Séminaristes à Pontigny • MISSION DE FRANCE

Séminaristes à Pontigny • MISSION DE FRANCE

Dimanche 16 octobre 2022, la Mission de France fête le 80e anniversaire de son séminaire, à Ivry-sur-Seine. Une formation atypique pour ces futurs prêtres, avec un engagement professionnel à la clé. 

Une messe présidée par Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre (Yonne), et retransmise dans l’émission le Jour du Seigneur, des témoignages croisés de prêtres retraités et de jeunes qui viennent d’être ordonnés… Dimanche 16 octobre 2022, la Mission de France a prévu une série d’événements à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour réunir sa communauté et célébrer ses origines. Il s’agit du 80e anniversaire de son séminaire, créé en octobre 1942 pour former de nouveaux prêtres issus de différents diocèses.

À l’époque, la formation visait à repenser l’engagement missionnaire, face à une société qui se déchristianisait. Il s’agissait alors, non plus d’être missionnaire à travers le monde, mais en France, auprès de populations qui perdaient la foi. La Mission de France est ensuite devenue une prélature territoriale, en 1954, c’est-à-dire une circonscription dans l’Église, avec sa propre organisation, semblable à celle d’un diocèse classique.

Au fil des années, l’engagement professionnel était une condition sine qua non pour la prêtrise au sein de la Mission. Cependant, parmi les 80 prêtres incardinés dans 54 diocèses français (plus 13 séminaristes et 15 diacres permanents), les personnes en activité représentent aujourd’hui une minorité : une vingtaine face à une majorité de retraités. Les séminaristes, eux, constituent actuellement une dizaine d’élèves qui participent à une formation d’une durée de sept ans.

Au-delà de l’étiquette du prêtre-ouvrier

Le séminaire est ainsi constitué d’un premier cycle où les élèves gardent leur activité professionnelle, tout en suivant des sessions de formations dans le cadre de l’École pour la mission, avec une équipe de clercs et de laïcs.

Les séminaristes entament ensuite un deuxième cycle, où ils suspendent leur activité professionnelle pour un temps d’études théologiques et de vie communautaire à Ivry-sur-Seine. Le dernier cycle (celui de la diaconie) s’inscrit à nouveau dans le monde du travail avec la reprise d’une activité professionnelle.

Mais, contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le métier d’ouvrier qui occupe aujourd’hui les journées des séminaristes de la Mission. Alors que la prélature a acquis, au fil des décennies, l’image d’une communauté de prêtres très implantés dans les usines, et engagés dans des syndicats ouvriers, la palette des professions est désormais plus variée.

« Les anciens travaillaient surtout dans des usines de production, mais les années 1970 ont opéré un tournant chez nos prêtres avec le développement des métiers du soin, souligne Xavier Debilly, prêtre, responsable du séminaire de la Mission. Certains sont restés ouvriers, d’autres sont devenus travailleurs sociaux ou infirmiers. »

Un changement de vie radical

Entré dans sa sixième année de formation, Anton, 34 ans, fait partie des séminaristes qui suivent des sessions en communauté de vie à Ivry. « Entre séminaristes, on a l’habitude de plaisanter sur le fait qu’on est une promo “d’ingés et d’éduc”, explique-t-il. C’est vrai qu’en ce moment nous sommes pratiquement tous des ingénieurs ou bien des profs et des éducateurs ! »

Des métiers de solution et d’engagement social : les séminaristes de la Mission de France incarnent une nouvelle génération de chrétiens qui cherchent à agir pour améliorer le quotidien des gens.

« Aujourd’hui, nos séminaristes ne côtoient plus seulement des personnes qui ont perdu la foi, mais des gens qui sont indifférents à la religion, observe Xavier Debilly. On pourrait penser que c’est devenu plus difficile pour eux d’être missionnaires dans ce contexte. Mais la nouvelle génération a une conception très forte de l’engagement, et beaucoup de jeunes décident d’opérer des changements de vie radicaux. Quand ils voient leurs collègues de travail s’engager sur le chemin de la prêtrise, cette question de la vocation leur parle. »

Parmi les élèves de l’École pour la Mission, Guillaume, 40 ans, travaille depuis de nombreuses années à Lille (Nord) dans l’insertion sociale, pour accompagner les personnes à la rue. Il effectue le premier cycle du séminaire, celui où les sessions de formation ne s’étalent pour le moment que sur des week-ends ou des jeudis soirs, tout au long de l’année.

Guillaume poursuit donc son activité professionnelle avec ses collègues, et les mêmes horaires de travail. « C’est la rencontre de la pauvreté, dans le cadre de ma profession, qui m’a permis de rencontrer le Christ, relate-t-il. Je pensais au sacerdoce depuis l’adolescence, mais je n’avais pas sauté le pas par le biais d’une communauté chrétienne. J’avais mûri ma vocation en cherchant d’abord à servir dans la société civile. »

Une bascule dans le discernement

Selon la particularité propre à la Mission de France, Guillaume devra pourtant quitter temporairement sa profession à partir du deuxième cycle, entièrement consacré aux études. « Il y a une bascule qui s’opère dans le discernement de nos séminaristes à ce moment de la formation, décrit Xavier Debilly. C’est alors que la question de la vocation se pose de manière criante : si on sent qu’un séminariste est trop attaché à son travail, alors c’est un élément de discernement essentiel, et il vaut mieux qu’il s’arrête là. »

Anton, lui, a fait le choix de quitter sa profession d’ingénieur, pour entamer le cycle d’études de la Mission, avec l’Institut catholique de Paris et la faculté jésuite du Centre Sèvres. Depuis début septembre 2022, le jeune homme entame sa sixième année de formation, en route vers l’ordination diaconale prévue en juillet 2023.

Cette année est l’occasion pour lui de s’interroger sur la reprise de son activité professionnelle, car la Mission de France propose, en lien avec l’évêque et le vicaire général, de changer complètement de cadre professionnel. « Cet été, j’ai fait un stage de travail saisonnier, et j’ai porté des plateaux dans des hôtels !, glisse Anton. C’est un métier complètement différent de ce que je faisais, mais je suis prêt à me laisser surprendre, donc pourquoi pas continuer ? Je ne sais pas encore… »

Des témoins discrets

Le séminariste a donné un nouveau sens à la foi de son enfance lorsqu’il était en école d’ingénieur, au contact d’un prêtre aumônier venu de la Mission de France. « Je me suis ensuite engagé dans des équipes de jeunes pros de la Mission, poursuit-il. Petit à petit, la foi traditionnelle que j’avais conservée dans l’enfance s’est transformée, j’ai senti la présence de Dieu dans cette atmosphère de simplicité de la Mission. Les prêtres vivent dans le monde du travail, et je trouve que cela crée un rapport de proximité très direct entre l’Église et la société d’aujourd’hui. Les contraintes horaires, le temps passé avec les collègues nous permettent d’être connectés à la réalité de chacun. »

Ce choix d’aller vers la prêtrise au sein de la Mission de France est d’autant plus étonnant que la prélature n’est plus vraiment dans l’air du temps chez les catholiques. À l’heure où un nombre sensible de jeunes se tournent vers la communauté Saint-Martin, qui revendique le port de la soutane comme un « bleu de travail », et où de jeunes prêtres investissent les réseaux sociaux, la Mission préfère cultiver la discrétion.

Et plutôt que de parler d’une mission d’évangélisation, Xavier Debilly soutient la force du témoignage : « Les séminaristes sont formés à être des témoins discrets de la vie de leurs collègues, défend-il. Ils apprennent à être attentifs à leur réalité sociologique, ils sont à l’écoute de leurs peurs et de leurs joies, comme des compagnons de route. C’est en créant du lien sur le long terme qu’ils peuvent voir l’esprit du Christ à l’œuvre. »

À l’image des prêtres de la Mission, plusieurs séminaristes ont attendu longtemps avant de révéler à leur entourage professionnel qu’ils se formaient à la prêtrise. C’est le cas de Guillaume, qui vient d’interrompre son activité de travailleur social pour entamer ses études théologiques.

« J’ai annoncé mon départ à mes collègues et c’est à ce moment-là que j’ai expliqué pourquoi je partais, raconte-t-il. L’une d’entre eux m’a dit : “En fait, tout le travail qu’on a effectué avec toi prend un sens nouveau maintenant.” J’étais très heureux d’entendre ça, parce que ça veut dire que la manière dont nous nous comportons au travail est porteuse de sens, dans la vie quotidienne des gens. »

À lire pour les 80 ans du séminaire de la Mission : Dieu chemin faisant. Itinéraires de la Mission de France, de Roch-Étienne Noto (diacre de la Mission de France), Salvator, 15 €.

Caroline Celle

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