Défense de la civilisation judéo-chrétienne ? par Jean-Marie Ploux

Un certain nombre de candidats aux plus hautes responsabilités de la République affichent leur souhait de défendre la « civilisation judéo-chrétienne ». Je suppose que la civilisation dont ils parlent s’appuie sur la tradition biblique et l’interprétation qui en fut donnée par un certain Jésus de Nazareth et les disciples qui l’ont suivi. Or ceux-ci, pour penser et exprimer leur foi, ont toujours puisé dans la pensée des « autres ». Ainsi fit l’apôtre Paul avec le stoïcisme, forme dominante de la sagesse grecque en son temps. Plus tard, saint Augustin en usa de même avec le néoplatonisme d’Alexandrie, plus tard encore Albert le Grand et Thomas d‘Aquin avec la pensée d’Aristote importée en Espagne par les Arabes. En dépit d’une tendance trop souvent affirmée de l’Église de Rome à penser l’unité des chrétiens sous le mode de l’uniformité, ce mouvement ne s’est jamais arrêté. Le Concile Vatican II (1962-1965) a heureusement ré-exprimé cette pluralité des sources car elle est au fondement de l’expression de la foi dans son ouverture à l’universel.
Au septième siècle avant notre ère, le prophète Michée a déjà dit l’essentiel de la conduite à laquelle est appelé l’homme de la Bible : « On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur exige de toi : Rien d'autre que de respecter le droit, aimer la bonté et marcher humblement avec ton Dieu" (Mi 6,8). Sur cet horizon, le thème de l’émigration est symptomatique de la vérité de l’existence juive et chrétienne. Je l’évoque puisqu’il revient sans cesse dans les discours politiques, avec raison d’ailleurs car il est emblématique d’un « humanisme » et relève et relèvera toujours de l’urgence provoquée par les famines, les guerres, les dictatures ou les dérèglements climatiques. La guerre de l’Ukraine nous le rappelle tragiquement.
Le prophète Jérémie, résume tout en une seule phrase : « Ainsi parle le Seigneur : Défendez le droit et la justice, délivrez le spolié de la main de l'exploiteur, n'opprimez pas, ne maltraitez pas l'immigré, l'orphelin et la veuve, ne répandez pas de sang innocent » (Jer 22,3). Plus tard, on précisera : « Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas ; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez commme un homme du pays, comme l’un de vous ; tu l’aimeras comme toi-même ; car vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d’Égypte » (Lv 19,33-34). 
Ceux qui reconnaissent le visage de l’homme et de Dieu en Jésus défiguré et mort sur la Croix doivent se rappeler que, s’identifiant aux affamés, aux assoiffés, aux dénudés, aux étrangers, aux malades et aux prisonniers, ce Jésus reconnaît pour siens celles et ceux qui les ont nourris, désaltérés, habillés, accueillis, visités, que les uns et les autres aient une religion ou qu’ils n’en aient pas. (Mt 25, 31-46)
C’est pourquoi l’apôtre Paul avait écrit dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe : « Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est » (I Co, 1,27-28). Ainsi est énoncé, du point de vue chrétien, le Principe critique de toute politique, de toute civilisation, de toute conduite humaine. L’humanité ne peut prétendre à l’universel qu’en se donnant pour fondement la considération première des derniers, des exclus de toutes les logiques économiques et sociales, comme de ceux et celles qui sont contraints à l’émigration. Le Pape François le dit inlassablement.
En conséquence, ceux et celles qui prétendent défendre une civilisation judéo-chrétienne, en reniant ces principes fondamentaux, sont des imposteurs et des faussaires. D’ailleurs, en vertu du Principe critique de la Croix de Jésus, il n’y a jamais eu de civilisation judéo-chrétienne et il n’y en aura jamais : tout est toujours à recommencer par le bas. 

Jean Marie Ploux, 
Prêtre de la Mission de France et théologien

Avec l'aimable autorisation de l'auteur
 

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