Iran : derrière le voile, un combat politique
05 oct. 2022Des Iraniennes meurent sous les balles pour avoir défié le régime, tandis qu’en France des commentateurs préfèrent s’attarder sur voile qu’elles ôtent de leur tête. De quoi déposséder la révolution en Iran de son caractère collectif et politique.
Voile ici, voile là-bas… Certains commentateurs français de gauche et de droite ont cru bon de faire un rapprochement entre les femmes qui se battent pour enlever leur voile dans les rues de Téhéran, et celles qui revendiquent ici la liberté de le porter. Les manifestations de musulmanes en France pour avoir la liberté de porter le voile seraient ainsi, prétendent des responsables de la Nupes, le miroir occidental inversé de ce qui se passe en Iran… D’autres au contraire, à l’extrême droite de l’échiquier politique, avec le même raisonnement, font des Iraniennes les précurseures de ce qui va inévitablement se passer en France, du fait du « grand remplacement ». Au fond, c’est la même chose qui est en jeu : lutter contre une prétendue islamophobie française d’un côté, pointer une trop grande tolérance à l’islam, de l’autre. Drôles de comparaisons cependant, qui manifestent en vérité une ignorance des réalités, avec cette tendance si actuelle à créer des confusions plutôt qu’à opérer des distinctions.
D’abord, c’est indécent. On sait la France, depuis des années, hypersensible à ce sujet du voile, mais tout de même… En Iran, les femmes qui ôtent leur voile dans la rue risquent la mort, l’actualité est là pour le rappeler de manière dramatique. L’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, faisait état, en début de semaine d’« au moins 76 morts ». Il n’est pas question seulement d’un baroud d’honneur pour faire venir quelques caméras de télévision et provoquer un peu de buzz sur les réseaux sociaux. En Iran, c’est au sens propre un combat vital des femmes, en ce qu’il engage leurs vies. En France, porter un voile dans la rue n’est pas interdit ! Et on ne risque nullement sa vie…
Myopie coupable
Surtout, c’est mal comprendre ce qui se joue, avec le voile en Iran, et faire preuve d’une myopie coupable. Nous ne sommes pas là sur le plan d’une revendication de liberté personnelle, guidée par la volonté de se débarrasser d’un ornement ne correspondant pas aux critères modernes, ou même de refuser un signe religieux trop ostentatoire, ce qui peut d’ailleurs être légitime. Non ! Les femmes que nous voyons danser courageusement devant des milices armées, cheveux au vent, dans la rue iranienne, se battent contre un système. Celui d’un régime politique islamiste qui a fait du port du voile son symbole.
Elles ne demandent pas l’interdiction du port du voile, mais la fin de son obligation. Le slogan a vite glissé de « on ne veut plus du voile » à « à bas le dictateur ». Leur révolution est une action collective, et politique. Non pas une revendication religieuse. Comme le note la sociologue Azadeh Kian, dès le début de la Révolution iranienne, le pouvoir islamiste a choisi d’imposer le voile. Une instrumentalisation de la religion pour faire du Coran un moyen de contrôle des foyers, à travers la trop fameuse brigade des mœurs, en instaurant un patriarcat où la femme se retrouve en situation de subordination.
Un régime fondé sur l’oppression
La femme, en Iran, a des droits politiques puisqu’elle peut voter. En revanche, le Code civil la met dans une infériorité structurelle par rapport aux hommes dans la vie privée. Ce qui, au passage, donne au pouvoir la possibilité de tenir un discours nationaliste, les femmes étant invitées à assurer les naissances et la reproduction de la population, et donc la force du pays…
Oublier cela au prix de comparaisons qui n’en sont pas, c’est oublier que l’islamisme est, en Iran ou ailleurs, un régime fondé sur l’oppression. Que le combat courageux de ces femmes est d’abord politique. Oublier cela, c’est enterrer une seconde fois Mahsa Amini et ses compagnes, mortes sous les coups de bourreaux au service d’un pouvoir totalitaire et sanguinaire.
Isabelle De Gaulmyn, rédactrice en chef
La Croix