« Catholicisme : le silence systémique traduit une peur maladive du débat »

Pour Marc Leboucher, éditeur et écrivain, les catholiques ont du mal à sortir d’une culture du silence qui plombe l’Église. Victimes de l’illusion de l’unanimisme d’une institution censée parler d’une seule voix, nous préférons entretenir une culture du silence.
L’éditeur et écrivain Marc Leboucher appelle à mettre fin à une culture du silence qui plombe encore l’Église. 
« Oh, vous savez, c’est une dépression. On ne peut rien dire, il faut rester discret… » Ainsi répondait le curé de notre paroisse de banlieue à mes parents venus l’interroger après qu’un de ses vicaires a disparu du jour au lendemain.
C’était au cours des années 1970. Renseignements pris, il s’avérait que ledit vicaire avait commis des abus sur un enfant de chœur avant d’être arrêté par la police sur dénonciation de sa mère. L’affaire réglée au plan judiciaire ne fut jamais ébruitée.
Manières de dire et de taire
Quelques décennies plus tard, l’Église a toujours de grandes difficultés à sortir d’une culture du silence, qui la plombe à bien des niveaux. Dans son rapport publié l’an dernier, la Ciase soulignait la dimension systémique qui serait à l’origine des abus sexuels. Mais n’y a-t-il pas à élargir la question et à se demander si ce n’est pas davantage le silence lui-même qui ferait système, induisant par là un ensemble de pratiques où l’on s’interdit de parler des difficultés et donc de les regarder en face ?
Cela dit, je n’appelle pas à une transparence absolue et à l’esprit de dénonciation qui caractérisent les États totalitaires, ni à remettre en question la nécessaire discrétion qui doit entourer la présomption d’innocence ou le sacrement de réconciliation. Simplement à s’interroger sur nos manières de dire et de taire.
Reconnaissons-le, combien de fois au cours de réunions, tant à la base qu’au sommet de notre Église, ne vivons-nous pas ce moment de silence gêné qui suit l’évocation d’une difficulté, voire l’amorce d’un potentiel désaccord ? Combien de réunions de groupe où, abordant tel ou tel blocage en matière de gouvernance, de relations humaines ou de moyens financiers, chacun baisse pudiquement les yeux pour ne pas regarder son voisin ?
Combien de rencontres aussi où même des laïcs occupant d’importantes responsabilités dans la société n’osent pas contredire leur curé ou leur évêque ? Comment expliquer cette autocensure et cette obéissance facile, docile devant la présence du « père » ou de « monseigneur » ?
Cléricalisme
Certains verront dans ces attitudes une conséquence du cléricalisme, dénoncé d’ailleurs par le pape François lui-même. D’autres souligneront que toutes les institutions, entreprises, administrations ou associations génèrent cette propension à se taire. D’autres encore soupçonneront dans ces pratiques le début d’une logique menant à une forme d’emprise.
Mais au fond, ce silence véritablement systémique dans notre catholicisme ne traduit-il pas d’abord une peur maladive du conflit et du débat ? Comme si la moindre confrontation interne ou le moindre dissensus constituait un drame absolu, nous nous refusons à ces temps d’échanges vrais, voire vigoureux, plus exigeants à coup sûr que les acceptations muettes. Ne sommes-nous pas là victimes d’une illusion, celle de l’unanimisme d’une institution qui serait censée parler d’une seule voix, le petit doigt sur la couture du pantalon ou de la soutane ?
Camoufler nos divergences d’opinions
Complices de ce silence systémique, nous sommes prisonniers d’un langage religieux qui trop rapidement invite à invoquer l’esprit de paix ou de fraternité pour mieux camoufler nos divergences d’opinions.
N’avons-nous pas alors à nous rappeler que nous nous réclamons d’une religion de la Parole, d’un Verbe fait chair pour nous délivrer du mal qui nous enserre ? Nous ne sortirons de cette fâcheuse pratique qu’au prix d’un examen de conscience collectif, justement inspiré par cette Parole de liberté, et qui se laissera questionner par notre monde, par ces sciences heureusement dites « humaines », nécessaires pour déjouer les pièges de nos non-dits. Aurons-nous ce courage ?

Marc Leboucher, éditeur et écrivain

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