Homélie du dimanche 16 avril 2023
12 avr. 2023On peut établir un lien entre la résurrection du Christ et celle de l’Église, bien qu’elles ne soient pas de même nature. L’image du sang et de l’eau qui coulent du côté ouvert du Christ en croix symbolise la naissance de l’Église. Elle naît du côté ouvert de Jésus qui « remet l’esprit » (Jn 19, 30) entre les mains de son Père et en même temps entre celles de ses disciples et de son Église. C’est sa mort, son amour radical allant jusqu’au don de lui-même qui est le fondement de la vie de son Église. Deux des textes de ce dimanche évoquent la naissance de l’Église primitive et en font un portrait contrasté.
Dans l’Évangile, saint Jean montre les disciples – dispersés au moment de la Passion –, de nouveau rassemblés au soir de la Résurrection.
« C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine.
Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient,
car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ;
tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. »
Cette première communauté est encore sous le coup du traumatisme de la mort de Jésus. C’est une communauté brisée par ses doutes et ses dispersions et ses reniements. Judas a trahi, Thomas est absent, Pierre a renié, d’autres ont fui. Ce qui rassemble les disciples c’est la peur de subir le même sort que celui de leur maître et ami. Leurs portes sont verrouillées. Et c’est au cœur de cette peur, de ce repli cadenassé que se manifeste Jésus, le ressuscité « au milieu d’eux », comme si au milieu de leur assemblée s’allumait le feu de l’Esprit. Jésus leur adresse deux messages.
Tout d’abord il leur souhaite la paix. Comment avoir le cœur en paix quand on a honte et qu’on a peur ? Jésus vient partager avec eux l’expérience de sa paix, après l’immense peur qu’il vient de traverser. L’expérience de sa confiance absolue en son Père, dans la nuit la plus noire de sa mort sur la Croix. Il a éprouvé sa solitude comme un abandon du Père, et il vient témoigner que Dieu vivait avec lui son abandon, que le Père s’abandonnait lui-même, lui le maître et la source de la vie, le maître et la source de l’amour, qu’aucune haine, ni violence ni mort ne sauraient empêcher d’aimer et de faire vivre. La paix intérieure, voilà l’héritage que le Christ laisse à son Église de tous les temps.
Après le don de la paix, vient l’envoi en mission qui lui aussi est un don du Ressuscité et un témoignage à rendre à sa résurrection. Le rencontrer et le reconnaître c’est poursuivre son œuvre, ne pas la laisser mourir. Comme le Père l’a envoyé, il les envoie affronter, même si la peur les tenaille, le péché du monde, le mal à l’œuvre dans le monde. Faire front contre les esprits mauvais, comme il l’a fait lui-même dans son histoire humaine. Ainsi, croire en la résurrection ce n’est pas bénéficier d’une information ou adhérer à un dogme, c’est engager tout son être dans un combat pour la vie, contre le mal et la haine, contre tout ce qui rend l’homme esclave, dans son être, dans le monde où il vit, dans la religion qui est la sienne, dans son athéisme s’il est incroyant. C’est recevoir une puissance spirituelle de dénoncer le mal là où il règne. C’est de réconcilier ceux qui sont divisés là où ils nourrissent les guerres, de guérir ceux qu’accablent les souffrances du cœur et du corps.
Mais ils n’étaient que dix. Judas avait trahi, et Thomas était absent.
« Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous,
si je ne mets la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux.
Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Thomas lui dit alors : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
En entendant Jésus l’inviter à toucher et regarder ses mains et son côté, Thomas découvre que ses plaies de crucifié sont les blessures d’un amour sans mesure. Il comprend « quel baptême l’a purifié, quel Esprit l’a fait renaître, quel sang l’a racheté » (oraison de la liturgie de ce dimanche). Regardant les plaies de son ami, il contemple la divine miséricorde du Père. Les plaies du crucifié deviennent aussi pour les apôtres le signe d’une miséricorde sans limites. Il ne vient pas jeter de l’huile sur le feu de leur remords, mais répandre sur eux son souffle, le souffle de sa puissance d’amour et de pardon. « Recevez l’Esprit Saint », leur-dit-il, allez vous aussi annoncer et exercer la miséricorde du Père en mon nom, à tous ses enfants. Saint Pierre sait plus que d’autres combien le Christ lui a fait miséricorde. Il écrit dans sa Lettre :
« Béni soit Dieu, le Père de Jésus Christ notre Seigneur :
dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître
grâce à la résurrection de Jésus Christ pour une vivante espérance,
pour l’héritage qui ne connaîtra ni destruction, ni souillure, ni vieillissement.
Cet héritage vous est réservé dans les cieux,
à vous que la puissance de Dieu garde par la foi,
en vue du salut qui est prêt à se manifester à la fin des temps.
Vous en tressaillez de joie, même s’il faut que vous soyez attristés,
pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;
elles vérifieront la qualité de votre foi qui est bien plus précieuse que l’or.
Tout cela doit donner à Dieu louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ,
lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore ;
et vous tressaillez d’une joie inexprimable qui vous transfigure,
car vous allez obtenir votre salut qui est l’aboutissement de votre foi. »
Dans le récit de Jean, résurrection et Pentecôte, don de l’Esprit, sont contemporains, vécus en même temps. Dans celui de Luc les deux sont associés autrement. Aussitôt après la Pentecôte, bien après le jour de Pâques, nous est montré comment les premières communautés chrétiennes rendent témoignage à la résurrection : elles inventent des nouvelles pratiques religieuses et sociales. C’est ce que nous révèle la première lecture.
« Dans les premiers jours de l’Église, les frères étaient fidèles
à écouter l’enseignement des Apôtres et à vivre en communion fraternelle,
à rompre le pain et à participer aux prières.
La crainte de Dieu était dans tous les cœurs ;
beaucoup de prodiges et de signes s’accomplissaient par les Apôtres.
Tous ceux qui étaient devenus croyants vivaient ensemble,
et ils mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens,
pour en partager le prix entre tous selon les besoins de chacun.
Chaque jour, d’un seul cœur, ils allaient fidèlement au Temple,
ils rompaient le pain dans leurs maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité.
Ils louaient Dieu et trouvaient un bon accueil auprès de tout le peuple.
Tous les jours, le Seigneur faisait entrer dans la communauté ceux qui étaient appelés au salut. »
Beau programme pour les communautés de chrétiens d’aujourd’hui. Il est fini le temps des cathédrales et des églises pleines. Il est revenu le temps où être chrétien signifie de nouveau vivre une expérience communautaire évangélique, au milieu d’un monde éloigné de la foi au Christ ressuscité et qui pense qu’on peut très bien vivre sans Dieu et sans religion.
Pour témoigner réellement du Christ ressuscité deux aspects restent à cultiver dans les communautés d’aujourd’hui. D’abord la qualité de la vie communautaire : communion fraternelle, partage de la parole de Dieu, prière, fraction du pain, mise en commun des biens. Ensuite l’ouverture sur le monde, présence active au milieu du peuple où ils vivent, et accueil des personnes en recherche de pain, d’amitié, de justice et d’un sens à donner à leur vie.
Michel SCOUARNEC
Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon