Cardinal López Romero : « Nous devrions moins souvent parler des musulmans, mais plus souvent parler avec eux »
07 juin 2022« Quand je vois des prêtres qui parlent mal des musulmans, c’est que, bien souvent, ils n’en ont jamais vu. » REMO CASILLI/REUTERS
Archevêque de Rabat, au Maroc, le cardinal Cristóbal López Romero promeut un dialogue actif avec les musulmans. Il participe, à Rome à partir du 6 juin, à la session plénière du dicastère pour le dialogue interreligieux.
La Croix : Vous êtes archevêque de Rabat, au Maroc, depuis 2018, et membre du dicastère pour le dialogue interreligieux. Qu’est-ce qui caractérise l’Église catholique, très minoritaire, au Maroc ? Quels sont ses défis ?
Cardinal Cristóbal López Romero : Notre Église comprend 30 000 catholiques, venant de 100 pays différents. À partir de là, nous avons une attention particulière à porter à l’unité. C’est un défi permanent. Il nous faut, dans ce contexte, et même si nous sommes majoritairement des étrangers, être une Église du Maroc, et pas une Église étrangère au Maroc.
Une autre de mes préoccupations est l’évangélisation. Comment évangéliser dans un monde majoritairement musulman ? Il faut considérer l’évangélisation non pas comme un acte oral ou écrit, mais se concentrer sur le témoignage que nous donnons par nos actes. Comme le faisait Charles de Foucauld, qui vient d’être canonisé. Il ne s’agit pas d’être contre les musulmans mais avec eux.
Enfin, je suis attentif au dialogue interreligieux comme étant une manière de construire ensemble le royaume de Dieu. Dans l’Église universelle, nous voulons être les témoins qu’il est possible de travailler avec les musulmans, que nous ne sommes pas leurs ennemis. Il est possible de vivre et de travailler ensemble. Comme le dit le concile Vatican II, dans Nostra aetate, nous nous efforçons « sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».
Que répondez-vous à ceux qui estiment, au sein même de l’Église, qu’un tel dialogue relève de la naïveté ?
C. L. R. Quand je vois des prêtres qui parlent mal des musulmans, c’est que, bien souvent, ils n’en ont jamais vu. Nous devrions moins souvent parler des musulmans, mais plus souvent parler avec eux. Ce sont des croyants comme nous. Je connais des musulmans qui, au Maroc, risqueraient leur vie pour moi, s’il le fallait, comme moi je risquerais la mienne pour eux. Ne tombons pas dans le piège des préjugés. Islam et catholicisme ne sont pas deux multinationales qui se disputent des clients ou des parts de marché.
Sentez-vous la pression de mouvements issus de l’islam radical ?
C. L. R. Au Maroc, on ne les sent pas. Le pays a beaucoup travaillé pour contenir le radicalisme. Depuis les attentats de Casablanca, en 2003, il ne s’écoule pas une semaine sans que soit démantelée une cellule. Les autorités sont très vives pour promouvoir un islam modéré, ouvert, dit du « juste milieu ».
Quel rôle le pape François joue-t-il pour promouvoir le dialogue islamo-chrétien ?
C. L. R. Il a un rôle très important. Il s’est beaucoup engagé, en visitant des pays à majorité musulmane comme l’Albanie, l’Irak, le Maroc, les Émirats arabes unis ou encore la Turquie. Il nomme aussi des cardinaux engagés dans ce dialogue. C’est sans doute aussi mon cas. Cela ne lui vaut pas que des amis : certains cardinaux l’accusent à demi-mot d’être hérétique…
Certains affirment que son action dans ce domaine engendre la division dans l’Église. Est-ce aussi votre cas ?
C. L. R. Ces accusations sont un signe de l’Évangile. L’Évangile est une pierre d’achoppement, dans notre monde. C’est ce que le pape nous propose. En réalité, le pape ne provoque pas de divisions : elles sont déjà là. Simplement, ses propositions mettent en exergue des divisions préexistantes. Cela vaut dans plusieurs domaines : lorsqu’il dit que le capitalisme tue, cela ne fait pas non plus plaisir à tout le monde.
Le pape réunira fin août un consistoire, avec tous les cardinaux du monde. Vous y participerez pour la première fois. Connaissez-vous déjà les autres cardinaux ?
C. L. R. Quand vous êtes cardinal, tout le monde pense que vous passez votre temps à Rome et que vous rencontrez sans cesse les autres cardinaux. Mais ce n’est pas le cas. Je connais une toute petite partie d’entre eux. Ce qui me frappe, dans le Collège des cardinaux, est que nous venons du monde entier. C’est une instance très internationale, et beaucoup d’entre nous viennent des périphéries. Il y a un cardinal en Mongolie, au Timor et à Rabat, mais pas à Venise, Milan ou Paris : au fond, pour la mentalité d’avant, c’est assez choquant. Mais c’est l’Église en sortie que veut le pape François.
L’Église est catholique et universelle, pas italienne ou européenne. L’Église catholique n’est pas une organisation occidentale. Ce mouvement a été amplifié par François, mais il avait été lancé par Jean-Paul II et Benoît XVI, qui avaient commencé à nommer des cardinaux du monde entier. Ce mouvement est inspiré par l’Esprit Saint, il n’y aura pas de retour en arrière.
Loup Besmond de Senneville (à Rome)