Homélie du dimanche 19 décembre 2021
12 déc. 2021La Visition. Arcabas (Jean-Marie Pirot). Détail du polyptique L’Enfance du Christ, 1995-1997. Huile sur toile, 106 x 87 cm. Salle des évêques, Palais archiépiscopal de Malines, Bruxelles.
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 1, 39-45.
« En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Homélie
C’est Hyacinthe Vulliez qui écrit avec un brin de poésie : “La bible est une longue suite de visites que Dieu a faites à son peuple. Malgré les infidélités des hommes et parfois à cause d’elles, Dieu descendait à tous moments de la haute colline du ciel, sur la terre. Un jour, par l’archange Gabriel, il annonce à une jeune femme de Nazareth, Marie, la venue de son fils. Elle, aussitôt, se met en route pour aller voir sa cousine Élisabeth. Deux femmes se rencontrent et, par elles, deux enfants, Jean et Jésus. Et par les deux enfants, les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau.”
C’est vrai ! Marie a tellement accueilli la Parole de Dieu dans sa vie que la Parole a pris chair en elle. Marie a tellement accueilli la Parole de Dieu qu’elle la porte : elle conçoit le Fils du Dieu vivant, celui qui sera nommé Dieu sauve, Jésus. Croire tellement, avoir un idéal tellement fort et tellement têtu qu’un jour ça se concrétise, et que ça ressuscite. Avoir le courage de dire oui à la naissance de Dieu en nous pour qu’il soit pour nous le compagnon discret et fort de nos vies. “Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur” : une béatitude qu’on pourrait ajouter à toutes les autres béatitudes que l’on entend le jour de la Toussaint.
C’est une histoire pleine de tendresse et d’émotion que cette Visitation : deux femmes enceintes se rencontrent et partagent les joies de l’attente. Deux femmes qui ont fait l’expérience qu’en elles, au plus profond d’elles-mêmes, il y a de l’autre, il y a quelqu’un d’autre. Cet autre les a mises en mouvement, il les a, à la fois, mues et émues. Leur existence à toutes les deux s’est faite ouverture, accueil, joie, tressaillement. Leur existence est provoquée à se pousser hors d’elle-même. Du neuf va apparaître. Il y a, dans la maternité, pendant la grossesse, une période assez exceptionnelle : les femmes peuvent parler d’un autre, tout en parlant d’elles-mêmes, elles peuvent parler d’elles-mêmes tout en parlant d’un autre.
La Visitation c’est la rencontre de deux personnes déjà habitées, de deux personnes déjà visitées. A notre niveau, dans nos rencontres, dans nos visites, – c’est le même mot que Visitation- Essayons de reconnaître en ceux que nous visitons l’Autre qu’ils portent en eux ? La véritable joie d’une visite, la valeur d’une rencontre, c’est de croire en celui qu’on va voir. Croire que l’autre mérite attention et respect, qu’il porte en lui des possibilités infinies, croire que rien n’est impossible à Dieu. Une visite, (une visitation) aussi banale soit-elle, réalise la visite de Dieu qui s’intéresse à notre terre.
Le récit que Luc fait de cet instant exceptionnel est plus qu’une histoire édifiante. Cette visite, cette visitation, ouvre un avenir tout nouveau. Désormais, c’est par l’homme, c’est par son fils devenu homme, que Dieu visite les hommes. Et c’est aussi en visitant l’homme que les hommes rendent visite à leur Dieu. Et à la visite dernière, ils s’écrieront d’étonnement : “Mais quand est-ce que nous t’avons visité ?” Et le Seigneur leur répondra : Quand vous visitiez les malades, les pauvres et tous les autres, c’est moi-même que vous visitiez. Vous traciez sur le monde les chemins de l’éternelle amitié.
Ecoutez cette poésie de Prosper Monier (Jésuite) : Ne dis pas…
« Ne dis pas : trop pauvre ; donne ce que tu as. Ne dis pas: trop faible ; lance-toi en avant. Ne dis pas : trop ignorant ; dis ce que tu sais. Ne dis pas : trop vieux ; donne tes dernières forces et ton expérience. Ne dis pas : j’en mourrai ; meurs, et tu vivras, et tu feras vivre.
Si le fardeau est trop lourd, pense aux autres. Si tu ralentis, ils s’arrêtent. Si tu t’assois, ils se couchent. Si tu te couches, ils s’endorment. Si tu faiblis, ils flanchent. Si tu doutes, ils désespèrent. Si tu hésites, ils reculent.
Mais si tu marches, ils courent. Si tu cours, ils volent. Si tu donnes la main, ils te soutiendront et t’aideront. Si tu les prends en charge, ils te porteront.
Prie en leur nom, tu seras exaucé. Risque ta vie, et tu vivras. »
Robert Tireau
Prêtre du Diocèse de Rennes