Évêque, un métier à risque ?
12 juin 2022Lyon, Paris, Avignon, Cayenne, Toulon… Difficile aujourd’hui d’être évêque en France. Les raisons sont multiples, de la crise qui touche l’ensemble des institutions, à une organisation de l’Église trop centralisée, qui fait reposer toute la pression sur les épaules des évêques.
Il ne fait pas bon être évêque, par les temps qui courent. Après la démission du cardinal Barbarin à Lyon, celle de Mgr Aupetit à Paris, les héritages compliqués laissés par Mgr Cattenoz à Avignon et par Mgr Lafont à Cayenne, la sévère sanction qui s’est abattue sur le diocèse de Toulon contraint de reporter les ordinations de prêtres prévues à la fin du mois, on se demande à qui le tour… Certes, ces cas recouvrent des situations différentes. Mais toutes disent la difficulté de la tâche d’un évêque, en France, aujourd’hui. Il est significatif que l’on ait de plus en plus de mal à trouver des candidats à l’épiscopat. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter, au regard du rôle de pasteur qui incombe à l’évêque, clé de voûte de l’institution et garant de l’unité des catholiques.
Il n’y a pas que l’Église. Cette crise s’inscrit dans le cadre plus général de la défiance à l’encontre des institutions. Les hommes politiques ne sont pas épargnés non plus ! Toute personne acceptant des responsabilités publiques se retrouve en première ligne face aux critiques. Dans une société de plus en plus « archipelisée », où les réseaux sociaux sont de formidables accélérateurs de division, il n’est sans doute pas plus facile aujourd’hui de « faire société » que de « faire Église »…
Il est vrai aussi que les évêques ont été extrêmement fragilisés par le rapport de la Ciase sur les abus sexuels dans l’Église, rendu à l’automne dernier. La libération de la parole des victimes avait fortement déstabilisé les prêtres. Mais le rapport Sauvé, lui, a touché directement les évêques. D’ailleurs, ils ne s’y sont pas trompés : pour certains, ce fut une profonde remise en question ; pour d’autres, impossible à entendre. En parlant de « crise systémique » des abus, les auteurs de la commission Sauvé ont clairement désigné l’institution, et donc ceux qui sont à sa tête, coupables d’avoir masqué la vérité.
Le XXe siècle a fait de l’évêque l’homme fort de l’Église. Tout repose sur lui, ce qui n’était pas le cas autrefois, lorsque les princes, seigneurs et autres chanoines se mêlaient de gouverner – et de contrôler – la religion. Désormais, l’évêque seul incarne l’institution, pour le meilleur comme pour le pire. Le concile Vatican II a pris acte de cette évolution, sans prévoir des modalités de gouvernance plus collective. Résultat, une centralisation excessive du pouvoir qui les isole et les rend vulnérables, d’autant plus dans une période de crise : nous sommes passés d’une génération d’évêques bâtisseurs du début XXe à celle de prélats épuisés gestionnaires d’un patrimoine trop lourd. Aux yeux de l’opinion, ils deviennent un peu vite les premiers comptables d’une situation dont ils ne sont pourtant pas coupables.
Comment y remédier ? Par la synodalité, répond le pape François. Une synodalité qui consiste à mettre tous les catholiques en situation de responsables. L’objectif est de passer d’une Église de fidèles obéissant à un chef à une Église où chacun soit témoin de l’Évangile. Encore faudrait-il que les catholiques acceptent de prendre leur part… Et que les évêques soient capables de laisser une forme de créativité et d’initiative s’exprimer en dehors d’eux, tout en assurant la cohérence de l’ensemble.
Au fond, rien là de bien surprenant. En politique, on sent le même besoin de trouver de nouvelles formes de participation des citoyens. Le monde de l’entreprise sait bien aussi qu’on ne manage plus aujourd’hui comme hier, et que créer un collectif demande du doigté. Même chose pour l’Église : il faut repenser la formation des cadres, en diversifier les profils, prévoir des procédures pour la collégialité, disposer de lieux de prise de parole pour tous les croyants, des instances de régulation, d’évaluation, de contrôle aussi. Bref, il faut mettre la gouvernance de l’Église à l’heure du XXIe siècle.
Isabelle De Gaulmyn
rédactrice en chef