Créateur : DANIEL LEAL | Crédits : AFP

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Que signifie au XXIe siècle le couronnement chrétien d’un chef d’État qui est aussi défenseur de la foi anglicane ? Dans une Grande-Bretagne archi sécularisée, c’est peut-être une manière de mettre un peu de spiritualité pour ressouder un peuple…
1953-2023. Soixante-dix ans séparent les deux couronnements, celui de la mère, Elizabeth II et celui de son fils Charles III. Soixante-dix ans, plus de deux générations, un changement d’époque. Ce que cette célébration religieuse reflétera à sa manière. Par exemple, c’est une femme, Dame Sarah Mullally, évêque anglicane, qui va lire l’Évangile selon Luc (4, 16-21). Chose impensable lors du couronnement de la reine Elizabeth, mais depuis, les Anglicans ont ouvert l’épiscopat aux femmes. Notons d’ailleurs que l’Épître de Paul aux Colossiens (1, 9-17) sera lu, lui, par Rishi Sunak, premier ministre et… hindou.
Des représentants des autres religions
Surtout, pour la première fois, des représentants des diverses religions se trouveront au cœur de la célébration anglicane, puisque non seulement les autres confessions chrétiennes, mais aussi les responsables hindous, sikhs, juifs, musulmans, bouddhistes, salueront le nouveau roi comme « voisin dans la foi ». Quant à Charles III, il prononcera une bénédiction pour les enfants de « toutes fois et de toutes convictions ».
Comment organiser une célébration religieuse pour introniser un chef d’État qui est aussi chef d’une Église dans nos pays d’Europe sécularisés et plurireligieux ? C’est le casse-tête sur lequel planchent depuis plusieurs mois les responsables du protocole royal en Grande-Bretagne. Le roi est oint et couronné lors d’une messe par l’archevêque de Canterbury, comme « défenseur de la foi anglicane » en vertu d’une tradition qui date de… 1521.
On sait que Charles est soucieux de devenir le roi de l’ensemble des habitants du Royaume-Uni, quelle que soit leur religion. Et qu’il est sensible aux autres spiritualités, mais il était évidemment impossible de surseoir au caractère traditionnel de la cérémonie. Donc on reste dans l’anglicanisme, tout en faisant une place aux autres religions. Signe de ce souci de Charles : il a invité le rabbin de Londres à venir dormir chez lui, au palais, car le couronnement ayant lieu un samedi, jour de shabbat, il n’aurait pu s’y rendre en voiture…

Quelle signification religieuse ?
On voit mal l’héritier du trône être intronisé autrement que par l’archevêque anglican. Et pourtant, quelle est la profonde signification de cela ? Le Royaume-Uni peut bien avoir un chef d’État défenseur de la foi anglicane, le pays est encore bien plus sécularisé que la France. Depuis 2016, les non-croyants sont plus nombreux que les croyants. Et 3 % de la population seulement serait pratiquante régulière de l’Église anglicane, dont Charles III est le défenseur… Par ailleurs, la Grande-Bretagne est, là encore plus que notre France très laïque, un pays multireligieux, où les différents cultes cohabitent depuis longtemps.
Que comprendront les (télé) spectateurs à la cérémonie religieuse ? Sans doute pas grand-chose, au regard du très bas taux de pratique anglicane. D’autant plus que la célébration prévoit toute une série de rites pour le moins abscons aux esprits du XXIe siècle. Même si la BBC présente depuis quelques semaines des vidéos pédagogiques pour les enfants fort bien faites. Les passionnés de couronne qui sommeillent en chacun de nous y verront sans doute plus la fin d’une série de télévision sur Netflix qu’une cérémonie religieuse, tant, en la matière, la fiction a depuis longtemps dépassé la réalité.
Mais gageons qu’il se trouvera aussi des Anglais émus par ce qu’ils ressentiront de l’aspect plus spirituel de la célébration ce samedi, même s’ils n’en saisiront pas tous les gestes. Les institutions religieuses connaissent une influence sérieusement en baisse. Il reste néanmoins un besoin de foi, indéterminé, mais bien réel. Même si dans notre France laïque, nous avons tendance à la minorer, voire la cacher, cette aspiration spirituelle là est aussi une manière de souder un peuple.

Isabelle de Gaulmyn Rédactrice en chef La Croix

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