Mgr Brunin : « Le message du Christ ne laisse pas sans ressources face au défi de l’extrême droite »

Alors qu’une partie des catholiques semble de plus en plus attirée par le vote d’extrême droite, l’évêque du Havre, Mgr Brunin, rappelle dans ce texte que « l’Évangile appelle à repenser sans cesse notre posture de chrétiens dans une société qui est et demeurera plurielle », fustigeant une « vision passéiste ou décliniste ».
Le directeur du département opinion chez Ipsos, Stéphane Zumsteeg, constatait en décembre dernier : « Les catholiques qui résistaient aux sirènes de l’extrême droite sont aujourd’hui plus perméables au discours sur la défense des valeurs chrétiennes, le programme très libéral sur l’économie et très conservateur sur le plan sociétal. » Même si les sondages d’opinion cherchent à cerner leurs intentions de vote, les catholiques ne forment pas une communauté homogène. La part d’entre eux séduits par les positions d’extrême droite semble liée au refus du libéralisme éthique et à la conscience que la présence des migrants menace leur sécurité et leur identité. Ils adhèrent ainsi plus facilement à l’approche décliniste portée par ces courants.
Bien situer la question
Par-delà fantasmes et obsessions, il faut analyser les causes du phénomène. Des études signalent que les thèses de l’extrême droite trouvent écho non seulement parmi les populations mal insérées socialement, mais aussi celles qui, mieux intégrées, éprouvent un sentiment de déclassement. Les crises sociales actuelles sont déstabilisantes et anxiogènes. Nous comprenons la séduction opérée par des discours politiques laissant croire que la diversité peut être résorbée par la seule action volontariste qui recourrait à des méthodes autoritaires, stigmatisantes et répressives.
La pluralité met au défi l’urbanité. Il n’est pas facile de consentir à partager un espace commun entre populations qui diffèrent sur les plans ethnique, culturel et religieux. L’autre est instinctivement perçu comme un étranger menaçant mon espace social, les valeurs sur lesquelles je fonde mes façons de vivre et mon identité.
Position de certains catholiques
Il semble essentiel pour l’Église catholique de rappeler que le message du Christ, même s’il ne livre pas de programmes préétablis, ne laisse pas sans ressources face à ce véritable défi. Il est indéniable qu’il faille alerter sur des discours et des comportements qui forment un hiatus avec ce que le Christ est venu nous révéler. Les interventions de l’Église catholique, sans stigmatiser ni condamner les personnes, doivent pouvoir éclairer les consciences qui se laisseraient entraîner dans ce qui représente une dérive « mondaine » par rapport au message de l’Évangile.
Confrontés à la question du « vivre-ensemble » et encouragés par la foi chrétienne à la traiter positivement, les chrétiens sont invités à entrer de façon active dans la perspective du projet de Dieu, tel que Jésus l’a révélé. Inlassablement, il a annoncé la Miséricorde de Dieu pour tous les humains, sans exception. Il a placé au centre de son œuvre missionnaire le souci d’unir ce qui était séparé, de réconcilier ce qui était en conflit, d’apaiser ce qui était violent, d’intégrer ce qui était exclu…
Quelles initiatives possibles ?
L’Église n’a pas de consignes à donner aux fidèles, pas plus qu’aux citoyens. Face à ceux qui se laisseraient séduire par les thèses de l’extrême droite, la condamnation morale est contre-productive. Avec Amoris laetitia, le pape François invite à une autre attitude : « La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement… d’éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations » (296). C’est sur la base de ces convictions que François nous invite à promouvoir sans cesse, à l’égard de tous, une culture de la rencontre et du dialogue. Il nous faut manifester de la bienveillance autant que de la clarté dans nos échanges. Comme le pape saint Jean-Paul II nous y invitait au début du IIIe millénaire, il nous faut « repartir du Christ » pour appréhender les situations humaines qui posent question.
Cultiver en nous les sentiments du Christ
Le contact avec la personne du Christ dans la fréquentation des Écritures et la vie de prière nous imprègne de ce qui fut au cœur de sa mission. Cela permet d’évaluer nos propres sentiments et nos comportements (cf. Phil 2, 1-4). Nous découvrons alors comment penser et agir en cohérence avec les sentiments du Christ et son message.
La question est de savoir comment nous habitons la tradition chrétienne. Qu’avons-nous la responsabilité de transmettre ? Une tradition culturelle et morale dont nous attendons qu’elle impose à tout notre environnement social ses marqueurs éthiques et ses références culturelles ? Ou bien une foi qui nourrit sans cesse une relation vivante et personnelle au Christ et rend libre à l’égard de tout système totalisant pour nous ouvrir au Salut offert ? L’Évangile appelle à repenser sans cesse notre posture de chrétiens dans une société qui est et demeurera plurielle. C’est cette société – et non celle qu’on fantasme dans une vision passéiste ou décliniste – qui est le champ de l’évangélisation qui mobilise les disciples de Jésus à travers la diversité de leurs engagements sociaux. Pour éclairer les choix et l’action des chrétiens au cœur de la société, nous disposons de la richesse de l’enseignement social de l’Église, malheureusement trop peu connu des catholiques. Toujours en évolution, enrichie par la longue expérience des chrétiens qui s’efforcent d’habiter leur société en fidélité au Christ, elle demeure source d’inspiration pour les choix, les comportements et l’exercice de la responsabilité citoyenne des chrétiens dans l’histoire des sociétés humaines.
Des questions à revisiter
Pour terminer, et sans prétendre à l’exhaustivité, j’évoquerai quelques chantiers à intégrer, pouvant éclairer notre posture en ces temps de débats électoraux. L’enseignement social de l’Église nous apprend à distinguer sentiment national et nationalisme. Il nous aide aussi à discerner les moyens d’encourager la recherche du bien commun universel. Face aux mouvements migratoires, les enseignements magistériels, du pape Paul VI au pape François, posent les bases d’un accueil réaliste et « prudent (1) » des migrants et des réfugiés. Enfin, pour éviter la trop grande personnalisation de l’action politique, l’enseignement social de l’Église valorise l’importance des partis pour vivre une authentique et saine démocratie.
Si les catholiques consentent à conduire leur réflexion et le dialogue à la lumière de la Tradition sociale de l’Église, ils peuvent devenir des influenceurs positifs au sein de leur société. Une belle occasion de faire exister une Église-sacrement, qui sera « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, 1)

Jean-Luc Brunin, évêque du Havre

(1) Propos du pape François à son retour de Suède. Cf. article de La Croix du 2 novembre 2016.


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