs

La philosophe Laurence Devillairs, auteure de Etre quelqu'un de bien, philosophie du bien et du mal. Devillairs

TRIBUNE. Après les révélations du rapport Sauvé, les appels à donner une plus grande place aux laïcs et aux femmes dans l’Eglise se multiplient. Pour la docteure en philosophie Laurence Devillairs, répondre à ces appels sans réformer la répartition d’un pouvoir aujourd’hui concentré dans les mains de quelques uns ne changerait rien.
Patriarcat, célibat, place des femmes, rôle des laïcs : des diagnostics et des propositions sont formulés pour sauver l’Église, pour assigner des causes au mal. Mais après s’être inutilement attardée sur la question du secret de la confession – alors que la loi prévoit tout simplement de dénoncer un crime pour ce qu’il est, à savoir un crime –, la discussion s’égare à présent autour de questions de mixité, comme si repeindre la façade pouvait réassurer les fondations. Mixité, car plus de femmes et davantage de laïcs est en effet avancé comme solution aux abus.
En quel sens ? Parce que les femmes seraient incapables d’exactions ? Parce que les laïcs seraient la voix de la raison ? Parce que le célibat est malsain, et que tous les célibataires sont des pédocriminels en puissance ? Parce que les femmes apporteraient sensibilité, bienveillance ou empathie, toutes ces valeurs dites féminines, qui viendraient adoucir une hiérarchie exclusivement masculine ? Parce que les laïcs seraient objectifs et fiables ?
Non seulement cette analyse est naïvement caricaturale – en quoi une femme ou un laïc s’opposeraient-ils nécessairement à l’arbitraire et à la maltraitance ? –, mais elle manque totalement ce qui est la cause véritable des violences commises et tues. La participation de laïcs ou de femmes, parce qu’ils auraient telles ou telles qualités supposées et propres, ne modifierait en rien une institution qui n’aurait pas d’abord modifié son mode de gouvernement.
C’est une question de pouvoir
« Le problème présente un caractère systémique », a souligné Jean-Marc Sauvé. Ce n’est donc pas une question de personnes ou de population – trop masculine, trop cléricale – mais de pouvoir, d’organisation, de distribution et d’exercice du pouvoir. S’il y a abus sexuels, c’est parce qu’il y a aussi, et peut-être d’abord, abus de pouvoir, parce qu’il y a une institution qui l’autorise, le légitime, et le « blanchit ».
Il faut être attentif aux mots employés : l’Église a tardé à parler de crime, on a reconnu des dysfonctionnements, parfois même un manque de formation, alors qu’il s’agit de la possibilité structurellement accordée à certains, clercs ou laïcs, hommes ou femmes, d’humilier et de contraindre au silence, en toute bonne conscience.
Précisément parce que l’institution le permet, en l’absence de tout contre-pouvoir, de toute régulation, dans un entre-soi complaisant. Il n’y a pas de « dehors » dans certains organismes de l’Église ; ce sont les décrets d’un seul, les arrangements d’un collectif qui prévalent, ponctués de ces notions que l’on ne devrait utiliser qu’avec parcimonie et humilité : « communauté fraternelle », « bien commun », « discernement » et « charité ».
Le problème est donc politique : il concerne le pouvoir – plus de laïcs ou plus de femmes n’y changera rien. C’est à la condition que l’institution veille à rendre illicites certains comportements, à refuser les passe-droits, les arrangements faciles avec la justice, que les hommes et les femmes, les clercs et les laïcs pourront y exercer leur fonction de manière non abusive. Mais si l’on continue à autoriser la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’un seul ou de quelques-uns, au sein de systèmes de parrainages et de protections, de recrutements complaisants et de décisions non discutées, la présence de femmes, l’engagement de laïcs n’empêcheront pas ce système de s’entretenir lui-même dans l’opacité et l’impunité.
Sortir de l’obscurité et de la connivence
Une ouverture à une participation plus mixte, plus démocratique au sein de la hiérarchie de l’Église ne constitue en rien une réforme si elle n’a pas pour condition la transparence. Non plus des décrets pris dans l’obscurité et l’arbitraire d’oligarchies et de communautés de connivences, mais des décisions régulées par des procédures qui ne seraient pas de pure complaisance et des statuts qui ne seraient pas de simples prétextes, perméables à tous les accommodements. Une institution devient plus vertueuse à la condition qu’elle mette en place des structures de pouvoir qui imposent cette vertu, par un droit de regard et un impératif de reddition de compte (exact !).
Les femmes et les laïcs au sein d’un système où le pouvoir se confond avec l’autoritarisme et le fait du prince ne sont pas, et ne seront pas, plus vertueux que les hommes et les clercs. Ils seront, et le sont déjà, réduits soit à la complicité, soit au silence.
Dans les conditions actuelles de contournements du droit – droit du travail et droit pénal –, plaider pour plus de laïcs reviendra tout simplement à les cléricaliser, à instaurer une nouvelle cléricature, potentiellement plus autoritaire que celle qu’elle supplantera. Le perdant sera l’Évangile. Il faut refuser la naïveté des faux problèmes : les femmes comme les laïcs savaient, ils ont couvert tout autant que les clercs, car l’institution le permettait et le permet encore.
C’est l’organisation juste et contrôlée du pouvoir qui rend inacceptables certains agissements et fonctionnements. C’est à mettre fin aux abus de pouvoir, au monopole par quelques-uns de la prise de décision et de la parole qu’il faut s’attacher. Pour l’heure, nombre de femmes et de laïcs sont au moins aussi coupables de lâcheté ou de compromission que les clercs qui les emploient et les promeuvent.
Laurence Devillairs
Docteure en philosophie


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